Il y avait comme une odeur étrange dans l'air, celle de la pluie. Cela devait sans doute expliquer pourquoi, malgré l'heure avancée dans l'après-midi, cette aire de jeu était quasiment déserte. Pourtant, les nuages bien que menaçant ne semblait pas vouloir déverser sur les Londoniens leurs trombes d'eau habituelles. Il y avait tout de même quelques personnes dans cette aire, notamment Heather et son fils. Ce dernier n'était pas réellement en train de profiter des installations puisqu'il préférait grimper sur les branches d'arbres qui étaient à sa portée. Il n'était pas bien vieux ce gamin, mais il n'avait peur de rien. Et en plus il était infatigable. Quel calvaire ce gosse...

Si seulement elle avait réussi à le faire garder, elle n'aurait pas à subir le regard réprobateur de ces mamans parfaites. Un orage accompagné de grêle avait entièrement explosé le toit de la maison et de la grange. L'elfe était donc débordée avec les réparations, sachant qu'un nouvel orage allait éclater dans la soirée, elle n'avait pas une minute à perdre. Son père était à l'autre bout de la planète pour un voyage d'affaire et il était hors de question qu'elle ne se rabaisse à demander de l'aide à celui qui l'avait foutu en cloque. Et comme elle n'était pas une mère si irresponsable que ça, elle ne pouvait pas non plus le laisser tout seul au manoir. Voilà donc qu'elle devait l'embarquer avec elle à un entretien d'embauche avec un ancien ami, propriétaire de la fameuse boutique d'animaux magique. Paraissait qu'il avait besoin de main d'oeuvre. Paraissait qu'elle était fauchée.

- Vous êtes folle de laisser votre bébé sans surveillance, il va se blesser ! hurla une voix inquiète à quelques dizaines de centimètres de la sorcière et la tira de sa rêverie.

Elle lança un regard sur sa droite, son fil était toujours en train de marcher à quatre pattes sur une des grosses branches de l'arbre, à même pas un mètre du sol. Agacée, la rousse ne tarda pas à répondre sèchement.

- Mais non, il va très bien.

- Mais enfin, continua alors la taré d'une voix stridente, à cette hauteur, s'il tombe, il va se faire très mal, il peut même mourir !

Excédée de se faire dicter sa conduite par madame parfaite, la jeune femme se dressa de toute sa hauteur devant elle. Mais avant qu'elle ne puisse lui mettre la raclée qu'elle méritait amplement, des hurlements de douleur retentirent à quelques mètres. A force de parler de malheur voilà que Neil, qui se débrouillait très bien depuis dix minutes sur sa branche, s'était éclaté sur le sol. Comme une crotte. Elle en rigolerait presque si elle n'avait pas à réparer les pots cassés par la suite. Mais avant qu'elle ne puisse réagir, soccer mom l'avait déjà attrapé dans ses bras et commencé à le consoler en lui racontant des mots doux.

- Lâche le c*nnasse ! ordonna Heather qui l'avait rejointe.

- Les mères irresponsables comme vous ne devrait même pas avoir le droit de s’occuper d'un enfant. C'est une honte !

- De quel droit te me juges comme ça ?

Tout ceux qui connaissaient l'ex-Serpentard savaient qu'elle n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. L'autre femme avait beau la dépasser d'une bonne tête, il n'en restait pas moins que la rousse était effrayante. Un mètre soixante de regard noir, ne laissait pas indifférant. Elle sentait d'ailleurs qu'elle avait fait son petit effet dans le regard effrayé de son adversaire, bien que cette dernière ne lui rendit toujours pas l'enfant. Un regard en direction de la petite fille qui les observait du haut du toboggan, un sourire sadique, un pas dans sa direction... La mère ne prit pas de risque et lui rendit son fils, accourant vers sa fille qu'elle fit descendre, elle prit la direction de la sortie en hurlant qu'elle allait appeler les services sociaux. C'est ça moldue, coucouche panier !

Maintenant, fallait qu'elle s'occupe du blessé. Retournant sur son banc, elle l'allongea pour l'examiner. Un bleu au genou gauche et des éraflures aux mains. Et dire qu'il lui arrachait les tympans pour si peu. S'occuper d'un animal s'était plus simple, ça pleurait pas, déjà. La jeune femme cacha relativement peu discrètement sa baguette sous sa veste. Avec un léger Aguamenti, elle nettoya les plaies de son rejeton, avec un epiksey, elle les referma. Enfin, elle appliqua un cura as velnus sur le bleu et fit disparaître la douleur. Si elle se moquait bien qu'il se fasse mal c'était car avec son ancien métier de garde chasse à Poudlard, elle savait qu'elle pouvait presque tout soigner. Il n'y a presque rien que la magie ne sache pas soigner. Et puis son instinct de survie réveillerait sans doute ses pouvoirs à un moment ou à un autre.

