La journée n’est pas complètement finie, mais pas complètement terminée non plus. Les cours le sont, oui les élèves n’ont plus d’autres emplois du temps à suivre que celui qu’ils se créent dans leur tête pour vaquer à leurs occupations qui vont de devoirs dans le calme à bavardages entre camarades en passant par faire l’idiot ou juste rester assis sans rien faire. On voit vraiment de tout quand on prend le temps d’observer. Et ce temps-là, je le prends régulièrement, ça vaut le coup parfois pour dessiner car il arrive que les élèves fassent des choses amusantes. Dans la Grande Salle notamment, là où on peut étudier la journée mais sans s’attendre à avoir beaucoup de calme car certains élèves ne voient pas cet endroit comme un lieu de travail. Ou dans le parc aussi, là le calme est plus qu’impossible. Une fois, il y avait des plus grands qui semblaient faire le concours de celui qui tiendrait le plus longtemps immobile dans des postures compliquées, et comme ils tenaient plutôt bien j’en ai profité pour dessiner, c’était rigolo car en plus ils ne me voyaient pas alors j’étais tranquille. De toute façon, on me voit rarement. Parce que je suis petite ou bien parce que je suis silencieuse ? L’un dans l’autre, ça revient au même : je suis tranquille la plupart du temps. Mais ça n’empêche pas les autres de faire du bruit ! On dit que les plus petits sont souvent les plus bruyants, mais sérieusement, les plus grands ne sont pas mieux…

Et dans la Salle Commune de ma "maison", il y a des énergumènes aussi. Manger le soir ne les a pas calmés, les nuages sombres accompagnés par la pluie frappant les fenêtres dehors non plus, ni le fait d’être à Serdaigle qui est censé rassembler les élèves travailleurs. Certes pas seulement, et apparemment la partie créative s’associe pour plusieurs personnes au bruit. Mais il faut faire avec, bien que ce soit embêtant parfois, je n’ai pas l’intention de travailler ce soir. Entre le début de fatigue de la journée, le chant de l’eau qui tombe partout dehors, et le crépitement du feu allumé pour apporter la chaleur et repousser le froid de l’hiver, il y a trop de distraction pour essayer de me concentrer un tant soit peu sur du travail rajouté par moi-même. Je préfère sortir mon carnet, assise sur le sol près de la cheminée, pour gribouiller dessus. Ce soir, c’est Dragon de flamme, je l’ai vu dans le feu il y a quelques secondes mais il a vite disparu, car chaque seconde qui passe change les flammes qui deviennent plus ou moins hautes, orangées ou plutôt jaunes. Toutes différentes, les flammes ont formés le dragon qui est apparu et a semblé sourire avant de disparaître aussi vite qu’il était venu. Fin ou gros ? Il n’est pas resté longtemps. Donc je le fais comme je veux !

J'ai super bien mangé. Comme toujours à Poudlard. Il faut dire ce qui est, les Elfes de Maison ici sont de véritables chefs ! Il faudrait que je songe à aller les remercier un de ces quatre. Ces petits êtres si soumis méritent bien que leur talent soit révélé au grand jour et reconnu, surtout par quelqu'un comme moi. Etant parfaitement parfait, un compliment venant de moi en vaut facilement le double d'une personne lambda, sûr qu'ils seraient hyper contents d'en recevoir du coup. Peut-être même que je pourrais leur offrir un vêtement en même temps. Pas grand chose, mais un bonnet ou une casquette que je ne mets plus, ils seraient probablement ravis, et moi ça débarrasserait un peu ma penderie.

En tous cas, une fois de retour dans la salle commune, je me sens en pleine forme malgré la digestion. Bon, je ne me sens pas de faire tout un spectacle de grande gymnastique juste après le repas, mais ça ne m'empêche pas de montrer à tous mes petits camarades bleus que je suis là et qu'ils ne doivent pas hésiter à me regarder. Ce qui passe notamment par grimper debout sur un fauteuil sans me soucier d'avoir encore mes chaussures aux pieds tout en prenant la parole d'une voix forte.

- Oyé oyé, camarades ailés ! J'espère que votre repas s'est bien passé. Mais que de sérieux dans cette salle... Ne savez-vous donc pas vous amuser ? Êtes-vous tous en train de mollement digérer ? Par Merlin, un peu d'enthousiasme !

Je n'ai pas envie de m'ennuyer ce soir. Les Aigles ont tendance à être bien trop sérieux à mon goût. Moi, j'ai besoin que ça bouge, que la musique résonne, que les gens soient heureux et rient autour de moi. J'aime le bruit, le monde du spectacle. Ici, il n'y a que des rats de bibliothèque. C'est déprimant. J'aurais encore préféré finir chez les Poufsouffle, c'est pour dire. Je suis sûr qu'eux au moins savent s'amuser. N'ayant que peu de réactions si ce n'est quelques regards courroucés, je redescends de mon fauteuil après avoir analysé la salle.

