Arnaud avait été le Premier Gardien de Castellyn. C'était lui qui s'était chargé de l'acquisition du Manoir. Le Chevalier se souvenait de lui et de ce moment. Pour l'occasion, Arnaud s'était mis sur son trente-et-un, tel un véritable Seigneur en son Domaine. Il s'était tenu là, à attendre devant les grilles. Il lui avait ouvert les portails du domaine. Ils avaient déambulés, s'attardant sans vergognes et partageant ses instants précieux, son ami lui expliquant tout par le menu. Il se souvenait du pli anxieux entre ses sourcils, lui demandant incessamment si telle ou telle chose lui convenait, allant de l'aménagement et de la décoration intérieure. Il n'aurait pu exprimer à l'époque son contentement, ni comprendre tout à fait le soulagement de son ami et son sentiment inexprimé du devoir accompli.

Guéthenoc était le Second Gardien de Castellyn. Il se tenait là où s'était tenu Arnaud. Devant les grilles. Lui aussi s'était mis sur son trente-et-un, tel l'Héritier du Domaine. Il attendait Emilio, rencontré quelques temps plus tôt sous les cieux plus clément de Florence, à la faveur du retour de son voyage en Égypte. C'était Arnaud qui lui avait parlé de ce fringant italien. Il n'avait pas tari d'éloges à son sujet, sans trop s'attarder sur son histoire, livrée goutte à goutte à ses oreilles. Rétrospectivement, il se demandait si son ancien compagnon de route ne lui avait pas parlé de cet homme en prévision de son absence, sachant peut-être prophétiquement qu'il ne serait lui-même plus là pour l'accompagner.

En arrivant en Italie, Guéthenoc n'avait qu'un nom et une adresse. Il s'était confronté à une muraille de prudence. Emilio ne lui avait sans doute ouvert sa porte qu'en raison de la mention du nom d'Arnaud, au delà de son apparence inoffensive. Pourtant, ils s'étaient mis à parler, sans doute comme seuls deux hommes peuvent le faire, malgré la différence d'âge. Une semaine, ou était-ce deux, était passée. L'aigle reprit son envol, avec l'assurance que, bientôt, Emilio se tiendrait à ses côtés, dans les terres plus inhospitalières d’Écosse.

Ce bientôt était arrivé. Plus vite que ne l'avait espérer le jeune Chevalier. L'attente ne fut guère longue. Une silhouette se détachait du paysage, marchant assez lentement, comme cherchant son chemin. Finalement, elle dû reconnaître la propriété, d'après la description que Guéthenoc lui en avait faite, car très vite, sa démarche se fit plus assurée et elle commença à remonter l'allée menant au Manoir.

Profitant de son approche, il détailla le nouvel arrivant du regard. Un sourire naquit sur son visage. La classe à l'italienne. Il fit quelques pas dans sa direction avant de s'arrêter et de s'exclamer, ouvrant largement les bras, en signe d'accueil.

- « Salut Emilio ! Sois le bienvenue en Écosse et en Castellyn ! ».

Il avança de quelques pas de plus, raccourcissant la distance qui les séparait. En cet instant, il se félicitait d'avoir suivi les indications d'Arnaud qui, d'une certaine manière et par delà le Voile de la Mort, continuait à veiller sur lui. A cette pensée, son sourire continua de s'épanouir sur son visage, habitude qu'il aurait pu perdre, comme l'ultime vestige de son enfance à Poudlard qu'il avait laissé derrière lui sans regrets. Une nouvelle vie, une nouvelle aventure s'ouvrait à lui.

Quelle simplicité dans l'attitude, quelle chaleur dans cette manifestation de spontanéité. Ce geste d’amitié lui instillait Force et Espoir en l’avenir. Cela lui paraissait si naturel aujourd'hui. A son grand désarroi, il avait laissé Arnaud desserrer l’étreinte de leurs mains entrecroisées, laissant le Destin glisser entre leurs doigts, comme de l’eau ruisselant d’une pierre émoussée par le travail laborieux mais constant du temps. Aucune supplique, nulles courses éperdues, n’auraient pu changer le cour des événements. Il n’y avait aucun marchandage à entreprendre avec les Moires, encore moins avec Atropos, l’Implacable. Peine perdue.

