Triste jour pour se promener [Abandonné]

Avec Lizzie Bennet
Automne Saison 29

Ce matin, c'est sortie sur le terrain de Quidditch. La pluie abondante dissimule mes larmes et éloigne les âmes égarées qui pourraient venir perturber la mienne. Je n'en ai pas besoin et surtout je n'en ai pas envie. Mes cheveux trempés et collés à mon front sont comme les feuilles des arbres environnants et laissent couler l'eau, impossible d'en absorber plus. La pelouse n'est plus qu'une vaste mare de boue mais je m'en fiche, il faut que je sois seul et il semblerait que ce soit le seul endroit tranquille de ce maudit château.

Voilà une semaine que je suis enfermé là. Une semaine que je regrette la France plus que jamais. Une semaine que je maudis ma mère et son nouveau boulot ainsi que les lettres journalières dans lesquelles elle ne cesse de me répéter que tout ira bien et qu'elle s'inquiète de mon absence de réponse. Si elle est si inquiète, il ne fallait pas m'envoyer dans ce trou à rats du fin fond de l'Ecosse. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Un fantôme de plus qui erre dans les couloirs et les salles de l'école. Je ne parle à personne et fais le strict minimum vital. Je ne passe qu'un maigre quart d'heure dans la salle de bain tous les matins alors que je pouvais passer jusqu'à une heure en France. Je n'ai même plus la force de me plaindre.

Devoir quitter toute une vie construite du jour au lendemain pour tout recommencer à zéro est dur. Surtout que tout me souriait et que ma vie était déjà tracée pour quelques années. Mais le sort s'acharne contre moi et après la perte de mon père, me voilà qui perds mon pays, mes amis, ma carrière et ma vie.

De rage, je donne un grand coup de pied dans le poteau d'un des anneaux. Malheureusement, il est plus fort que moi et une puissante douleur m'irradie l'orteil. Même ça c'est loupé... Frustré, je repère un banc sur lequel je vais m’asseoir, les yeux dans le vide et mon esprit qui broit du noir.

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her name is spectacular spectacular

J’ai dans le coeur des impulsions de vie, des envies de faire tout ce que je n’envisageais pas avant. Et la peur de mal le faire, aussi. Alors que par le passé, c’était plus simple. J’étais connue comme une meuf pas fiable. A ce titre, je ne pouvais décevoir ; on ne s’attendait à rien de ma part. Au contraire, lors que je faisais quelque chose de bien, cela prenait vite des teintes de miracle, un truc incroyable, comme si j’avais redonné une foi en la vie à l’autre. La bonne blague quand même.

Non, aujourd’hui mon rôle est tout autre. Je suis arrivée à Poudlard avec le sentiment d’une redevance immense envers ceux qui m’avaient aidée à me remettre sur pied ; et, surtout, le besoin d’aiguiller les jeunes. Pour que jamais ils ne finissent comme moi. C’est un peu triste à dire, mais il y a quelques années, j’ai fait un cauchemar où Kholov me faisait revenir à Poudlard. Je devais parler devant une foule immense et expliquer ce qu’il ne fallait pas faire en matière de sexe. Donc, déjà, le faire sans protection, parce que voilà, j’avais pas vingt ans que j’étais déjà enceinte quoi.

Par chance, j’ai depuis acquis de nouvelles compétences ; je peux aider les jeunes avec autre chose que les conseils basés sur mes expériences sexuelles. Sauf que : la théorie c’est cool, la pratique c’est plus complexe. Comment on fait quand quelqu’un pleure ? Quand quelqu’un a peur ? J’essaie d’apprendre, vous savez. Déjà avec les petits, j’ai dû apprendre. Mais ce sont les miens. Pour l’heure, je les connais mieux que je me connais. La puberté changera sans doute les choses. Quant aux élèves de Poudlard, c’est toute une autre histoire... Et pour établir un lien sincère avec eux, la route est longue.

C’est pourquoi je me suis rendue sur le terrain de Quidditch ce jour-là. C'est beau d'avoir en tête plein de rêves nocturnes, de vouloir lier les âmes comme des constellations, mais je ne m’y connais pas assez pour organiser un cours pareil sans une petite séance de préparation du terrain. D'autant que si je m'y prends bien, peut-être ne serais-je pas seule. Saviez-vous qu'Ulysse était devenu prof d'Astronomie ? Avec ça, le potentiel qu'on a du côté des cours barrés ! En tenue de sport, je trotte vers la réserve de balais que j’ai dissimulé plus tôt derrière les gradins.