Je dois absolument trouver quelqu'un à embêter. Ou du moins avec qui discuter. Quelqu'un à entraîner avec moi pour rendre de la vie dans cet endroit. Tous ceux qui travaillent sur les tables, c'est fichu. Il n'y a plus rien à faire pour eux, c'est fini. Ils sont totalement happés par la folie poudlarienne qui pousse à donner le meilleur de soi pour sa maison et ses notes. Drôle d'idée. Mais s'ils aiment à ce point s'enfermer dans leurs bouquins, grand bien leur fasse. Mon dévolu se jette sur une gamine par terre à côté du feu, en train de dessiner. Je viens me placer à ses côtés, restant debout.

- Bah alors, tu sais que tu paierais pas plus cher avec une chaise ? Il est joli ton dragon.

Hop, première phase : l'amadouer. Après, je verrais ce que je peux tirer d'elle. Les petits sont soit très manipulables, soit très à cheval sur les règles. Il n'y a plus qu'à savoir dans quelle catégorie elle se range.

Les couleurs, c’est assez relatif. Ou subjectif ? Il y a tellement de teintes de jaune, de orange, de rouge, de bleu, de violet, de vert, de… De tout en fait ! Oui vraiment, chaque couleur existe sous différentes couleurs encore, et le dessin n’est pas le même selon la teinte choisie. Foncé ou clair, plus tourné vers le bleu que vers le violet, et l’interprétation est forcément mauvaise. Et même si l’on peut trouver plusieurs interprétation aux couleurs d’une œuvre, je trouve plus intéressant de choisi ce que je veux dans ce que j’ai.  D’ailleurs, c’est presque impossible de faire deux fois le même dessin, rien que les formes tracées sur le papier sont difficilement reproduisibles, et à chaque nouvelle production il y a forcément un détail, même minime, qui change. C’est bien pour ça que dessiner mon dragon de flamme exactement comme je l’ai vu va être difficile, autant parce que je ne l’ai aperçu que quelques secondes que parce qu’il m’est impossible de faire le dessin parfaitement. C’est donc pour cela que je peux le dessiner un peu comme je veux, l’inventer en quelques sortes, le changer sans qu’il le sache puisqu’il ne reviendra pas très certainement, le faire comme il me plaît. En forme de dragon chinois, tout en long avec quatre pattes, pourrait être très beau, avec les flammes qui l’entourent… Mais il faudrait qu’il soit effrayant aussi, un dragon ça fait peur non ?

Concentrée, je n’entends pas le bruit qui s’élève autour, je dessine simplement sans faire attention aux autres. Ce serait inutile, s’occuper de la présence des autres alors que j’ai d’autres choses bien plus intéressantes à faire que me demander si on me laissera tranquille ou encore si je gêne installée ici. Tant qu’on cherche pas on trouve pas, alors autant ne pas regarder autour de moi, je suis trop visible ici pour pouvoir observer sans être vue. Mais pour dessiner je suis tranquille, je n’ai pas besoin d’observer les autres et je vois bien le feu, le feu qui a fait mon dragon dont les contours se font plus appuyés sur ma feuille, personne m’embête en plus. Enfin, personne jusqu’à ce qu’une voix près de moi s’élève. Je relève la tête, abandonnant mon dessin pour regarder l’élève debout avec curiosité. Pourquoi il me parle de ne pas payer plus cher pour m’asseoir sur une chaise ? J’ai pas payé pour me mettre par terre, c’est moi qui ai choisit de m’installer ici, et je payerais pas non plus pour m’asseoir sur une chaise ! Il a jamais dessiné assis par terre ? Apparemment non. Ah mais je le connais lui… C’est le Serdaigle du cours d’Astronomie qui voulait être suspendu dans le ciel comme les étoiles ! C’est lui qui l’avait dit. Un instant je me dis que je gène finalement ici, mais il n’ajoute rien d’autre qu’une phrase sur mon dragon qu’il qualifie de joli. Un regard sur l’esquisse bien avancée et je plisse le nez avec mécontentement : seulement joli ? Il doit manquer quelques traits pour le rendre effrayant…