Cela, il avait fini par le comprendre. Il lui avait fallu tourner cette page écrite en lettres de sang. Il était même temps de ranger cet ancien tome de sa vie pour en commencer un autre. Ne pas oublier. Et se construire de nouveaux souvenirs. Vivre, ainsi qu'Il l'aurait souhaité. Il était aidé par l’accent chantant du cousin d'Arnaud qui lui rappelait les moments passés à Florence, au retour de son expédition en Egypte. Les balades dans la campagne. Les soirées tardives. Un souvenir d’odeurs lui monta aux narines, mélange de vins et d’huile d’olive, avec en fond, une discrète note d’iris. A entendre sa voix, il se sentait de retour en Toscane.

Le sourire de Guéthenoc continua de fleurir sur son visage. La part d'humanité qu'il croyait perdue, bourgeonnait de nouveau. Clotho et Lachésis continuaient de tisser leurs écheveaux, immuablement.

- “Apprend, Emilio, que le plaisir est partagé. Je suis ravi de Te voir ici. Je ne saurai l’exprimer plus exactement ! A la mention de ses affaires, il lui jeta un regard entendu, business is business, avant de poursuivre. Cessons cela, Mon ami. Considères Toi dès à present comme chez Toi. J'espère que Tu T’y sentira bien. Je Te montrerai tantôt Tes appartements”.

Cet joie était quelque peu teintée d'amertume. Le Chevalier se doutait bien que la question d'Arnaud ressurgirait. Emilio et lui en avaient parlé jusqu'à plus soif. Il considérait que toutes interrogations de son ami étaient légitimes. Lui-même en avait encore quelques une en tête, dans la manche et sous le coude.

- “Certes Emilio. Voici Castellyn, la demeure d'Arnaud et Son lieu de Repos…”.

Il lui laissa un temps pour appréhender le site et la situation. Il aurait pu comprendre bien des sentiments venant du toscan, tant la situation revêtait un caractère inédit. Même pour l'Aigle à vrai dire.

LA mutuel.



Mû par l'impulsion d'Emilio, ils remontèrent tout deux l'allée bordée de séquoias et de parterres de fleurs à peine apprivoisées. L'italien semblait impatient de découvrir les lieux et Guéthenoc ne comptait pas se priver de lui livrer les petites anecdotes entourant le Manoir, comme l'avait fait Arnaud pour lui. Il comprenait la hâte du nouveau venu et s'en réjouissait. Il était vrai que Castellyn n'était pas une demeure comme les autres et il ferait de son mieux pour en être un bon guide, comme l'avait été Arnaud. Il devait cesser de penser toujours à lui mais l'endroit s'y prêtait avec force et nostalgie.

- « Tu parles d'or Emilio ! Ton cousin avait choisit Castellyn non seulement pour son emplacement mais aussi pour les possibilités qu'elle avait à nous offrir. Nous avions besoin de beaucoup d'espace... Tu te rendras vite compte des raisons je pense! ».

Il rit doucement, aucunement par moquerie, cette habitude lui étant totalement étrangère mais plutôt par sympathie et de contentement face à la question au sujet de la sécurité du domaine.

- « Pour le moment, je n'ai pas eu à déplorer de nuisances de badauds ou d'indésirables. Outre les grilles clôturant la propriété et les sortilèges de protections usuels, un couple de loups vivent ici en liberté. C'est Arnaud qui recueillis le mâle alors qu'il n'était que louveteau. Et plus tard, il lui trouva une compagne. A eux seuls, ils sont assez dissuasifs ! Je te les présenterai, pour que vous puissiez faire connaissance».

Si Emilio voulait de l'inédit, il ne comptait point lui gâcher ce plaisir. Lui-même ressentait le goût de renouveau qu'apportait la venue du toscan en Ecosse. Cela n'était sans compter l'enthousiasme manifeste que le florentin lui confia sans pudeur. Il ne comprenait que trop bien ses sentiments et cet élan de franchise. Le Chevalier était lui aussi excité par la perspective des aventures qui se dérouleraient hors et dans les murs de Castellyn. A ce propos, ils se tenaient devant Ses portes. Saisissant la poignée, il poussa le battant et affirma :

- « Encore une fois, sois le bienvenue ! ».

