La nuit est bien avancée, et tu continues de traîner dans les rues, sans but réel. Exactement comme tu le faisais avant. Sauf que t'étais toujours dans un sale état. Là, t'es clean, et t'as juste ressenti ce besoin de marcher, de retrouver les rues de la ville que tu connais si bien, mais qui ne te connaît plus. Peu importe où tu mets les pieds, t'es dans un endroit familier. La capitale anglaise n'a plus aucun secret pour toi. Tu connais tout aussi bien les quartiers riches que les quartiers mal famés. Les premiers, c'était pour les surveiller lorsque tu te disais encore que tu pourrais devenir riche en un cambriolage chanceux. Les seconds, c'était pour les avoir côtoyés des années durant.

Faut dire que lorsque ta Tante était encore là, tu vivais davantage dans la rue que chez elle. Tu t'y sentais bien mieux, bien plus à ta place. Bien plus libre. Aujourd'hui, tu te rends compte que tu te contentais de choisir quelles chaînes te retenaient prisonnier. T'avais beau te dire que tu faisais ce que tu voulais quand tu le voulais, et que c'était ça la liberté, t'as revu ta définition du terme. Mais tu as de bons moments dans ces rues. Comme des mauvais. Vu ton caractère et ton incapacité à faire réellement parti d'un groupe... Tu as bien failli y passer plus d'une fois pour un simple regard qui ne plaisait pas. Peut être même que tu cherchais volontairement les mauvaises personnes. Tu te sentais vivant après. C'était rare. Mais tu sais très bien que t'as eu de la chance.

Perdu dans tes souvenirs, tu en sors en voyant une silhouette étrangement familière devant toi. Tu n'es pas bien sûr, tu attends un peu. Mais le doute n'est plus permis, alors tu l'appelles d'une voix forte, tu te portes aussitôt à son niveau avec un sourire. Tu ne l'as pas vue depuis longtemps. Depuis ton expulsion de Poudlard en fait. Si tu n'éprouvais avant qu'une haine profonde pour elle, t'as fini par accepter qu'elle veuille te venir en aide. Tu l'observes à peine une demie-seconde. Elle est pâle, les traits tirés, l'air fatigué. L'air... En manque. Ce n'est pas comme si ses addictions étaient tenues secrètes. Mais tu pensais qu'elle avait arrêté tout ça. Avec son fils qui a rejoint le tableau, ça te paraissait logique.

- Z'avez pas l'air bien. Z'allez acheter un truc ? Ou c'est déjà fait ?

Sourire légèrement moqueur. Tu ne la juges pas, tu comprends. Mais tu veux te tenir au courant. D'ailleurs, il est où son gosse pendant qu'elle traîne les rues pour trouver sa dose ?

La réponse d'Evans ne peut pas être plus claire. Elle est raide défoncée. A croire que c'est une habitude pour vous de vous croiser lorsque l'un ou l'autre n'est absolument pas clair. Faut dire que, sans ça, vous êtes bien incapables de vous supporter plus de trente secondes sans essayer de vous entretuer. T'as comme l'impression qu'elle va en rester là, qu'elle va t'envoyer bouler, te dire d'aller voir ailleurs si elle y est. Mais au lieu de ça, elle laisse échapper quelques mots. Qui sont lourds de sens. A eux seuls, ils expliquent son état. A eux seuls, ils expliquent la situation.

Tes mâchoires se crispent. Tu l'as bien vue avec son gamin. Comment elle était aux petits soins, comment elle le surveillait. Comment elle était étrangement... Maternelle. Et t'as tout de suite compris en voyant le gosse. Tu l'as même gardé quelques fois, pour Leo. Même toi t'étais plus responsable en sa présence. Mais voilà, il a fallu qu'il se barre avec, sans donner de nouvelles en plus. En tous cas, t'as rien eu de ton côté. Mais c'est habituel avec Leo. C'est pas la première fois qu'il disparaît, tu devrais être habitué. Mais ça te reste quand même en travers de la gorge.

En plus, tu lui en veux d'avoir embarqué Enzo maintenant. Suffit de voir Evans, c'était totalement égoïste de faire ça. Elle en a besoin de son gosse, tout autant qu'il a besoin d'elle. Tu te demandes vaguement pourquoi elle n'a pas essayé de le récupérer, ou au moins de les suivre. Mais la réponse vient par la suite. Tu pousses un soupir.

- C'pas comme si vous deviez vous battre que pour vous... Z'êtes plus toute seule maintenant. Suffit d'oublier toutes ces conneries et de le récupérer le gosse.

C'est pas comme si Leo était le mec le plus attentif et le plus responsable du monde. D'ailleurs, à sa place, t'aurais peur qu'il soit incapable de gérer le gosse tout seul. Surtout qu'il y a Tim aussi. Les pauvres.

Elle a pu le voir. Donc contrairement à toi, elle a eu des nouvelles. Elle a été tenue au courant. T'es pas jaloux, c'est normal. C'est la mère du gosse, elle méritait clairement de savoir ce qu'il en était. Mais ça n'empêche pas que t'en veux à Leo quand même. S'il lui a donné des nouvelles à elle, il aurait pu t'en donner à toi. Il a juste été trop lâche pour le faire. Au fond, ça ne t'étonne pas de lui. Mais tu pensais être plus important que ça quand même. Pas plus important qu'Enzo, mais plus important que son besoin constant de fuir et de tout lâcher alors même que tout est encore en construction.

Tu te contentes de hocher un peu la tête. Tu te doutes bien que ce n'est pas pareil de pouvoir voir son gosse de temps en temps que d'en être responsable à chaque heure de la journée. Quoi qu'il arrive, elle aura raté quelque chose. Dans son enfance, dans son développement. Et t'es bien placé pour savoir que les années perdues auprès d'un gosse ne sont pas rattrapables. Quoi que... Enzo est encore assez jeune pour n'avoir aucun souvenir de l'absence de sa mère, non ? Faut juste pas que ça dure, voilà tout. Sauf que si elle se fout la gueule à l'envers chaque fois qu'un truc ne va pas, elle risque d'avoir du mal à le récupérer.

La question d'après te surprend légèrement. Tu secoues la tête de gauche à droite tout en lui répondant.

- Non, j'l'ai pas revu depuis que Leo s'est barré sans rien dire. J'savais même pas s'ils étaient encore vivants à vrai dire...

Ouais, c'est quand même une question qui se pose quand on connaît l'énergumène qui sert de père à Enzo. Il a toujours été doué pour se foutre dans des histoires pas croyables et relativement dangereuses. Faut juste espérer que le fait d'avoir la responsabilités de deux gosses l'ait empêché de faire trop n'importe quoi. Et voilà qu'Evans reprend ses lamentations. Elle commence à t'agacer elle aussi. Elle a été capable de t'aider quand t'allais pas bien, et quand tu la vois aujourd'hui... Tu la trouves pathétique. Tu la croyais plus forte que ça.

- Bah maintenant que vous êtes là faut faire en sorte de récupérer tout ça. Et j'suis pas sûr que la drogue soit le meilleur moyen. Enzo a besoin d'une mère, pas d'une toxico de plus.

Tu dis les choses telles qu'elles sont en espérant la faire réagir. Et au pire... Tout ça, ce ne sont pas tes histoires. Tu veux bien essayer de l'aider, surtout vu ce qu'elle a déjà fait pour toi, mais faut qu'elle le veuille elle-même. T'en as marre de perdre ton temps.