A Londres, il y avait des ponts. Des grands ponts, des petits ponts, des ponts célèbres, des ponts levis, des ponts moches, des ponts thons, des ponts qui passaient sur la Tamise, des ponts qui passaient sur une route, des ponts avec des trains, des ponts avec des gens et il y avait le pont d'Ebenezer. Enfin, ce n'était pas son pont à proprement parler, les ponts n'appartenaient pas à de simples mortels, mais c'était celui sous lequel il squattait. Le genre de pont où il n'y a pas que la flotte en dessous mais de la place pour s'y installer. Un pont à clochards en somme sauf que le sorcier n'était pas sdf, du moins pas tout à fait.

Sous ce pont donc, il y avait une tente faite de tissus colorés aux motifs orientaux dépareillés. C'était de la récup, ça se voyait, mais ça avait un certain charme. De nombreux sorts avaient été lancés : des pour imperméabiliser, des pour repousser les moldus, des pour empêcher les voleurs d'entrer, des pour agrandir l'intérieur comme pour toutes les tentes magiques. Le sorcier n'avait pas chômé en matière de sécurité. Normal, cet endroit était sa planque. Il y faisait à peu près ce qu'il voulait en matière d'expériences, de procrastinages ou autre. Là par exemple, il était assis juste devant, à une petite table de jardin empruntée à quelqu'un. Il buvait son café en tournant machinalement les pages d'un vieil exemplaire de Sorcière-Hebdo. Il cherchait la rubrique consacrée à l'horoscope, tant pis si ce dernier était périmé depuis dix ans. Ebenezer avait une passion pour les horoscopes parce qu'en cas de problèmes, il pouvait accuser son karma et n'avait donc jamais rien à se reprocher.

A l'intérieur de sa tente qui s'apparentait presque à un tipis - il aimait ce mot, il trouvait que ça sonnait bien - un chaudron glougloutait. Il concoctait un philtre de paix avec des ingrédients piqués à son école de Médicomagie. Des volutes de fumées s'échappaient des tentures et le brun n'avait qu'à humer l'air pour savoir si tout ce passait bien. Il arriva à la page de l'horoscope, parcourut attentivement le paragraphe concernant les verseaux et referma le magazine d'un claquement sec. Il finit son café et se mit à se balancer sur sa chaise en soupirant. Qu'est-ce qu'il s'ennuyait. Même l'horoscope n'avait prédit que des choses d'une banalité affligeante. Aujourd'hui, vous croiserez des gens, vous en connaîtrez certains. Non, sérieusement ? C'était beau ça comme prémonition, ce n'était pas comme si il reprenait son service à la Tête du Sanglier à 18h et qu'il côtoierait des clients dont certains étaient abonnés aux tabourets du comptoir.

Il balança son magazine dans l'eau, manquant de peu un oiseau qui passait sous le pont. Oh, il avait une idée d'occupation ! Il allait canarder tous les volatiles qui s'aviseraient de voler sous son pont. Il s'assit au bord de l'eau, se fit une petite réserve de cailloux et les lançait en direction des piafs qui passaient devant lui. Il s'ennuyait encore mais un peu moins. A peine moins en réalité. Il soupira un bon coup et reprit sa lapidation. Bim ! Il atteignit un pigeon à l'aile gauche, vingt points ! Puis dix points supplémentaires quand il toucha une sorte de canard à la patte. Un oiseau noir arrivait, il n'allait pas le louper.

j'ai le LA de la chose ♥

Vous ai-je déjà dis à quel point les humains sont d'affreuses et stupides créatures ? Prenez par exemple cette nana, là. Celle avec le chapeau, la cape et les cheveux roux - roux, vous vous rendez compte ? Elle court comme une tarée après son petit ami dans l'espoir fou qu'il revienne. Mais quelle idée. Plaque-le et trouve toi une chèvre, ma vieille. Tu seras moins embêtée. Et on en parle de celui-là ? Le petit gros, avec les oreilles immenses et... ah bah c'est un gobelin, pardonnez la confusion. De tout là-haut dans le ciel, j'suis pas toujours très habile pour reconnaître les espèces. Nous allons donc prendre ma considération comme une vérité générale : les humains sont stupides !

Quelle joie, donc, de n'être humaine qu'à demi ! Et là tout de suite, planant dans le ciel sous la forme du Corbeau, je ne me sens pas humaine du tout. Plutôt d'une race à part - extraordinaire et pleine de beauté. Un nouvel exemple parlant. Ce môme, l'air sale et un peu atteint, le teint cireux. Celui qui lance des cailloux sur les oiseaux. Mais quelle idée, hein ? Faut pas être demeuré pour faire ça ? Tenter de s'en prendre à d'innocentes et candides créatures ? Viens me tirer dessus, morveux, que je te fasse exploser comme un ballon trop gonflé ! Hé... hé... mais je le connais; le môme... ! Ma parole ! J'ai même couché avec y a bien cinq ou six ans de ça ! Quand il était en dernière année à Poudlard, tout juste majeur ! Pas de doute, c'est mon esclave... j'me demande si Lestrange serait toujours à mon service, des années plus tard... a mon avis, faut pas trop compter dessus...

