Arrivée au niveau du comptoir de la boutique, Sue n'a pas le temps d'attendre ; un sorcier surgit de l'autre côté, le teint pâle, les cheveux sombres et bouclés. Il lui souhaite la bienvenue et l'interroge sur l'objet de sa visite. Vous vous le demandez encore certainement, oui, je ne l'ai révélé qu'à demi-mot... Je vous ai assuré que la jeune fille souhaite un nouveau compagnon, que cela est lié à la découverte de son don de Fourchelang et qu'elle a une idée très précise de ce qu'elle veut. On pourrait parier sur un serpent, ce serait logique bien que trop classique... Mais ce n'est pas ça.

La galloise est pleine de contradictions. Artiste dans l'âme, elle aime se retrouver là on ne l'attend pas, s'attache à la beauté que les autres ont tendance à ne pas considérer. Alors elle a réfléchi. D'une part, à se rapprocher de la bestiole la moins populaire et ce depuis des siècles - elle se sent capable à elle seule de lui redonner de l'éclat. D'autre part, à préférer la créature facile à vivre, car je vous l'ai dit elle ne sera pas du genre à la pouponner. Je vous ai donné suffisamment d'indices, non ? Vous avez deviné ?

- Bonjour monsieur. Oui, en fait j'aimerais acheter un crapaud.

Avec cette formulation, on penserait qu'elle passe en coup de vent afin d'acheter un ingrédient de potion. Mais je vous l'ai dit, même si elle ne se sent pas vraiment dans son élément ici, ce moment est assez important pour elle. À son départ de la Ménagerie Magique, elle sera accompagnée d'un être plutôt rare à ses yeux. Et ce n'est pas donné à tout le monde.

Le vendeur acquiesce une fois que Sue lui a fait part de son souhait. Il lui propose alors de le suivre et part sur la gauche, au cœur des rayons qui exposent des créatures de toutes sortes. Elle s'exécute, contemplant les cages et les étagères, constatant que tout semble bien entretenu et bien organisé. Et pourtant ce n'est sans doute pas une tâche facile avec toute cette population... Le regard se pose sur des bestioles humanoïdes très étranges à la peau foncée, l'air tout aussi farceuses qu'elle, puis sur d'amusants poissons sphériques et des sangsues rappelant celles utilisées en classe. Pour finir, elle porte toute son attention sur le vivarium sous son nez qui abrite vraisemblablement son futur compagnon.

Un accès à la terre et à quelques bestioles grouillantes, un autre à une pataugeoire permettant de se dégourdir les pattes... Les crapauds ont cette apparence pataude, ces grands yeux et ces délicates mains d'homme. Leurs couleurs - leurs robes - sont variées, toutes plus ou moins ternes. Leur peau rugueuse, souvent ornée de pustules, ne donne généralement pas envie d'y toucher. Mais lorsque le sorcier lui propose de les caresser et ouvre l'accès au vivarium, Sue n'hésite pas une seconde. Le contact est peut-être le meilleur moyen d'établir un lien directement. Peut-être que la rencontre avec un animal fonctionne un peu comme celle avec une baguette magique ?

- Merci ! Je n'ai pas d'idée précise pour la robe...

Désormais, ses yeux et son esprit sont tout à leur tâche de trouver Herpo - c'est le nom qu'elle a prévu de lui donner, en référence à un sorcier antique dont elle a hérité de la carte de Chocogrenouille. Elle n'entend ni ne voit plus les créatures dans les vitrines voisines, si peu discrètes qu'elles soient. Sa main se dresse lentement au-dessus des petites têtes qui galopent vers leur repas. Elle tend l'index jusqu'à toucher la peau fraîche et humide d'une bête rouge, puis celle d'une autre, et d'une autre, le faisant glisser avant de le relever. Comme elle s'en doutait, elle n'est ni dégoûtée de la texture ni de l'apparence. Au contraire, elle est encore plus sûre d'avoir trouvé l'animal qui saura l'accompagner pour des années, celui qui lui ressemble d'une certaine façon.

Enfin les yeux vert de gris de Sue se posent sur un crapaud qui se hisse hors de l'eau. Sa peau rincée est encore plus belle : de couleur sable, parsemée de nombreuses taches kaki. Ses yeux jaune et noir, vifs, sont tournés vers elle, du moins c'est l'impression qu'elle a. Sa main poursuit sa tournée pour le caresser mais il s'en saisit de ses minuscules doigts pour grimper dessus. Léger sourire sur les lèvres tandis qu'elle sort sa main du vivarium, sur laquelle est toujours perché le crapaud : te voici, Herpo.

- C'est celui-ci que je voudrais.

Oui, peut-être bien que la connexion qui se crée entre un animal et son propriétaire est semblable à celle qui lie une baguette magique à son sorcier. Vous l'avez bien vu, il semble que ce soit Herpo qui ait choisi Sue en grimpant sur sa main plutôt que celle-ci qui l'ait sélectionné arbitrairement. Comme on peut se douter qu'un bois ou un cœur de baguette nous correspond, on peut avoir l'impression qu'une créature de telle race ou de telle couleur nous plairait. Mais ce qui régit l'acceptation réciproque n'est finalement que le destin. Le destin qui se manifeste par un sentiment puissant lors de la rencontre des deux êtres.

Une fois qu'elle a annoncé son choix au vendeur, celui-ci referme le vivarium à crapauds en lui donnant des informations utiles. Sue est quelque peu soulagée qu'il ait pris les devants pour lui expliquer comment s'en occuper. Car, si elle savait ce qu'elle voulait, elle n'avait pas d'idée claire sur la suite. Bon, en voyant quelques bêtes grouillantes parmi les amphibiens, elle avait compris qu'ils se nourrissaient d'insectes. Pour ce qui est de l'hibernation, elle ne s'en était pas doutée. La galloise réfléchit un instant ; elle ne compte pas prendre de terrarium, elle préfère laisser son camarade vivre assez librement à ses côtés. Cependant, l'appartement de son oncle à Londres ne dispose pas d'un jardin - bien qu'il y ait un parc juste en face... Heureusement, elle passe tous ses hivers et ses printemps à Poudlard et l'endroit est magnifiquement entouré. Il ne devrait donc pas y avoir de souci pour le sommeil de plomb de son petit camarade.

- Merci pour toutes ces informations, j'en avais bien besoin ! reconnaît-elle avec un sourire. Je vais donc prendre quelques insectes en plus. Et ce sera tout.

Voilà que Sue demande de quoi offrir un beau festin de bienvenue à Herpo. Comme quoi, elle peut se montrer attentionnée. Avec cela, elle espère que le crapaud s'habituera à sa présence et viendra à l'apprécier. Mais il n'est pas sûr qu'elle revienne lui commander des insectes régulièrement... Elle songe qu'il doit bien savoir se débrouiller pour se nourrir, si elle le laisse vagabonder en pleine nature de temps à autres. Les Boursoufs y arrivent bien, eux. Son regard se déporte doucement sur l'être qu'elle tient encore entre ses mains. Il est assez calme pour l'instant même s'il tourne la tête et les yeux en tous sens. Au moins, il n'a pas encore essayé de bondir pour s'échapper... Ce doit être bon signe !