N’empêche que, debout là juste à côté de moi, je me demande ce qu’il veut le Serdaigle. Il est plus grand que moi, et un cours m’a suffit pour comprendre qu’il aimait bien se faire remarquer, de façon amusante des fois. Mais qu’est-ce qu’il me veut, là tout de suite ? J’aime pas parler, mais c’était gentil quand même de dire que mon dragon était joli, non ? À moins que ça ne soit qu’une parole de politesse. Haussant les épaules, je lui fais remarquer «Dessiner assise sur une chaise, c’est moins pratique pour voir le feu.» Oui, je préfère être à bonne hauteur moi, sinon si je suis trop haute je verrais mal ! Sauf que s’il ne dessine pas, il peut pas le savoir. Alors je sourie, lentement, demandant néanmoins «Est-ce qu’il fait un peu peur aussi mon dragon ?» D’habitude je parle pas beaucoup de mes dessins. Non, je parle avec. Mais autant avoir un avis de quelqu’un qui se dit parfait, non ? Même si la perfection n’existe pas, évidemment.

Je commence à me dire que Poudlard est rempli de gens complètement à côté de la plaque. Entre le Poufsouffle et ses tire-bouchons, et la gamine qui dessine par terre "pour voir le feu", je me demande ce qu'ils collent dans la nourriture pour rendre les gens ainsi. A moins que ce soit moi qui détonne à ce point dans l'univers. J'espère que c'est ça, pour montrer à quel point je suis unique, pour montrer qu'être moi, c'est génial, mais donné à personne d'autre. N'empêche, Velina me manque un peu. Elle me suivrait dans toutes mes frasques, dans tous mes actes théâtraux. Mais je suis bloqué avec cette étrange population, et Angela qui semble plus invisible qu'un Demiguise. La poisse.

Elle me pose alors une question. Apparemment, le fait que je trouve son dragon joli ne lui suffit pas, je dois le trouver effrayant. Je me penche en avant pour mieux observer son dessin, de plus près. Je tourne la tête d'un côté, puis de l'autre, afin de le voir sous plusieurs angles différents. Et je finis par me redresser avec une petite grimace peu convaincue.

- Mmmh... Pas vraiment effrayant, non.

Je l'observe encore de ma hauteur, comme pour trouver ce qu'il manque, ce qui me dérange pour ne pas le trouver effrayant. Et soudain, c'est l'illumination. Je tape mon poing dans la paume de ma main avec un immense sourire, et je m'exclame bien fort, tout fier.

- Mais je sais ce qu'il manque !

Je fais une petite pause, pour l'effet dramatique, pour faire monter le suspense. C'est une astuce de scène pour accrocher le spectateur et lui donner envie de savoir la suite. Les silences sont tout aussi importants que les paroles, et j'ai appris à m'en servir tout aussi bien.

- Tu devrais lui froncer les sourcils. Ou lui faire de plus grandes dents, et des griffes très recourbées pour montrer qu'elles sont très acérées. Et mettre du feu, plein de feu. Le feu, c'est puissant, ça fait peur.

Et me voilà qui fait mine de cracher du feu avant de pousser un rugissement puissant, venu du fin fond de ma gorge en poussant sur mes cordes vocales. Je marche d'un pas lourd autour de la petite, à fond dans mon nouveau rôle de dragon surpuissant et terrifiant. Je recourbe mes doigts pour mimer des griffes, et je souffle du nez, imaginant de la fumée sortir de mes nasaux, avant de reprendre ma posture habituelle, bien droite, les mains sagement dans le dos.

- Un peu comme ça, tu vois ?

Je crois que j’ai posé une question compliquée. Pourtant, je voulais seulement un oui ou un non, une réponse toute simple qui me dise s’il faut que je travaille plus mon dragon de flammes posé sur le carnet pour qu’il fasse peur ou s’il est bien ainsi. Car un dragon qui ne fait pas peur n’est pas un vrai dragon, ces créatures sont censées faire peur à presque tout le monde ! Bien sûr on aurait beaucoup plus peur face à un vrai dragon, vivant, bruyant et immense devant nous que face à un dragon tracé sur une feuille ridiculement petite comparée à la taille d’un réel dragon. Mais il faut se l’imaginer en vrai, grossir le petit dessin dans sa tête pour s’imaginer devant lui et là, observer chaque détail avec sérieux et se demander si aurait peur ou non. Pourtant le garçon ne semble pas fonctionner ainsi, il se penche et bouge la tête dans tous les sens avant de se redresser en faisant une drôle de tête. C’est facile de deviner que mon dragon ne fait pas peur avec cette tête-là, à moins qu’il soit vraiment très effrayé par ma créature magique mais bon… Ça m’étonnerait. Et il parle, il exprime clairement que mon dragon n’est pas vraiment effrayant. Hochant la tête, je repose mon regard sur le dessin, observant attentivement l’animal. Il doit être aussi beau qu’effrayant, et pour l’instant il n’est que beau, c’est le Serdaigle qui l’a dit.