Peu après que je sois de retour sur le terrain, j’entendis un grand « doooong. » Je pivote, surprise, et réalise qu’un élève vient de frapper dans les anneaux. Ah. D’accord. Là comme ça, ça lui a pété. Soufflant par le nez, j’embarque mon balai dans sa direction.
— Tu sais, si tu veux faire des percussions, y a des instruments plus adaptés que les anneaux de Quidditch... dis-je avec un sourire.

— Tu sais, si tu veux faire des percussions, y a des instruments plus adaptés que les anneaux de Quidditch...

Cette phrase sonne à mes oreilles comme une provocation. Je ne sais pas qui est la personne qui l'a prononcé mais elle fait une erreur. Je suis venu ici en pensant pouvoir être tranquille et voilà que quelqu'un vient me déranger. Même ici ! Ce château finira vraiment par me rendre dingue. Toujours à moitié entrain de me noyer dans mes larmes de haine et de tristesse, je lui lâche sèchement sans la regarder :

- Hé bah dis-moi, super humour que vous avez en Angleterre ! T'as pas l'impression de déranger par hasard ?

Les mots sont sortis un peu plus vites que réfléchis. Je ne sais pas ce qui cloche chez moi. Certes, je ne suis pas le plus gentil mais ce n'est pas mon style d'être méchant comme ça, ce n'est pas moi. Je suis à bout et j'ai l'impression que ce pays, cette météo et ces gens font tout pour me faire péter un câble. Comme si c'était un jeu national. "Énerve le français !" Qu'est-ce qu'on s'amuse, youpi ! Je décide quand même de regarder la personne qui vient de s'adresser à moi et réalise qu'il s'agit d'une professeure.

C'en est trop pour moi, et mes sanglots redoublent d'intensité pendant que j'essaye de lui bredouiller ce qui semble être un pardon. Depuis quand suis-je comme ça ? Pourquoi est-ce que cela m'arrive à moi ? J'avais tout ce que je voulais et voilà que je me retrouve sans rien et sans personne pour m'aider à supporter tout ça. Mon père est loin, ma mère est trop présente et tous mes amis sont restés en France. Quand à me faire des amis ici, c'est peine perdue. Je n'aime pas rencontrer de nouvelles personnes, devoir m'ouvrir de nouveau, essayer de leur montrer que je peux être sympa même si j'ai des exigences. Ici, tout le monde juge trop vite. Certes j'ai fait la rentrée avec des vêtements de haute couture mais est-ce que ça fait de moi un c*nnard ? Demandez-au moins, vous serez fixés.

Bref, rien ne va et voilà que maintenant je risque d'être collé ou expulsé pour avoir mal parlé à une prof. Peut-être qu'au moins, ma mère comprendra que je ne me sens pas à ma place et que j'étais mieux en France, avec des gens qui me comprenaient et m'acceptaient.

Plus je parle, plus c’est pire. Damn it, Lizzie. Le garçon se noie dans son chagrin, et je sais pas trop comment réagir. Je ne sais pas gérer les émotions des gens. Chacun ses capacités et difficultés ! Tenez, par exemple, les enfants ont souvent du mal, dit-on, avec la prononciation du L dans le son KL. Il est plus rare que le problème se pose avec le KA, mais c’est ce dernier qui trouble Squirtle. Il a un cheveu sur la langue.

Par exemple, il ne dit pas câlin mais chalin. Je trouve que cela lui va bien : avec son regard mélancolique, on lui imagine bien des chagrins et voudrait le couvrir d’un doux lin. Je ne crois pas qu’il ait besoin de couverture : je crois qu’au fil de ses rêveries il a appris l’art de la mélancolie heureuse. Il lui est difficile de suivre sa pétillante sœur, mais j’ai l’impression que son univers imaginaire est bien plus vibrant et joyeux que le nôtre.

