Pieds glissants contre les ardoises, Miamhibou en miettes dans sa main gauche, vent taquin dans son manteau, bruine glacée coulant le long de sa nuque et Hypérion fulminant dans sa main droite, Izsa n'était pas la plus belle des visions en cette soirée de janvier.

- Viens-là. Viens-là petit petit. Lieutenant. Ramène tes petites fesses vers maman.

Elle avait vu la chouette effraie se poser sur le toit en face de son atelier quelques minutes plus tôt. L'Allée des Embrumes était vide, et elle n'avait pas son balais volant sur place. Si jamais elle rentrait pour le chercher, elle risquait de perdre l'animal. Et de ceci, il en était hors de question. Lieutenant avait disparu longtemps, trop longtemps. Elle allait faire un peu plus attention à lui, maintenant. Surtout qu'il s'agissait d'un miraculé : elle avait honnêtement pensé qu'il était mort depuis quelques temps.

Mais non. Il était là, devant elle, se nettoyant les plumes pendant qu'elle s'évertuait à ne pas perdre l'équilibre. Elle avait grimpé via l'escalier de secours, sur le côté du bâtiment. Marché sur les ardoises penchés à 10°, trempée par la pluie éparse qui caractérisait ce mois de janvier à Londres. Il n'était plus qu'à deux mètres. Doucement, doucement.

- Allez, allez. Viens voir maman.

Il y avait fort à parier que si Lieutenant avait comprit l'anglais, il lui aurait rit au nez. "Maman" ? Ah ah, elle avait été une maîtresse ridicule. Il ne se serait jamais laissé amadouer comme ça. Enfin, ça n'était pas comme si elle attirait son attention de quelque façon que ce soit, actuellement.

- Wow tu pourrais me...

Aouch. Sa chaussure venait de glisser contre le toit, tordant sa cheville jusqu'à ce qu'elle s'écrase au sol. Enfin, non, pas au sol. Au toit. Ça faisait moins mal, sauf à l'égo. Izsa rangea sa baguette dans sa veste, décidant qu'à quatre pattes on tombait moins bas. Et puis, avec sa chute, elle avait enfin attiré l'attention de Lieutenant. La chouette effraie la dévisagea de ses grands yeux ambres, puis hulula. La sorcière ne parlait pas le langage chouette, mais elle aurait parié qu'elle était en train de se foutre d'elle.

- Dis-donc tu pourrais me faciliter un peu la vie, quand même...

Elle plongea sa main dans une autre de ses poches, où elle avait rangé tout son vieux Miamhibou. Il traînait depuis elle ne savait combien de temps dans son atelier, avec une odeur humide et renfermée. Et le Miamhibou de tout à l'heure c'était dispersé partout autour d'elle avec son mouvement de haute voltige. Sur elle, oui, aussi. Sérieusement, il y avait un moment, quand on était au fond du trou, la seule issue c'était de continuer à creuser. Elle tendit une nouvelle portion de Miamhibou devant elle.

- Viens. Viens. Vieeeeeeeens.

L'oiseau se tourna vers elle. Sautilla un bond. Avança d'un pas.

- Oui voilà...

Il se mit à lui manger dans la main. Izsa compta une seconde et...

L'attrapa.

It was at this moment that Izsa knew she f*cked up. * Ce fut à ce moment qu'Izsa sut qu'elle avait m*rdé.

Parce qu'il ne s'agissait pas de Lieutenant. C'était juste une chouette effraie. Inconnue. Qui n'appréciait pas qu'on l'attrape comme ça. Elle cria. Mordit ses gants. Griffa ses poignets. Lui envoya des coups d'ailes. S'envola.

.
...
......... L'esprit de la sorcière n'y était toujours pas. Elle doutait encore de ce qui venait de se passer. Elle venait de crapahuter à plusieurs mètres de hauteurs pour des cacahuètes ? Même pas des cacahuètes : des miettes de Miamhibou périmé. Elle ramena ses genoux sur sa poitrine, contemplant sa vie un instant. Contemplant sa vie et les toits de Londres. Il y avait des moments où on était très heureux d'être seul.

Qu'est-ce que c'était que ce bruit ? Un transplanage juste derrière elle. En une demi-seconde, elle s'était retournée, un genou au sol, prête à se relevée entièrement.

Un frisson glacé parcourut son échine. Ça n'était pas le vent. Le Mangemort au masque rouge se trouvait face à elle. Elle serra poing et dents. Que faisait-il ici ? L'avait-il suivi ? Savait-il qui elle était ? Elle mesura ses chances de saisir sa baguette avant qu'il ne comprenne ce qu'elle faisait. Très basses. Si elle faisait le moindre geste, il aurait cinq fois le temps de lui envoyer un sortilège. De l'éjecter du toit et lui faire faire sa présentation aux pavés, quinze mètres plus bas.

Elle resta figée alors qu'il parla.

- Pourquoi es-tu ici ?

Elle regarda à droite, à gauche, cherchant un accès qui lui aurait échappé. Une solution. Sa fuite. Rien.