Serdaigle qui ne reste pas silencieux bien longtemps, j’ai même pas le temps de commencer à réfléchir qu’il s’écrie soudainement qu’il sait ce qu’il manque à mon dessin. Je sursaute en l’entendant, n’étant ni sourde ni loin de lui je n’ai pas besoin qu’il s’exclame aussi fort, j’aime pas les gens qui parlent fort, j’aime pas non plus ceux qui parlent tout court. Mais à la rigueur je peux faire un effort sur ce dernier point, il a parlé, j’ai parlé, il parle à nouveau, pourquoi pas l’écouter. Sauf que je n’ai pas demandé de conseil, je sais tout à fait dessiner et imaginer toute seule sans l’aide de personne un dragon qui fait peur, même si jusque maintenant ce n’est pas très réussi, j’ai à peine commencé ! Pourtant je relève la tête, pose un regard curieux sur le garçon qui veut être une étoile, et je l’écoute parler encore, même si j’aurai pu l’ignorer et dessiner tranquillement. Cette fois-ci sans crier trop fort, il propose des sourcils à froncer, des dents grandes, des griffes pointues et recourbées, encore plus de feu.

Et comme s’il croyait que je ne sais pas m’imaginer ce dont il veut parler en décrivant rapidement quelques éléments effrayants chez le dragon, il se met à imiter tout ça, l’acteur est de retour en train de mimer mon dragon tout feu tout flammes, rugissant à grosse voix qui fait vibrer douloureusement les oreilles, tapant des pieds par terre, soufflant du nez et recourbant les doigts pour imiter les griffes. C’est sûr maintenant je vois bien de quoi il parle, même si j’avais déjà les images en tête. Mais je ne peux pas ne pas rire un peu devant le spectacle, il ressemble à unes de ces personnes déguisée lors des fêtes qu’il y avait parfois dans le village de quand j’étais petite, même s’il lui manque un déguisement. Je crois qu’avec ça, il pourrait faire un bon acteur ! Mais je ne pense pas qu’il ait besoin qu’on le lui dise, il a l’air déjà assez sûr de lui comme ça. Puis s’il criait pas ça irait mieux aussi.

J’acquiesce en silence en l’entendant parler, oui je vois ce qu’il veut dire c’est une chose évidente, car entre ses imitations et le fait que j’avais déjà compris avant ça je ne peux que comprendre. Il faudrait être particulièrement idiot pour ne pas comprendre ce qu’il veut dire ! C’est vrai que les dragons chinois ont des griffes recourbées et très pointues… Alors je les refais, toutes, une à une, quatre à chaque pattes, ça fait seize griffes pointues et recourbées, seize atouts pour faire peur. Et puis il y a les dents aussi, oui des grosses dents pour faire peur ! Alors je refais la gueule du dragon, je l’ouvre un peu, je fais les dents pointues et effrayantes, je fais une grande flamme qu’il crache sur des ennemis imaginaires. Et j’oublie le garçon à côté, oui mon dessin est bien plus important. Dragon de feu, de flamme, dangereux, tantôt méchant tantôt gentil.

Cette gamine est franchement bizarre. Je donne tout ce que j'ai pour la dérider un peu, et j'obtiens tout juste un petit rire. Vous croyez qu'elle m'aurait répondu ? Applaudi ? Complimenté ? Que nenni mes amis, rien du tout ! Simplement un léger rire avant qu'elle ne se remette au travail sur son dragon. C'est carrément vexant de se faire ainsi snober par une enfant. Est-ce que mon jeu d'acteur est devenu moins bon ? Je ne pense pas, je le travaille chaque jour, et je l'aurais remarqué si je perdais mes compétences. Non, je suis toujours aussi parfait, c'est elle le problème. Dire que je voulais la manipuler un peu pour qu'elle m'aide à mettre l'ambiance ici... Je crois que c'est totalement fichu.

Elle se remet aussitôt à l'ouvrage, prenant mes conseils au pied de la lettre, appliquant griffes recourbées et dents acérées à son dessin pour le rendre plus terrifiant. Je la regarde faire. C'est que mes idées étaient bonnes, le dragon est de plus en plus terrifiant. Mais voilà, moi, ça ne m'aide pas à m'ennuyer moins. Regarder une enfant faire des dessins n'était clairement pas dans mon emploi du temps, et je commence à en avoir assez. Je m'assois en face d'elle, attrape son dessin pour l'observer, mais ne prend pas la peine de lui rendre. C'est à mon tour de jouer.

- Maintenant que je t'ai rendu service, à toi d'en faire autant. Je m'ennuie tellement que j'ai l'impression que je vais en mourir.