La mine rêveuse, fuyant la détresse de mon interlocuteur, je songe : pourvu que cela dure, ces sourires. Leurs sourires face à toutes les épreuves que la vie leur réserve. Je sais pas ce qui lui arrive, au gosse que j’ai face à moi, mais il n’a pas leur résilience, leur force de vivre.
- Déso, je suis pas douée avec les gens qui pleurent. Tu veux un ptit sort d’allégresse ? J’trouve que ça marche du tonnerre.

L’espoir, la persévérance, l’amour de la vie…. Sont-ce des talents que l’on laisse dans l’enfance ? Que l’on perd lorsque l’on se rapproche de l’âge fatidique des grandes personnes ? Comment l’aider à les récupérer, y a-t-il vraiment d’autres méthodes que l’Allégresse et l’Oubliette ?

J’expire par les narines et m’assieds à côté de lui. Maladroite mais honnête, je reprends :
- Ou alors tu peux parler, aussi. Mais je suis pas sûre de savoir répondre. Lizzie et le tact, partie 49.

Je suis stoppé net dans mes sanglots. On m'a toujours dit qu'être enseignant c'était avant tout un métier basé sur la relation avec l'autre. Quelque chose qui dépassait le simple fait de transmettre un savoir et qui avait aussi pour but d'échanger avec les élèves. Mais pour cela, il faut être compétent. Sans remettre en cause les capacités à enseigner de Miss Bennet, à quel moment est-ce qu'elle s'est dit que lancer un sort d’allégresse sur un enfant qui pleure est une bonne idée ? Est-ce comme ça qu'elle élève les siens ?

En tous cas, à défaut de sort, la surprise a fait son effet et je ne pleure plus. Je suis toujours aussi triste mais peut-être serai-je maintenant un peu plus compréhensible. Elle ne semble pas m'avoir tenu rigueur de mon agressivité. D'autres n'auraient pas été aussi patients. Je me souviens d'un prof de l'académie française qui était plus du genre à lancer des parpaings sur les élèves que des sorts d'allégresse. Il m'avait une fois jeté un regard si noir que j'en étais tombé de ma chaise. Comme quoi, chaque pays ses méthodes. J'esquisse un sourire en pensant à mon ancienne école. Tout le monde là-bas, même ce professeur, me manque.

Je jette un oeil à la Bennet qui s'est assise à côté de moi, dans la boue du terrain. Je n'avais même pas fait attention que j'étais par terre. Elle semble elle aussi s'être rendue compte de son erreur et de son manque de tact. Je ne sais pas ce qu'il me prend mais je me rapproche inconsciemment d'elle. J'ai besoin d'un contact humain et elle est là, prête pour me réconforter ou au moins prête à m'entendre ouvrir mon coeur.

Je ne sais pas trop quoi vous dire. Rien ne va depuis que je suis là. Ma mère a déménagé en Angleterre pour son travail et j'ai du la suivre. Malheureusement, je n'ai pas pu continuer à suivre les cours de Beauxbâtons et me voilà. Je lui en veux et je ne lui ai pas parlé depuis la rentrée, persuadé que c'est de sa faute si j'ai tout perdu. J'étais mannequin en France vous saviez ? Et même si au fond de moi je sais qu'elle fait de son mieux, je ne peux pas m'empêcher de lui en vouloir.

C'est fou comment le cœur se libère quand on exprime ce qui pèse dessus. En tous cas, j'espère pour elle qu'elle a toute la nuit parce que maintenant que j'ai commencé, je sens que je ne suis pas prêt d'arrêter.

Petit à petit, le coeur fendu laisse couler ce qui a besoin d’être dit, d’être sorti hors de lui pour être un tant soit peu exorcisé. C’est comme un fondant au chocolat, mais version tristesse. Victime d’un dépaysement trop violent, d’un isolement, de l’abandon contraint d’un métier qui lui plaisait…
— C’est déstabilisant, de perdre ses repères. Surtout quand on est pas à l’origine du changement.

Hocher la tête. Un simple constat. Inutile, il vient de tout dire. Je devrais me taire. Il est déboussolé, ce petit. Faut que je lui trouve quelqu’un à qui se fixer, un camarade de galère qui devienne son meilleur ami pour la vie, et le tour est joué. Non ? C’est pas si simple ? En tout cas, je pense que ce serait un bon début, de sentir qu’il n’est plus seul. Car mine de rien, il a quitté la France pour intégrer un internat où il ne voit que rarement sa mère : je pense que la priorité est la solitude.