Il se tint en retrait, invitant ainsi Emilio à entrer en son nouveau logis. Sans se faire prier d'avantage, il entra, l'Aigle refermant la porte derrière eux. Il lui laissa le temps et tout le loisir d'observer l'entrée, relativement vaste et modestement meublé, au regard du reste des pièces du Manoir. Une fois que quelques instants furent passés, il rompit le silence.

- « Nous voici dans le vestibule. Je le trouve plutôt austère comparé aux autres pièces, même si je pense y ajouter quelques plantes vertes. Tu verras que chaque pièce possède sa propre identité, et sa propre fonction j'imagine. J'espère que tu t'y sentiras vite chez toi. D'ailleurs, voudrai-tu prendre une collation ou te désaltérer ? ».

On ne dirait guère de Guéthenoc qu'il était un mauvais hôte. D'autant plus qu'il s'agissait d'un des cœurs de la maison et il fallait bien commencer la visite par un endroit. Et sans doute rencontrer James, l'elfe de la demeure, au plus tôt...

Le Héraut de la Dame n’aurait su dire mieux. Bien qu’il aimait l’ostentation et le décorum, il savait pertinemment que, souvent, la discrétion était de mise. Il ne s’agissait point de courir la campagne comme une âme vengeresse, équipée de son armure qui pouvait faire autant de bruit qu’une batterie de cuisine, ni de toquer à la porte d’un donjon gardé par un dragon en criant “Hola Messire Serpentin! Nous arrivons pour Vous rosser les écailles!”.  Hélas, il avait encore des efforts à fournir sur ce point. Sans sa cotte de maille, il se sentait comme nu. Il observa son ami pivoter sur lui-même et réalisa ce que représentait Castellyn à ses yeux.

- “Je suis ravi de ton appréciation, Emilio! Laisse-toi le temps d’apprivoiser le Manoir. J’espère que tu finiras par le voir comme je le vois...”.

Au prisme de cette prise de conscience, Castellyn n’était pas une simple demeure, réceptacle de ses souvenirs avec Arnaud. Il s’agissait d’un refuge, d’un rempart et d’un sanctuaire. La demeure revêtait une aura sacrée, qu’il leur faudrait protéger et chérir. Il ne pensait pas à d’éventuelles attaques extérieures mais plutôt au fait de la faire vivre, entretenir sa flamme et la faire rayonner au-delà de ses murs. Il se mit à rire devant l’ardeur du représentant de la famille Clemenza. Son engouement était contagieux. Le Chevalier se sentait prêt à monter sur son destrier pour bouter les démons hors de Britannie mais certainement pas le ventre vide.

- “Allons, je vais m'efforcer de satisfaire ton appétit ! Autant de pitance que d’exploration des lieux. Nous pourrions nous faire des sandwiches et poursuivre la visite tout en nous restaurant, si cela te convient?”.

Quoiqu'il en serait, la première étape du voyage serait donc la cuisine, dans laquelle ils ne tardèrent pas à pénétrer, étant située au rez-de-chaussée. Il aimait cet endroit. Se restaurer convenablement et offrir un repas copieux et savoureux aux chevaliers après une Quêste serait l'une des grandes préoccupations de Guéthenoc.

- “Voici donc la cuisine. Si mes souvenirs sont bons, les boiseries sont d'ébène, mais je ne suis pas un professionnel de la menuiseristerie alors c'est possible que je me trompe… En tout cas, le point d’orgue de cette pièce est la collection d'assiettes. Nous avons récupéré pas mal d'objets des anciens propriétaires. Il paraîtrait que ce service fut offert par un descendant de la Reine moldue Victoria !”.

Il ignorait si Emilio était amateur d’anecdotes historiques. Aussi se demanda-t-il si l’italien goûterait aux plaisirs d’une collection d’assiettes. Il ouvrit quelques placards et en sortit tout ce qui pouvait entrer dans la composition d’un casse-croûte. Il entreprit de garnir une demi-baguette et invita, d’un geste de la main, son ami à l’imiter s’il le souhaitait. Se faisant, il lui posa une question qui le taraudait depuis qu’il l’avait aperçu prendre le chemin du Manoir.

- “Dis-moi? N’as-tu point ramené d'Italie de bagages ou d’effets personnels?”.