Et l'ennui, c'est terrible pour moi. Je suis un artiste, un artiste ne s'ennuie jamais. Je me relève, son dragon dessin toujours à la main. Je regarde autour de moi, tous ces gens qui travaillent sérieusement à une table, ou ceux qui lisent calmement dans les fauteuils. Cette maison est totalement morte, prise dans le sérieux de son cliché. Quelle horreur. Va falloir motiver tous ces gens à se bouger un peu. Mon regard revient sur la petite fille.

- Tu sais chanter ?

Quoi de mieux qu'une comédie musicale théâtrale improvisée pour mettre l'ambiance ? Tous ces imbéciles devraient être ravis du spectacle qui s'offre à eux. Après tout, l'art, c'est la culture, pas vrai ? Ils devraient apprécier le cadeau que je leur fais. Et si ce n'est pas le cas, tant pis pour eux. Ils ont quand même intérêt à prendre la chose sans être désagréables, sinon ma marraine sera au courant. D'ailleurs, faudrait que je lui demande si y'a pas moyen que je change de maison. Au moins pour être avec ma soeur. Je suis sûr que les Serpentards s'amusent bien plus que les Aigles.

Il faut dessiner, encore et encore. Toujours, le crayon glisse sur le papier, tranquillement, des lignes droites mais surtout des courbes, peu appuyées, pour pouvoir bien les travailler. Puis on repasse pour foncer le trait, pour montrer qu’il est fait, terminé, tout bon. Dents, flammes, tout s’enchaîne. Jusqu’à ce que la feuille disparaissent de mes mains. Il était là, le crayon posé dessus, le dragon presque terminé… Et paf, plus là, disparu ! Alors je relève la tête, mécontente, prête à gronder la personne qui vient de me voler mon dessin. Gronder est un bien grand mot évidemment, j’aime pas parler, j’aime pas crier, j’aime pas utiliser ma voix, mais là… On touche pas à mes dessins ! Ils sont à moi, on peut les regarder oui, mais pas touche, sauf si j’autorise, et là je n’ai pas donné d’autorisation. Aucune, zéro, y a même pas eu une demande. Mais voilà, c’est encore ce garçon, ce Serdaigle qui veut être une étoile dans le ciel, qui s’est assis devant moi et m’a pris mon dessin. Il est grand, en je-sais-pas-vraiment-quelle-année, et il m’a donné des conseils, alors "m’énerver" serait compliqué, malpoli et pas gentil. J’ai dit merci ? Non j’ai pas dit merci. Et je ne le dirais pas tant qu’il ne m’aura pas rendu mon dragon !

Mais il n’a pas l’air de vouloir le rendre, à la place il parle, il parle de service rendu et service à rendre, puis d’ennui mortel. Il n’y a pas d’ennui s’il y a de l’imagination. Moi qui croyait que ce garçon en avait au moins un peu… Le voilà qui parle de s’ennuyer ! Il a pourtant pleins de choses à faire. Regarder le ciel, les nuages, les gouttes de pluie, leur inventer une vie à toutes ces choses, ou travailler un peu aussi ça ne fait de mal à personne. Je plisse le nez en cherchant comment expliquer ça à un garçon-étoile, parce qu’il est bien connu que plus ils grandissent plus les garçons deviennent bêtes, le pire c’est que ça va aussi chez les filles. Mais lui est occupé, il regarde autour de lui, les Serdaigles assis et concentrés, pendant que moi je réfléchis pour faire une phrase correcte, jolie et explicite. Sauf que c’est lui qui ouvre la bouche en premier, pour me demander un truc bizarre. Chanter ? Cantar ? Non. Quelle idée il a celui-là ! Bien sûr que non je ne sais pas chanter, je l’ai jamais fait, et on ne sait pas faire quelque chose sans s’être entraîné. «Non je sais pas chanter, je l’ai jamais fait.» Ça me paraît évident, comme je parle le moins possible je vais pas m'embêter à chanter quand même, mais peut-être que pour lui ça ne l’est pas. Comment le saurait-il ? Il ne peut pas.

«Tu sais, y a pas besoin de faire du bruit pour t’amuser. Tu peux faire comme moi, regarder le feu pour y voir des formes et les dessiner. Ou alors te mettre à une fenêtre, chercher des formes dans les nuages et leur inventer une histoire, ou alors tu fais ça avec les gouttes d’eau. Y a pleins de trucs à faire ! En plus, tu sais inventer des jolies histoires.» Pfiou, j’ai presque jamais autant parlé ! Mais je suis sûre que dans tout ce que j’ai dit, il va trouver une idée intéressante. Et au passage, je fais le lien avec un cours d’astronomie, et tadaaam ! Ça fait un beau discours.

