Entre les rayons

La réponse de l'aiglon m'intrigue encore plus. Les terres d'Été ? Ce simple nom fait rêver. À quoi peuvent bien ressembler des terres d'Été ? En l'écoutant je m'imagine de grandes étendues fleuries et ensoleillées, un vent doux et chaud, un soleil haut et fort. J'imagine l'herbe onduler, l'eau dormir et les âmes danser. Oui, les terres d'Été, ça me plait bien. Pour des terres comme celles-là, je peux bien supporter la chaleur du sud. Quoique pour moi, qui n'ai jamais quitté cette île et dont les yeux n'ont eu de cesse de fixer le nord, L'Afrique c'est plus que le sud. C'est le sud du sud ! Encore plus loin, encore plus chaud ! « C'est génial », je souffle mon commentaire toujours perdu dans mes pensées.

Trop vite, nos deux têtes sont absorbées par Ase. Pour le coup, la rune n'a aucun lien avec un quelconque été. Et Isaac trouve qu'avec la lumière non plus d'ailleurs. Je plisse les yeux, signe de réflexion, en écoutant son explication. Pour lui Ase serait un arbre coupé et les choses coupées n'ont pas de belles origines. Son histoire de corps doubles est très effrayante quand on y pense : cela voudrait dire que l'on est tous... difforme ? Incomplet ? Mais surtout : puni. Pour un péché d'orgueil... Une pointe me tord un peu le cœur, je me sens visé par cette histoire. Surtout que la faute par l'orgueil, ça me connaît bien...

– C’était peut-être d’autres dieux.
Ça sonne comme une excuse. De la part d'un être aussi enjoué d'ordinaire, je m'empresse de le rassurer. « Oh oui, sûrement. C'est qu'il y en a beaucoup aussi, tu sais, des Dieux ! » Vraiment beaucoup, surtout si on compte tous ceux qui ne sont plus priés aujourd'hui mais qui l'ont été un jour. Je me gratte distraitement la joue en contemplant la rune entourée sur le parchemin. « C'est vrai que ça pourrait être un arbre aussi, en fait. » Un arbre... Mon esprit se perd dans une spirale de pensées, d'interrogations, de souvenirs. J'ai l'impression de plongé dans un lac d'introspection et d'y nager pendant des heures tandis que dans le monde réel, il ne s'écoule qu'une ou deux secondes de silence étrange. Ceci dit, dans une bibliothèque, le silence est plutôt courant. « Les Dieux représentés sur cette rune peuvent aussi être rattachés à la figure de l'arbre. Dans la mythologie, un gigantesque arbre relie tous les mondes, de ses racines à sa cimes. Il est le centre de tout et la source de toutes choses. On l'appelle Yggdrasil. Et les Dieux, enfin pas tous, certains d'entre eux, ont une relation bien particulière avec cet arbre. » Il y a tant d'histoires à raconter ! Les fleuves zigzaguant entre ses racines, Odin et son sacrifice pour le savoir, la tête de Mimir surveillant les lieux et comment elle est arrivée là,... Tellement de choses à dire, si peu de temps. « Je peux pas tout te raconter maintenant, ça prendrait des heures aha ! Mais en vrai, tu peux tout à fait y voir un arbre coupé. Par contre, ces Dieux-là ne punissent pas les Humains comme ceux de ton histoire, donc faut pas avoir peur d'eux. »
Asgard est déjà suffisamment mouvementé au quotidien pour que ses habitants se soucient autant de nous, ce qui est une bonne et une mauvaise chose à la fois, si on veut.

Un peu inquiet je me penche tout de même vers lui, ne pouvant m'empêcher de poser la question : « Mais, euh, tu te rappelles de quel genre d'orgueil il était question dans ton histoire ? » Seul ceux qui se savent pécheur ont le ventre aussi tordu à l'évocation de la punition...

Isaac rêve, et Osvald l’accompagne dans ses espoirs. Ils sont si heureux dans cet instant de poésie, d’impossible et de partage qu’ils en oublient la fragilité de l’existence. Ou peut-être ne l’ont-ils simplement jamais connue. Il est tôt, après tout, pour se rendre compte que dès qu’un humain vient à la vie, déjà il est assez vieux pour mourir. Eux n’ont que leurs rires et leurs mots et leurs illusions plein la gorge. Ils tissent des motifs distants de l’agonie que la guerre civile génère autour d’eux. Osvald est son cocon, son refuge.

Pourtant, pourtant les questions religieuses semblent faire vaciller ces mêmes espérances. Quelque chose de froid a soufflé sur leur discussion, et les images mythologiques qui en découlent prennent des formes effrayantes. Des dieux sans miséricorde, des dieux que le monde a oubliés, des dieux aux mille noms et aux visages impalpables. Par chance, et comme s’il tirait les rênes de ce rêve éveillé, Osvald fait glisser les phrases vers un terrain plus doux. A l’évocation mystique d’Yggdrasil, Isaac pose son coude sur la table et se caresse le menton. Il aimerait être un peu moins imberbe, mais ça viendra après. En attendant, laisser les arbres de son aîné le bercer lui suffit amplement.

– Si tu n’as pas le temps de me raconter ça, tu aurais un livre à me recommander ? J’aimerais beaucoup en savoir plus !
Le Serdaigle a également une question, à laquelle son benjamin répond troublé :
– Je sais plus trop. Il y avait une histoire de feu… Faudrait que je relise tout ça. C’était l’action des Dieux Romains, je crois. Ou peut-être des Grecs. Des Dieux du Sud de l’Europe en tout cas. Mais je pense pas qu’ils s’y connaissent autant en runes que toi. Tu m’expliques comment je dois m’y prendre pour en utiliser une ?