Les soins ne suffirent pas à calmer le gamin qui braillait à plein poumons. Elle lui intima de se taire mais il ne voulu rien entendre. Attrapant ses minuscules poignets de force, elle lui montra ses mains toutes neuves.

- Tu vois, t'as rien, juste eu peur, fit-elle avec une voix qu'elle voulait douce, mais c'était pas son truc.

Il se calma alors, les sanglots remplacés par les rires. Il se jeta alors sur sa mère pour lui faire un câlin mais celle-ci réagit juste à temps et il ne parvint qu'à attraper son bras qu'il serra se toutes ses minuscules forces. L'Irlandaise se figea alors, glacée par ce contact physique qui s'éternisa. Elle essaya de le repousser doucement mais ça ne suffisait pas.

- Allez, laisse maman tranquille maintenant. Va jouer !

Elle parvint à le poser par terre et il se laissa pousser jusqu'au toboggan qu'il se mit en tête de grimper à l'envers. La rousse se laissa alors couler sur le banc.

- Pourquoi je t'ai gardé hein ? souffla-t-elle alors, en regardant l'heure, il restait bien trop de temps avant son entretien.

Pourquoi être mère c'était pas vendu avec la notice ? Pourquoi ça devait être aussi dur que ça ? Et pourquoi ça avait l'air si simple pour les autres ? Quoi qu'elle fasse, elle avait l'impression de faire tout de travers. Si elle s'impliquait trop, elle serait étouffante et son fils un assisté. Elle était en train de suivre le même schéma éducatif que son père avec elle. Si elle laissait trop de distance s'installer, il sera trop tard pour réparer cela. Et comment trouver sa place dans la famille éclatée qu'elle formait. Un grand-père qu'elle ne voyait jamais, un père qu'elle haïssait et qui ne donnait plus de signe de vie depuis quelques temps, des demi-frères du même âge... Si seulement sa mère pouvait être là. Elle la réconforterait, elle l'aiderait... Mais voilà, Heather était seule dans ce monde.

Alors que la rousse se croyait seule, une petite voix se fit entendre à côté d'elle. Mais ce qu'elle dit lui hérissa le poil, demandant si elle aurait vraiment pu l'empêcher de naître ou l'abandonner. Encore une gamine qui croyait tout connaître à la vie et qui se permettait de juger la vie des autres. L'Irlandaise choisit de ne pas relever, elle la gratifia simplement d'un regard noir. Sauf que la fille n'avait pas l'air d'être effrayée outre mesure. Non seulement elle ne partit pas, mais elle poursuit sur sa lancée, déclarant qu'elle était plus courageuse que sa génitrice.

Génitrice. Ce mot résonna étrangement à ses oreilles. Si elle devait décrire sa relation avec son fils, c'était surement comme ça qu'elle se décrirait. Elle ne méritait pas de porter le nom de mère. Génitrice s'était bien, ça laissait de la distance. Le fait que l'adolescente l'employa était aussi un révélateur. Elle s'était surement faite abandonnée par sa mère. Elle ne mesurait sans doute pas sa chance...

L'ex-Garde-chasse s'étonna elle-même de répondre calmement à l'insolente quand son caractère lui intimait plutôt de la faire dégager par tout les moyens possibles.

- Du courage, hein ? ricana-t-elle. J'ai pas eu les c*uilles, c'est tout.

Le regard rivé sur Neill qui lui faisait signe du haut du toboggan, elle s'assurait ainsi qu'il était toujours en vie. C'était surtout pour elle un moyen d'éviter le regard de la jeune femme. Et puis non, m*rde ! Elle croyait tout savoir, elle croyait qu'on abandonnait un gamin comme on abandonnait un paquet de brioche avant de l'acheter parce qu'il est écrasé. Elle croyait pouvoir imposer son opinion sans conséquences. Elle avait bien besoin qu'on lui remette les idées en place celle-là. Et ça permettait à la rousse de vider son sac par la même occasion. Elle chercha alors à croiser le regard de l'inconnue et ne le lâcha plus.