Elle ne sait pas chanter. Je lève les yeux au ciel en poussant un soupir exagéré. Mais elle sert à quoi, cette gamine au juste ? Elle dessine des dragons par terre, et après ? Se rend-elle compte d'à quel point elle peut être invisible aux yeux des autres ? Qu'elle pourrait disparaître totalement sans que personne ici ne s'en rende compte ? Comment peut-elle être d'accord avec ça ? Et la voilà qui part dans un argumentaire très peu intéressant sur tout ce qu'il y a à faire d'amusant qui ne nécessite pas de faire du bruit. Je la regarde d'un air de plus en plus méprisant. Quoiqu'en vrai, elle me fait plutôt pitié. Quelle vie digne de ce nom peut-être passée à chercher des formes dans des gouttes d'eau ? C'est impossible, qu'elle n'ait jamais envie de crier, de chanter, de se faire entendre. Je secoue la tête de gauche à droite.

- Mais ce n'est pas une question d'imagination, ou d'histoire à raconter, tu ne comprends rien !

Je parle fort, avec grande emphase, je me fiche qu'on nous regarde, je me fiche des doigts accusateurs qui se posent sur les lèvres pour m'intimer le silence. Cette enfant est morte de l'intérieure, il faut vraiment que je la fasse revenir à la vie. N'empêche, je suis vraiment tombé dans une maison remplie de fous à lier. Je tape mon torse du poing pour m'éclaircir la gorge. Je me tiens bien droit, je monte même debout sur un des fauteuils, sans me soucier que mes chaussures soient encore à mes pieds. Un clin d'oeil pour la gamine.

- Ok, regarde, écoute, après, c'est à toi. Sauf si tu veux que ton dessin finisse au feu.

Je sais bien que je suis obligé de rajouter une menace. Si je lui rends son dragon tout de suite, elle ne chantera jamais. Là, j'ai un super moyen de pression sur elle. Elle ne sait pas chanter, alors je laisse tomber l'idée de la comédie musicale théâtrale - pour le moment. Je vais lui donner son premier cours de chant, et elle a intérêt à se montrer bonne élève si elle veut récupérer son dragon. Regarder les nuages, sérieusement... No way ! Et me voilà qui me lance dans une gamme tout ce qu'il y a de plus simple au monde. Je chante juste, et d'une voix claire et forte pour qu'elle puisse s'en imprégner.

- Dooo rééé miii faaa soool laaa siii dooooooo !

Un regarde pour elle, je redescends du fauteuil pour lui faire signe d'y monter.

- Allez, à toi, et donne toi à fond !

Il n’est pas content. Enfin, je ne crois pas. Si je décode son langage correctement, entre le regard qui se lève vers le plafond de la Salle Commune et le soupir qui se fait entendre, il n’a vraiment pas l’air content de cette réponse. Il voulait que je sache chanter, mais comment veut-il que je sache faire ça ? C’est idiot. Moi je dessine, je fais mon art à moi avec mes mains et les crayons sur mon carnet, mais pas avec ma voix. Je trouve inutile et désagréable cette chose qui fait du bruit pour rien, donc logiquement je ne le fais pas. Alors je lui explique, je lui propose des activités à faire pour ne pas s’ennuyer, je fais tout pour qu’il essaie un des trucs, pour qu’il soit intéressé par tant de choses qui demande imagination et création, et surtout pour qu’il me rende mon dessin, je tiens beaucoup à ce carnet qui représente tous mes souvenirs depuis la rentrée à Poudlard. Mais ça ne fonctionne pas, il secoue la tête pour refuser toutes mes propositions, pour repousser tout ce que je dis et jeter au loin toutes mes idées alors que j’ai pris le temps de lui parler, une chose que je n’aime vraiment pas faire mais que je viens de faire, même si c’est surtout pour qu’il me laisse tranquille. Tous ces mots dits pour rien… Lui, avec une phrase, il me dit clairement que c’est nul, et encore une fois je vois bien qu’il était inutile de parler. À quoi bon parler si c’est pour voir que tout est refusé ? Surtout que je ne vois pas en quoi je comprends rien. Ni pourquoi il parle si fort, je suis juste à côté, je l’entends très bien ! Et puis, il a dit qu’il s’ennuyait, maintenant il a pleins d’options pour cesser de s’ennuyer sans plus m’embêter.

