Ce rêve blanc [Abandonné]

Saison 29 - Hiver
Patinoire du Musée d'Histoire Naturelle - Cromwell Rd, Londres

Il me revient parfois le souvenir d’une famille que je n’ai pas eu, le rêve d’une famille que j’ai détruit. Je m’attelle à la création d’un cocon adapté aux envies et besoins des enfants. Je quitte l’école dès la fin du cours de vol, n’y retourne qu'après le petit déjeuner. J’existe entre deux lieux et me nourris de transplanages. Il faut dire que c’est pratique pour esquiver l’Autre, pour rejoindre l’herbe toujours plus verte ailleurs, cette possibilité de disparaître et réapparaître à outrance.

N’allons pas nous plaindre. Au quotidien, lors de sorties et voyages communs, les enfants et moi partageons des moments de rêve. Il suffit d’une marelle sur un passage piéton, de défis improbables à table, d’un cache-cache dans le parc de Pré-au-Lard… Nous nous émerveillons de tout. Nous sommes trois, et ce noyau est notre ancre. La mienne tout au moins ; cette nouvelle famille m’a sauvée.

D’autres soirs, le rôle de mère célibataire n’est pas aisé. Si encore j’avais pu élever Braeden et Squirtle à Poudlard ! Non, il faut que j'enchaîne les nounous et précepteurs. Que je les partage avec d’autres et qu'eux me partagent avec les élèves de Poudlard. Qu’il est laborieux de trouver un rythme qui convienne aux impératifs de chacun !

J’ignore où en sont Alhena, Kathleen et les autres de la tribu, mais avec du recul, je comprends pourquoi les gens cherchent souvent un parent 2 avant d’avoir des gosses. C’est tout de même plus pratique. Enfin, on ne peut pas refaire le monde. Je peux pas pousser Ashton à être plus présent, ce mage est sympa mais clairement pas fiable. Si l’on ne veut être déçu, il ne faut pas attendre des autres plus que ce qu’ils ont à offrir.

Enfin. Aujourd’hui, ce n’est pas avec les enfants que j’ai envie de passer mon début de soirée. Ils sont mignons, mais ils ne peuvent m’aider avec le sujet qui me préoccupe. C’est pourquoi j’ai envoyé une lettre à Alhena, l’invitant à me rejoindre à la patinoire. Mère de trois loupiots, amie (?) de longue date, experte en magie noire, soeur d’armes… qui d’autre pourrait comprendre ? Je suis convaincue qu’elle seule saura répondre à mes interrogations - et je pense qu’elle saura être plus clémente que d’autres sur la question.

Une nuée blanchâtre sort de ma bouche lorsque je souffle pour me réchauffer les doigts. Accoudée à la barrière, je regarde l’heure. Elle ne devrait plus tarder.

Comment combattons la gravité ? Comment fait-on pour être plus léger que le poids de nos angoisses et de nos problèmes ? Est-il possible de s'envoler ? Peut-être que l'on ne peut que se contenter de flotter dans l'eau, ou de glisser sur la glace. Sauter dans un instant éphémère au milieu des gorges glacées, sourire pour être au plus proche du ciel. Et dans ces moments de grâce, après avoir eu un instant de pur bonheur on ouvre les yeux sur un monde si flou. Ce monde qu'on rêve de contempler, alors qu'il est gris mais aussi de toutes les couleurs. C'est comme être séparé d'un fin voile des autres où tout ce qu'on essaie de dire n'est pas entendu.

J'aimerais combattre la gravité, mais je sais que seule la chute est facile.

C'est lentement qu'elle se prépare pour aller au rendez-vous. C'est étrange et en même temps si évident pourquoi elle veut passer du temps avec Lizzie. Une sorte de miroir d'une vie mais si différente. Quelqu'un qui combat des démons, en créer et pourtant aussi légère et lourde qu'une plume. Elles sont des controverses qui s'attirent comme des aimants. Elles s'aiment mais parfois se questionnent, ou peut-être que ce n'est qu'Alhena qui pense croire que quelqu'un qui a des enfants comme elle, peut comprendre ce qu'elle vit. Parce que ce n'est jamais facile de se battre à côté de quelqu'un, quand il faut au final protéger ce qu'il a derrière soit.

J'ai essayé de défier la gravité, mais je continue de tomber.

Arrivant sur les lieux, elle la voit. Et cela fait plaisir, parce que ça fait longtemps qu'Alhena ne sort plus. C'est une bouffée d'air au milieu du chaos, un monde féerique que personne d'autre n'arrive à lui créer. Ou alors ce fut très rare de rencontrer quelqu'un comme ça. Elle tapote doucement l'épaule de sa partenaire, un beau sourire aux lèvres derrière ses couvertures de vêtements. Il fait froid, mais ça réchauffe d'être avec l'autre. Hello, un doux regard, prête à tomber ou à me rattraper lors de mes chutes ? sa tête penche sur le côté, j'ai confiance en toi dans tous les cas. Comment tu vas sinon ?

Parce que c'est drôle, Alhena demande rarement des choses aussi banales. Pas que ça ne l’intéresse pas, simplement qu'elle connait la réponse et que rare sont les personnes assez honnêtes pour répondre un simple non. Sauf que Lizzie c'est différent, qu'elle n'arrive pas, tout comme Izsa, à réellement savoir ce qu'elle pense. Ou même... qui a besoin de l'autre pour s'envoler.