Talons noirs avec quelques dorures, une combinaisons simple et fluide noire, pas de bijoux à part des boucles d'oreilles pendante en or. Cheveux au naturel. Maquillage nude. C'était tout ce qu'elle avait consenti à faire pour se rendre belle, à l'occasion de cette soirée qu'elle aurait préféré éviter. A 23 ans, elle n'avait pas honte de le dire, elle était trop vieille pour sortir en boîte de nuit. Elle n'aimait ni les gens, ni l'ambiance, ni le lieu.

Si elle se retrouvait là, c'était uniquement parce qu'elle n'avait pas eu le cœur de dire nom à deux de ces amis. Connaissance amicale serait sans doute un terme plus approprié. Quoi qu'il en soit elle se retrouvait là, seule au milieu d'une piste de danse pleine à craquer. Margot et Marine s'en étaient allées chercher un verre, cela devait bien faire une demi-heure. Et n'ayant plus de nouvelle d'elles, Galatéa avait simplement fini par se dire qu'elle avait été oublié.

Cela voulait-il dire qu'elle était libre de rentrer dormir ? Il n'était pas encore deux heures, mais elle en avait marre. La musique lui perçait les tympans. La lumière, sous forme de flash, lui brûlait la rétine. Elle était bousculée de tous les côtés, avait chaud, sentait la transpiration des autres lui piquer le nez.

Sourde, aveugle, sale et maltraitée... voilà ce que la boîte faisait d'elle. Finalement, le plus drôle de la soirée avait été lorsqu'un ivrogne de 37 ans venu de l'autre bout du pays juste pour faire la fête l'avait invité forcé à danser avec lui. En tout bien tout honneur. Galatéa dansait pourtant -si compter qu'on puisse considérer les trois pas qu'il était possible de faire comme de la danse-, fixant un point dans le vide droit devant elle. Si l'appétit vient en mangeant, peut-être que la fièvre du samedi soir vient en dansant ?

Si dans dix minutes les filles ne revenaient pas, elle s'en irait.

En fait, c'était une très mauvaise idée. Depuis quelques temps, Aysha s'évertuait à sortir de sa zone de confort en privilégiant l'autonomie et l'indépendance. Elle avait décidé qu'il était temps pour elle de se défaire de son besoin des autres et de son horreur de la solitude. Elle ne supportait plus cette nécessité constante qu'elle avait, depuis des années, d'être entourée. Elle avait donc décidé de se mettre un coup de pied aux fesses et de faire des choses seules, pour une fois. Elle voulait être sa meilleure et propre amie.

Cependant, il fallait bien admettre que sortir seule en boîte n'avait rien d'amusant. Elle avait peut-être un peu trop poussé le côté femme indépendante. Certes, il était bien de ne pas vivre aux crochets émotionnels des autres, mais l'humain était avant tout un être social, et il prenait un plaisir particulier à faire toutes ces choses amusantes entre amis. La boîte était le lieu même où on ne venait pas seul. La préfète avait probablement poussé sa volonté d'autonomie un peu trop loin.

Désormais, elle était là, debout, non loin de la piste de danse, observant d'un air mal à l'aise les gens qui se déhanchaient sur la musique ou partageait un verre sur les petites tables qui parsemaient la boîte. La musique était - évidemment - assourdissante, l'atmosphère fétide et étouffante. Et maintenant qu'elle était là, que faisait-elle ? Elle ne pouvait décemment s'asseoir seule à une table, ç'aurait été vraiment triste. S'asseoir seule au bar était plus acceptable, quoiqu'un peu désespéré. Elle ne voulait pas passer pour une ivrogne esseulée. Elle aurait aussi bien pu tenter de sympathiser avec des gens, mais ça n'avait jamais été son fort. Elle était timide, oui. Et elle avait une sacré tendance à avoir de mauvaises idées.

Légèrement mal à l'aise, elle se dirigea tout de même vers le bar. Avoir un verre à la main lui donnerait probablement l'air moins bête, en tout cas, elle saurait quoi faire de ses bras. Elle se maudissait d'avoir une telle incapacité sociale. Elle savait que certains de ses amis auraient déjà fait ami-ami avec une bonne dizaine de personnes ici, mais voilà, elle n'était pas comme ça. Elle regrettait déjà d'avoir mis cette jupe longue plissée à paillettes qui l'empêchait de se fondre dans la masse. Pour être tout à fait honnête, elle était pleine de contradictions, et son excentricité générale allait toujours à l'encontre de sa timidité. Elle chercha un tabouret libre au bar, ou même un petit interstice dans lequel elle pourrait se glisser pour commander, mais des dizaines de sorcier.es s'agglutinaient devant le comptoir. Elle abandonna aussi sec. En se retournant elle manqua de percuter une jeune femme qui était debout, le regard dans le vide, l'air un peu hagard.

- Oh, salut, désolée.

Elle la détailla un instant et jeta un regard furtif autour d'elle pour repérer d'éventuel.les partenaires de boîte. Non, elle semblait seule. Elle aussi. C'était peut-être sa chance.

Des efforts, elle en fit. Pourtant il ne lui fallu pas plus de quelques minutes de danse en solitaire pour savoir que sa soirée ne pourrait pas aller à s'améliorant. Être cognée de toute part l'agaçait sérieusement. Se frotter à des gens trempés de sueur la répugnait. Elle voulait rentrer, et en même temps, elle avait la désagréable impression qu'elle devait rester. Car à son âge on était supposé vouloir et aimer s'amuser, non pas aller se coucher. D'un autre côté, elle était loin d'avoir une vie de jeune normale.