Sauf qu’apparemment je n’ai pas compris, je n’ai rien compris à ce qu’il a dit, peut-être que j’ai compris sa phrase de travers. Je regarde le garçon avec inquiétude, il tient malheureusement toujours mon carnet et son attitude commence à me déplaire, et même à me faire un peu peur. Surtout parce qu’il tient mes dessins et ne semble pas pressé de me les rendre. Il se tape lui-même, tout seul, il est vraiment bizarre vous voyer mais ça me rappelle un livre que j’ai lu à la maison. Je sais plus lequel, j’en ai lu trop. Et ensuite vient le pire, il semble décidé à torturer un pauvre fauteuil qui n’a rien demandé en se mettant debout dessus, les chaussures aux pieds dessus ! Lylianna me disait que les fauteuils ont été créés pour poser les fesses dessus, et non les pieds, quel malpoli ! Alors que je m’apprête à le lui dire, il parle avant moi, il me dit de regarder, d’écouter, de passer après lui, et… Il menace. Mon dessin, mon carnet, tous mes souvenirs, il dit que tout ça ira au feu si je ne fais pas comme lui. Il profite de l’objet qu’il a à la main, et vu comment il est, il est prêt à le faire. Jeter mon Œuvre au feu. Détruire tout ce qu’il y a dedans. Ouvrant de grands yeux horrifiés, je ramène mes genoux contre moi en le regardant faire, mais sans écouter. Trop concentrée sur le Après.

Il veut détruire mon dessin, mes dessins, mon carnet. Il marche sur ce pauvre fauteuil en ouvrant la bouche, je l’entends parler fort et dire des mots bizarres, étranges, inconnus. Je regarde le carnet qu’il tient encore, j’aimerai crier Non, lui interdire de faire ce qu’il fait et ce qu’il fera, lui demander de rendre mon Œuvre dans laquelle j’y mets des heures et des heures de toutes mes journées. Je voudrais tant faire entendre ma voix lorsqu’il descend du fauteuil pour montrer celui-ci et me dire que c’est mon tour. Pas pour chanter non, pour lui crier dessus à lui, parce qu’il n’a pas le droit, parce que c’est interdit. Monter sur un fauteuil, faire autant de bruit alors que les autres Serdaigles travaillent. Je ne veux pas être vue comme une personne malpolie et irrespectueuse. Non, rien de tout ça. Je veux juste récupérer mon carnet. Et tremblante malgré le feu qui brûle près de moi, ce feu que je vois déjà lécher les pages de mon carnet, je regarde le garçon avec inquiétude. Peur et terreur, il faut bien dire. Les flammes vont s’enrouler autour des pages et les dévorer sans pitié dès qu’il aura tendu le bras pour jeter mon Objet au feu. Alors je me lève, il faut être courageuse un peu et protéger mon carnet auquel je tiens plus que tout. Je ne ferais pas comme lui, non, pas question. Monter sur un fauteuil, le maltraiter de cette manière, déranger ainsi nos camarades… Non. Mais brûler mon carnet, non plus. Et même si c’est ridicule vu ma force et ma taille, je me place devant la cheminée, dans l’espoir que ça l’empêche de mettre à bout sa menace. C’est mon carnet. Peut-être plaisantait-il, mais je ne le crois pas. Alors je mets les flammes dangereuses dans mon dos, le regard sur mon Œuvre. «C’est pas bien de monter sur un fauteuil. C’est fait pour s’asseoir.» Deux petites phrases murmurées avant de lever le regard vers lui tandis que mon carnet m’appelle à l’aide. «Je sais pas chanter. Je sais dessiner, je sais écouter, je sais apprendre, je sais inventer. Mais je ne sais pas chanter. Alors rends-moi mon carnet.» Une demande qui risque de n’avoir rien de crédible aux yeux de ce Grand méchant. Rusé. Monstrueux.

Cette enfant n'a vraiment rien pour elle. Plus je la regarde, plus j'essaie de la pousser à devenir intéressante, et plus je me rends compte que c'est peine perdue. Elle n'est rien d'autre qu'un ovni à mes yeux, et encore, les ovnis ont au moins le bon goût d'être mystérieux. J'en viens même à me demander s'il y a quelqu'un d'autre de si peu intéressant dans toute la galaxie, ou si je suis vraiment tombé sur la seule et unique personne au monde n'ayant pas fini son développement personnel - pour tant est qu'il y en ait réellement eu un chez cette fille.

N'empêche, elle bouscule un peu mon agenda en refusant d'obéir malgré la menace de jeter son carnet de dessins dans les flammes de la salle commune. Je vois pourtant bien sur sa figure qu'elle a peur, qu'elle ne veut pas que j'en arrive à de telles extrémités, mais elle ne fait rien pour m'aider. Tout ce qu'elle arrive à faire, c'est de se mettre devant la cheminée, comme pour faire barrage de son corps, puis à me faire la narration non pas d'une histoire mais bien de règles de vie qu'elle est bien la seule à vouloir suivre.