Pour cela cependant, il faudrait que j’en sache plus sur ses intérêts. Est-ce qu’il aurait pas moyen de se rapprocher d’une association telle que LEGIT ? S’épanouirait-il mieux dans un club de bavboules ? Les goûts communs, ça rapproche, surtout à cet âge. C’est un début de conversation assuré. Oh j’ai bien entendu, tu aimes les carottes ? J’y crois pas, moi aussi !

Songeuse, je reprends bientôt :
— Pour le mannequinat… Tu écris toujours à tes contacts français ? Tu as rencontré du monde ici ? Je connais une fille qui travaille dans ce milieu, je peux m’arranger pour que tu la rencontres si tu veux. Elle aura peut-être des pistes pour te lancer dans cet univers de l’autre côté de la Manche.

Je pose une main maladroite sur son épaule. Qu’ajouter, en vérité ? Ce n’est pas grand chose, mais c’est un début. Plus il parle et plus je pourrais l’aider. Plus je pourrais l’aider, moins il pleurera. Moins il pleurera, plus vite il libérera le terrain de Quidditch. Oui, j’ai des choses à faire. Vous vous attendiez peut-être à mieux, à des considérations émotionnelles importantes, à de pieuses paroles ou des citations philosophiques ? Vous savez bien que je ne suis ni un puits de sagesse ni une sentimentale, non ?

Je peux donner des conseils pragmatiques, mais si c’est pour discuter des sentiments, je risque surtout de cracher les miens, mes démons et mes peurs, mes pulsions et mes incertitudes. C’est bien pour ça que je ne suis pas psychomage : coacher des gamins, leur apprendre à voler et s’amuser, c’est une chose, les aider à se comprendre, à se fourrager l’esprit et à aller mieux, c’est un peu hors de ma portée. Je crois même qu’il y a des études pour ça.

Finalement, cette prof n'est peut-être pas si mauvaise que ça. Elle a l'air de me comprendre, au moins un peu. Ou alors elle fait complètement semblant mais je m'en fiche, au moins il y a quelqu'un. Un peu de chaleur sous cette pluie diluvienne et entre les pierres de ce château dans lequel je suis comme un étranger. J'aurai aimé trouver quelqu'un avant de craquer mais l'essentiel est que quelqu'un soit là maintenant.

Ses paroles me font réfléchir. Je devrai essayer de m'ouvrir un peu plus. Ici à Poudlard, je suis plutôt renfermé, à aboyer sur les gens dès qu'ils m'adressent la parole. Étonnant que je n'ai pas d'amis. Les seuls gens qui me sourient quand je les croise sont ceux à qui je n'ai jamais parlé encore. Sinon, ils me jettent des regards noirs en se disant que je suis vraiment le dernier des cons. Je jette un oeil à la borgne assise à côté de moi.

Nan j'ai coupé les ponts pour ne pas souffrir de la distance. Savoir qu'ils ont potentiellement des contrats que je ne peux pas honorer m'aurait fait trop mal. Et sinon je veux bien oui si ça vous dérange pas, merci Miss Bennet.

C'est vrai que je n'avais pas pensé à ça. Pourquoi ne pas renouer avec ce qui me faisait vibrer en France ? La mode, la musique, les arts. Certes, les anglais sont moins raffinés mais ce n'est pas une raison pour tout rejeter en bloc sans rien tester. Peut-être que cela me permettra d'être moins à cran et de ne plus agresser tout le monde. Qui sait, je me ferai peut-être même des amis ! D'ailleurs, je ne sais même pas s'il y a d'autres français dans l'école, c'est une très bonne question. Nous pourrions faire des soirées "Notre pays est mieux que le votre" en critiquant les leggins léopards ou les tartes à la viande.

Et vous Miss, vous avez des hobbies à part le Quidditch ? Pourquoi ne pas commencer par cette prof d'ailleurs ? Je déteste sa matière mais elle n'a pas l'air méchante et même si elle ne deviendra pas une amie, il est toujours utile de bien s'entendre avec le corps enseignant.