C'est sur cette certitude que la sorcière décida de mettre un terme définitif à son séjour sur la piste. Elle attendrait sagement de revoir ses deux amies sur le côté, les avertirait de son départ, puis partirait sans regret. Seul problème, c'est que même une fois mise à l'écart, on trouvait toujours le moyen de la percuter. Cette fois Galatéa laissa échapper une grognement rageur. Se tournant vivement vers la jeune femme responsable, elle lui jeta un regard assassin.

- Oh, salut, désolée.

La Peverell détailla brièvement son assaillante avant de se laisser envahir par le remord. Elle y était peut-être allée un peu fort, plus encore s'il s'agissait d'un accident. Il y avait du monde après tout, ne pas se toucher était impossible. Quelqu'un pouvait très bien l'avoir pousser en premier. Qui sait ?

La sorcière assura alors que ce n'était rien de grave, offrant un grand sourire en prime.

- Désolée de m'être énervée ! Cria-t-elle par dessus la musique.

La jeune femme qui lui faisait face n'eut pas, de prime abord, une expression très joyeuse. Elle ne répondit pas tout de suite à son salut et un éclair d'énervement sembla passer dans son regard. Aysha sentit le rouge lui monter aux joues. Elle ne supportait pas que quiconque ait des raisons de lui en vouloir, et elle savait que cela faisait d'elle une personne particulièrement vulnérable au regard des autres. C'était l'un des points sur lesquels elle espérait s'améliorer avec le temps, mais c'était mal parti. Cependant, la jeune femme retrouva un visage souriant presque aussitôt et s'excusa. Soulagée, la préfète esquissa un sourire maladroit. Elle ne put s’empêcher de détailler son interlocutrice, même si la pénombre et les lumières vacillantes ne lui facilitaient pas la tâche. Elle était habillée de manière bien plus sobre qu'elle et, il lui sembla soudain que c'était le cas, de manière probablement bien plus appropriée. Ou peut-être pas. En fait, elle ne cessait de changer d'avis.

- Tu es ici toute seule ? finit-elle tout de même par bredouiller, soucieuse de ne pas laisser s'éterniser ce silence gêné.

Elle ne releva pas le grognement de la jeune femme et ne répondit pas à ses excuses. Ce n'était pas bien grave après tout. Elle n'avait eu qu'une réaction naturelle à cette bousculade. Elle espérait intérieurement qu'elle lui répondrait que oui, elle était seule, et qu'elle s'ennuyait un peu, et qu'elle n'était pas contre une partenaire de soirée. Elle était probablement plus âgée qu'elle, mais avait un air désormais avenant. Après tout, Aysha était aussi venue là pour sortir de sa zone de confort. Cela impliquait de parler à des gens, de faire des nouvelles rencontres, bref, d'être un minimum sociable. Elle était en bonne voie.

- Tu veux boire quelques chose ?

Elle espérait surtout ne pas se voir opposer un refus qui la mettrait dans une situation délicate. Elle se retrouverait là, bras ballants, toute seule. Elle se promit intérieurement que si sa tentative d'approche échouait, elle quitterait la boîte au plus vite. Tant pis pour son défi personnel, elle avait fait de son mieux. C'était déjà ça.

Galatéa observa de droite à gauche, les personnes présentes autour d'elle avant de répondre positif à la première question. Elle avait vaguement eu l'espoir de repérer ses deux amies, ainsi elle aurait alors put mettre un terme à ce calvaire, mais rien. La sorcière devait bien reconnaître, qu'au fond, elle avait rarement été aussi seule. Misérablement abandonnée. Franchement, c'était pathétique.

- Tu veux boire quelques chose ?

Elle ne se donna pas la peine de crier sa réponse, préférant hocher la tête positivement. De toute manière elle n'avait pas comprit la moitié des mots. Juste "boire" avait suffit. Un bon verre lui ferait sans doute oublier. Jouant de coudes et de mains, le duo solitaire arriva jusqu'au bar bombé, du ensuite forcer la main au serveur pour être servit rapidement.

Encore une fois : un calvaire. Mais la sorcière devait bien admettre qu'elle était heureuse de ne plus être seule. Cette inconnue égayait largement sa soirée au point de la convaincre de rester encore un peu. Cependant, hors de question de rester dans le passage. D'un mouvement de tête, et une fois les verres en main, la Peverell fit signe à l'autre de la suivre jusque dans un lieu plus calme et plus frai.

Enfin ses oreilles cessaient de bourdonner. Enfin ses yeux arrêtaient de souffrir. Enfin elle pouvait parler et entendre convenablement. Pour autant, la musique continuait de se faire largement entendre. Et le lieu, n'était pas le plus agréable, le plus beau non plus. A quelques mètres des toilettes, en direction soit de la sortie, soit d'une autre salle.

- ENFIN ! Par Merlin, je n'en pouvais plus de cette salle. Au fait, je m'appelle Galatéa.

Voilà qui sonnait particulièrement faux... Elle ne s'y était pas encore fait, à ce changement de nom.

- Ton groupe ta lâchement abandonné aussi ? La sorcière trempa ses lèvres dans le verre qu'elle avait commandé et payé bien trop cher, avant de lâcher une grimace. Oh noooon... C'est coupé à l'eau...

Elle qui avait espéré quelque chose de bien plus fort... Elle était toujours un peu alcoolique sur les bords.