Il paraît qu'un fauteuil est fait pour s'asseoir. Oui, c'est vrai. Aussi vrai qu'un oiseau est fait pour lâcher sa fiente de préférence au-dessus d'un humain qui se balade. C'est-à-dire qu'il faut avoir sacrément la poisse pour en rester à une telle vision des choses. Mais peut-être l'a-t-elle, la poisse. Peut-être que si elle se retrouvait enfermée dans un sous-marin, il y aurait un problème de pression. Et que si elle allait en Provence, elle se retrouverait en plein milieu d'un incendie. Ou alors elle est juste stupide, et ça retire toute possibilité de circonstance atténuante de mon côté.

Tout ça pour dire que j'ai tout fait pour la motiver, mais qu'elle est incapable de voir ce que je fais pour elle. Je regarde une dernière fois la page granuleuse - ou pas - de son carnet, toujours ouvert sur le dragon. J'hésite. Est-ce que je le jette dans les flammes, ou pas ? Et finalement, j'estime qu'elle ne vaut même pas un tel acte. Je me contente de garder le carnet en le refermant.

- Quand tu auras compris le sens de s'amuser, tu pourras peut-être le récupérer. En attendant, je le garde précieusement.

Et je m'en vais, direction mon dortoir, dépité par un tel manque d'originalité de la part d'une membre de la maison sensée représenter la créativité.

Rends-moi mon carnet. Je n’arrive même pas à penser à autre chose, le regard passant du garçon à cet objet auquel je tiens plus que tout. Tous ces dessins qui y sont, toutes ces scènes que j’y ais faites, je n’ai vraiment pas envie de les perdre. Ce sont des dizaines et des dizaines de moments passés à dessiner, parfois ce sont presque des journées entières représentées ! Mon arrivée au château, le parc le premier jour de la rentrée, des oiseaux, des étoiles, des morceaux du parc et du château, des animaux… Tout ! Toute une vie depuis ma rentrée à Poudlard. C’est tout à moi, il n’a pas le droit de le détruire, pour qui se prend-il ? On n’abîme pas les affaires des autres, et encore, ce ne serait même pas abîmer mais plutôt faire disparaître à tout jamais si le papier se retrouvait dans les flammes. Le feu c’est beau, coloré, chaud, imagé, mais il ne possède pas de cœur, pas de pensées, il dévore tout se qui se présente à lui sans une seule pensée, il n’a pas de cerveau non plus. Alors il n’hésitera pas un instant à se nourrir de mes dessins.

Le grand regarde mon dessin, posé dans ce carnet qu’il tient à la main, mon carnet. Rend-le moi. Je n’arrive même pas à parler, mais je le pense très fort, il n’a pas le droit de ne pas me le rendre. Et quand il ferme ma boîte à œuvre, j’ai un instant l’espoir de la voir revenir dans mes mains, l’espoir qu’il me la rende au lieu de la jeter au feu. Jamais on ne m’avait menacé ainsi, jamais on n’avait osé dire des choses pareilles. Il devrait avoir honte de dire ça d’ailleurs, c’est contraire à tout ce qu’on m’a appris, c’est méchant, monstrueux. Et malgré tout ça, j’ai peur qu’il le fasse vraiment, parce qu’il faut bien le dire, ce n’est pas avec ma taille je vais réussir à cacher la cheminée dans mon dos. Idiote, pourquoi tu lui as parlé ? Dans ma tête je me gronde, en colère contre moi-même, terrifiée par cet élève. Méchant, méchant, méchant ! Comme quoi le silence vaut plus que tout. Soudainement il parle, il ose dire que je ne sais pas m’amuser, et que tant que je ne saurais pas faire ça il gardera mon carnet. Mais… Je sais m’amuser ! Je ne m’amuse pas comme lui, dans le bruit et les mouvements, c’est tout. Je m’amuse dans ma tête, dans mes pensées, dans mon carnet. Et comment vais-je faire sans mon Œuvre ? Jamais, non jamais je ne monterais debout sur un fauteuil, jamais je ne chanterais. Alors je ne peux que regarder l’élève s’éloigner là-bas, retourner dans son dortoir, avec mon carnet dans ses mains. Mes dessins s’en vont avec quelqu’un d’autre que moi. Voleur. Dos au feu je me rassois sur le sol, les genoux serrés contre moi, tandis que l’inquiétude augmente. Et s’il, au lieu de le garder précieusement, il le détruisait ? Et s’il dessinait dedans, en arrachait les pages ? Si j’arrivais à parler, je pourrais en ce moment même lui crier non, lui crier de me le rendre. Pourtant je n’y arrive pas, la voix est bloquée. Manque d’entraînement, on ne m’a jamais préparée à un vol de carnet.

Alors je reste là, toute seule, plongée dans mes pensées. Je récupérerais mon carnet.