Aïeuh ! Mais c'était un caillou, ça ! Nan mais oh ! Il est passé où, le respect. Je me pose sous une avalanche de petits graviers et reprends forme humaine. Ah tu vois, là tout de suite ça bronche moins... AÏEUH ! L'air un peu catastrophé, je sors ma baguette de ma poche magique - c'est à dire d'entre mes seins, je vise le jeune imbécile et informule un #Oppugno qui lui renvoie toutes ses petites pierres.

- Nan mais sérieux, quoi ! Ebe ! C'est Tina ! Tu fais ch*er !

Je beugle en me frottant la joue, là où j'ai reçu un caillou : faut être franc pas bien dans sa tête pour faire des trucs comme ça.

- T'as rien de mieux à faire ?

Et comme je suis un peu sur les rotules, je jette un #Amplificatum sur son pantalon. Comme ça, avec un peu de chance, il va trébucher et manger le bitume comme un gosse qui tombe de vélo.

Un quart d'heure qu'il jouait à ça et il en était déjà à trois cent points. Il était vachement doué pour canarder les oiseaux, il devrait en faire son métier et tant pis s'il avait les associations contre la maltraitance des animaux sur le dos. Elles ne savaient pas ce que c'était l'ennui ultime. Celui qui poussait à se demander si on devait pas plutôt s'ouvrir les veines au lieu d'attendre que ça passe. Ebenezer était organisé dans son petit jeu, il ne perdait pas de temps, il avait trié ses gravillons par taille, couleur et poids. Par exemple, pour le piaf noir, il allait utiliser un gros caillou gris. Parce que c'était une grosse bestiole. CQFD.

"Et c'est un tir réussi, et oui messieurs-dames ! Ebenezer Lestrange sait viser parfaitement et le caillou d'une trajectoire parfaite a percuté le corbeau !" "Et oui mon cher Nelson, nous venons d'assister à une performance IN-CROY-ABLE, l'oiseau est touché !" Sous les applaudissements imaginaires de ses fans imaginaires, le brun se disait qu'il était tombé bien bas. Surtout que maintenant il avait l'impression que sa victime en redemandait. Ou voulait se venger. Dans tous les cas, le corbeau volait vers lui pour se poser. Le sorcier vida son stock de gravier sur la bête. Vade retro ! L'horoscope disait toujours de se méfier des corbeaux, surtout s'ils ressemblaient à des bureaux. Mais - plot twist ! - ce n'était pas un oiseau, c'était Valentina Boccini. Tant pis, il était sur sa lancée alors il continua à la canarder. Et se fit canarder en retour parce que la vie était injuste et cruelle.

A son tour de se frotter la joue, boudeur. Non, il faisait pas ch*er d'abord, il se faisait ch*er, c'était tout à fait différent. Ok, il abusait peut-être un peu, il aurait pu accueillir son ex prof de DCFM mieux que ça, surtout que ça faisait dix siècles et demi qu'il ne l'avait pas vu. Même plus elle passait à la TS lui donner des pourboires cette radasse qui devenait inquisitrice. Non, il n'avait pas autre chose à faire. Il se releva en grommelant.

- Mais je m'ennuie !

Réponse digne d'un gosse. En retour, son pantalon fit une poussée de croissance, Ebenezer le rattrapa au dernier moment avant qu'il ne finisse au niveau de ses chevilles. Fallait payer pour le strip tease non mais oh ! Pour faire bonne mesure, il lança le caillou qui lui restait dans la main (celle qui ne tenait pas le pantalon sinon ça aurait été embêtant) vers la blonde. Diversion magnifique qui lui permit de sortir sa baguette de sa poche désormais dix fois trop grande.

- Puis qu'est-ce que tu fais sous mon pont ?

Grave, c'était moche comme endroit, il y avait juste le tipi cool et la table de jardin pour relever le niveau. Et c'était loin de tous les trucs intéressants londoniens.

Nuit presque sans lune: seul un tout petit croissant subsistait, le ciel était aux étoiles et aux lumières de Londres. Sous son pont, Ebenezer avait sorti son télescope magiquement amélioré pour ne pas être gêné par la pollution visuelle. Il faisait un peu frais, il y avait du vent. Demain, il pleuvrait certainement mais, pour l'instant, pas le moindre nuage ne venait cacher d'objets célestes. C'était une bonne nuit pour la nécromancie. Enfin, techniquement, toutes les nuits étaient bonnes mais il préférait vérifier, avoir les positions favorables des constellations au dessus de sa tête. Il était un peu superstitieux dans le fond.