- Oui, j'ai voulu avorter. Malheureusement, j'ai appris ma grossesse trop tard pour que ce soit possible. Au lieu de ça,
j'ai dû le porter neufs mois dans mon ventre alors que j'en voulais pas. Neuf mois ! J'ai pris vingt kilos et j'en ai même pas perdu la moitié. J'ai dû quitter mon travail à Poudlard alors que c'était ma passion, continua-t-elle portée par son élan, se fichant bien royalement que cette moldue ne sache pas ce que Poudlard représentait pour la jeune femme. Maintenant je me retrouve à devoir l'élever toute seule parce que son père est un c*nnard. Je vois plus personne, j'ai plus personne dans ma vie. Imagine-toi, poursuivit-elle, les yeux humides, son doigt pointant vers l'enfant, à cause de lui je suis peut-être passée à côté de l'amour de ma vie parce que je passe ma vie à changer ses couches et nettoyer son vomi. Avant, je portais de jolies robes, du maquillage, avant j'étais sexy p*tain. Et oui, à la base je devais l'abandonner. Mais quand il est né et que l'infirmière la mit dans mes bras, quand j'ai vu ses yeux, j'me suis dit que j'me sentirais trop coupable de l'abandonner. Alors je l'ai gardé. A cause de moi, il se tape une mauvaise mère alors qu'il aurait put avoir une mère comme l'autre c*nne là ! Et moi, moi j'aurais pu être heureuse. Le flot de mot se tarit quand dans un dernier souffle, elle lâcha : j'étais pas prête p*tain.

L'ancienne Serpentard possédait une immense fierté. Elle avait bien tenté de camoufler les larmes, mais elle avait sentit que c'était peine perdue, elle les avait laisser couler le long de ses joues puis sur son jean tâché. Son regard méprisant quitta alors les yeux de l'adolescente pour se reporter sur l'enfant qui jouait à présent à jeter des cailloux sur les pigeons, se changeant au passage de mélancolie.

La jeune fille l'avait écouté religieusement, sans l'interrompre une seule fois. Tandis que le silence s'installa, la rousse en profita pour essuyer avec sa manche ses joues humides. L'inconnue exposa alors son point de vue sur son histoire. Sa mère l'avait abandonné sans réelles raisons, du moins aucune qui ne puisse être devinée. A cause de cet abandon, elle s'est retrouvée dans une famille de psychopathe qui élève ses enfants à coup de punitions et de doloris. Tiens, pas si moldue que ça finalement...

Heather leva un sourcil, étonnée par ce qu'elle venait d'entendre. Bien sûr qu'un parent avait le droit de de punir son enfant si celui-ci ne se comportait pas correctement. Mais le doloris c'était autre chose. Pour l'avoir expérimenté, la jeune femme savait qu'il fallait vouloir que la personne souffre pour que le sortilège fonctionnement. Cela dépassait largement le cadre de la simple punition qui ne plaisait ni à l'enfant, ni aux parents normaux. C'était sûr qu'à côté de cela, l'ex-Serpentard passait pour une mère modèle.

Soudain, les paroles de la jeune fille l'interpellèrent. Elle se proposa, de manière très maladroite, de babysitter l'enfant si besoin. Elle continua sur sa lancée, déclarant qu'elle était encore jeune et jolie et qu'elle avait le droit d'être heureuse. L'Irlandaise n'était pas du genre à sa complaire des compliments, mais ça faisait tellement longtemps qu'elle n'en avait pas reçu que ceux-ci lui réchauffa quelque peu le cœur, lui tirant presque un sourire. Peut-être que les gens gentils ça existe finalement ?

Ne sachant trop répondre à cette proposition spontanée, la rousse se contenta de répondre avec une voix douce :

- Je sais pas trop, on vient juste de se rencontrer quand même. Pour ce que j'en sais, tu pourrais être aussi tarée que tes parents, et puis tu dois encore être à Poudlard nan ?

Heather espérait ne pas avoir vexée la jeune fille, mais elle pensait vraiment ce qu'elle avait dit. Interdite, elle se contenta alors d'observer son interlocutrice. Elle avait l'air quelque peu absente, éteinte. Elle avait de la peine pour elle. Elle restait jeune et pourtant elle avait l'air déjà beaucoup trop souffert.

- Tu sais, on se connait pas mais si je peux te donner un conseil... Ne te laisse pas faire. T'es une femme, t'es jeune... Si tu te laisses marcher dessus, t'es finie. Y'a que dans les comptes pour enfant où la bonne fée vient t'aider à traverser tout les obstacles. Dans la vie faut se battre. Et pour tes parents c'est pareil. Il profite du fait que t'as peur d'eux pour avoir le dessus sur toi. Ils savent que tu feras rien.

Heather était bien placée pour savoir ce qu'elle disait. Pendant un long moment, c'était elle la tortionnaire.

- La prochaine fois qu'ils croient avoir le droit de lever la main sur toi, répliques. Montres-leur que maintenant, ils sont face à quelqu'un à leur taille. Ça peut faire peur au début, mais au bout d'un moment tu verras, tu te sentiras invincible.

C'était facile à dire pour l'ancienne Garde Chasse. Se rebeller, ça coulait dans ses veines depuis sa naissance. Elle ne se rendait pas compte que pour certaine personne cela pouvait s'avérer bien plus compliqué. Mais étonnant, elle avait vraiment envie de l'aider. Elle avait pas l'air méchante, cette môme !