Il avait envoyé un mot à Ariana trois jours avant. Il n'y avait que l'emplacement du pont, une date (celle d'aujourd'hui) et ses initiales marqués dessus. Elle devrait comprendre. Puis si ce n'était pas le cas, tant pis pour elle, tant pis pour sa sœur morte. Le brun avait sorti un tapis éliminé de sa tente et l'avait disposé juste devant, à côté de la table de jardin où s’amoncelaient des plants d'herbes folles aux vertus plus ou moins médicinales. Ils s’assoiraient là, nez au vent, protégés du moindre crachin par le pont. Mais il ne pleuvrait pas de toute façon. N'est-ce pas ?

Il aurait aimé faire un truc vraiment classe avec des runes, des sacrifices, mais il n'y en avait même pas besoin. Le manuscrit d'Albert L'Ancien avait tué le glamour des invocations d'esprit. Il n'y avait qu'un simple sort à lancer puis le mort apparaissait, fantomatique. Restait à lui parler ensuite. Mais là, c'était à Ariana de jouer. Après, il pouvait peut-être faire mieux, ramener vraiment la sœur, mais il ne savait pas trop comment. A part les lézards et les boursouflets, il n'avait réussi à obtenir que des cadavres-pantins de ses sessions de nécromancie. Ce n'était pas exactement ce qu'il cherchait... Il trouverait bien un jour, il avait tout le temps.

Il observait les étoiles en attendant la venue de l'ancienne Serdaigle. Il n'avait pas donné d'heure comme ça elle ne pouvait ni être en avance, ni être en retard. Sauf si elle se pointait à minuit passé. Et là, il tirerait la tronche parce qu'il n'aimait pas les gens en avance ou en retard. Il était un sacré chieur en fait. Au loin, des bruits de pas retentissaient. Pas un pas lourd, pas un moldu égaré alors il se dit que ce devait être Ariana. Toute façon, seule Tina savait qu'il avait une planque là et Tina avait disparu avec les corbeaux. Il ne releva pas la tête quand les pas se firent réellement proches. Il se contenta juste de prononcer un mot.

- Bonsoir !

Et mais c'était qu'Ariana jugeait ! Il l'invitait sous son pont, crème de la crème des repère, et elle faisait la meuf hautaine qui n'aimait pas les gars qui vivaient sous des tentes sous des ponts avec un sombral de garde dans le jardin. En fait, qu'elle juge montrait juste qu'elle n'y connaissait rien.

- Oui, entre autre...

Il avait aussi une coloc sur le chemin de traverse où ils étaient ultra serrés donc son pont et son air frais ne lui faisaient que du bien. Le seul réel désavantage était l'absence de cheminée pour utiliser le réseau. Sinon, il n'y avait ni loyer, ni taxe, ni impôt, juste un sombral, une tente et un télescope de récup pointé vers les cieux. C'était bien suffisant pour rendre le Ebou heureux. Il décida qu'il allait jouer au mec sympa, qu'il ne ferait pas de remarques désagréables même s'il les pensait très fort. Parce que si il se montrait tout sage et tout mignon, alors Ariana continuerait de venir le voir pour son projet résurrection.

Il tendit la main vers le tapis, l'invitant à s'y installer. Il y avait deux vieux coussins qui se faisaient face dessus. Il lui demanda si elle voulait boire quelque chose. Il avait des gnomixtur' alcoolisées (niveau panaché hélas) et du soda de branchiflor. Rien de bien folichon, tout piqué à la TS. Il se prit une canette de gnomixtur' et alla s'installer sur un des coussins.

Il posa devant lui le manuscrit d'Albert l'Ancien, lu et relu, annoté dans les marges, corné. Il avait déchiré des pages pour en faire des avions en papier, surtout celles de la préface, il détestait les préfaces, ça ne servait qu'à se faire mousser. Il ouvrit sa boisson dans un pshit et en but quelques gorgées avant de poser ses yeux sur Ariana. Elle avait quand même grandit depuis Poudlard, ce qui était normal quelque part.

- Bon... Je lance le sort, normalement ça devrait tenir une vingtaine de minutes... Avant qu'il ne se retrouve complètement crevé parce que ouais, invoquer les morts était un peu plus compliqué que faire les mots croisés de la gazette. Encore que ça dépendait du niveau de difficulté, ça pouvait virer hardcore, genre la dernière fois... Il dérivait. Je te laisse lui parler, ok ?

Il s'éclaircit la gorge et sortit sa baguette. Brevis Temporis Resurectum Et au début, il ne se passa rien. Ebenezer crut avoir raté, il s’apprêtait même à réessayer quand une silhouette fantomatique s'échappa de sa baguette. Il n'avait plus qu'à tenir maintenant.