Calme-toi, Izsa, calme-toi. Si il savait qui tu étais, tu serais déjà morte. Et tu es Manumages, après tout. Tu pourra te débrouiller sans baguette, au moins le temps de sortir Hypérion. Tu n'es pas sans défense. Tu es Izsa Hilswood. Tu es Sélène.
Sa voix de la raison n'avait jamais été aussi bavarde. Probablement parce qu'elle était vraiment sur le point de paniquer. Elle prit une grande inspiration, et souffla.

- C'est une bonne question, répondit-elle, ses propres mots lui semblant distants. A laquelle je n'ai pas vraiment de réponse.

Si il y avait bien quelqu'un à qui elle n'allait pas raconter sa dernière mésaventure, épisode 574, c'était bien un Mangemort. Parler lui avait fait reprendre confiance en elle, un petit peu. Pas au point de se croire hors de danger, juste assez pour que son cerveau passe au delà de son instinct de fuite. Elle l'observa, constatant avec un mélange de colère et d'abattement qu'il s'agissait bien du même Mangemort au masque rouge de ses souvenirs. Grands, bien plus grand qu'elle, surtout qu'il la surplombait de la légère pente du toit et de sa propre position assise.

Le même. Exactement le même. Pourquoi fallait-il que ses frères et sœur Phénix finissent tous par quitter leur lutte, alors qu'en face ils semblaient éternels ? Izsa se souvenait de la bataille sur les ponts de Londres. Il avait été là. Lui, alors qu'aucun Phénix ne partageaient les mêmes combats qu'elle. L'ironie de la chose ne la faisait pas sourire.

- Et toi ? demanda-t-elle, plus brusquement que sa peur initiale ne l'aurait permis. Elle essuya son visage plein de miettes et de gouttes de pluie du revers de sa manche. Venu contempler le monde comme des fourmis à tes pieds ?

Elle n'était pas juste en train d'agir comme une imbécile au tempérament trop emportée. Elle voulait le faire parler. Chercher des indices dans le plus infime choix de ses mots. Gagner du temps. Attendre une ouverture. Il avait beau être physiquement et magiquement à l'avantage, elle, elle en avait un tout autre. L'anonymat. Oui, il voyait son visage et la reconnaissait peut-être. Oui, elle n'avait aucune idée de qui il pouvait être. Mais elle savait qu'il était un Mangemort ; lui n'avait pas la moindre idée qu'il avait affaire à un membre de l'Ordre du Phénix.

Sa voix s'éleva à nouveau de sous son masque :

- J'aime les toits. Ils me permettent de goûter à la liberté que je promets à mes partisans et mes masqués. Loin des entraves que le Gouvernement nous impose. Tu ne trouves pas ?

Non. Non pas vraiment. A vrai dire il y avait bien des raisons pour lesquelles elle ne crapahutait pas sur les toits la nuit. La liberté de chuter de plusieurs mètres avant d'embrasser les pavés ne lui avait jamais manqué.

- Je n'ai pas besoin de venir ici pour remarquer les fourmis qui parcourent ce Monde. Sache-le.

Hmm oui. Elle se doutait bien qu'elle n'était pas partie sur la plus franche camaraderie avec le mage noir. Le don d'Izsa pour horripiler les gens n'avait d'égale que son don pour se mettre dans les pires situations possibles. Ça se voyait qu'elle était fébrile ? Non parce que ses pensées allaient à vive allure, et n'étaient pas des plus pertinentes. Elle tentait d'avoir l'air calme, sans savoir à quelle point elle avait du succès là-dedans. Pour la première fois de toute sa vie, elle regrettait de ne pas porter un masque. Ses compagnons d'armes en avait presque tous un. Elle ? Non. Pour quoi faire ? Et bien pour pouvoir camoufler parfaitement toute les expressions qu'on aurait pu lire sur son visage.

- Je te crois sur parole. Personnellement je n'aime pas trop ça, les toits. On ne se rend jamais aussi bien compte de la valeur de chacun que lorsqu'on se met à égal avec lui.

Tout doucement, sans faire de geste brusque, elle se releva en position debout. Elle était toujours bien plus petite que son interlocuteur, mais au moins elle gagnait en mobilité. Qui se cachait donc derrière ce masque ? Un joueur de Quidditch professionnel ? Il aimait être en hauteur et voyait les gens autour de lui comme des fourmis ?

- C'est quel genre de liberté, qui est promis ? Je n'ai pas besoin qu'on me vende du rêve.

Elle faisait de son mieux pour ne pas le défier véritablement. Elle restait sur une ligne fine, ne s'engageant pas non plus sur l'autre pente. Si ces talents d'actrices auraient pu la faire passer pour une future recrue, les étoiles pleins les yeux, ils auraient également pu les mettre tous en danger, à commencer par sa famille.

La tension entre les deux sorciers était palpable. Elle était plus réelle aux yeux d'Izsa que la bruine ou le vent dans ses cheveux.

- Du rêve dis-tu ? Ce n'est pas un rêve que je t'offre. C'est une liberté que je saisi et dont je me fais Maître. Bien trop longtemps oppressée entre de mauvaises mains, il est temps que cela change, que l'on puisse y goûter, tous autant que nous sommes, sorcières et sorciers, créatures, êtres et tout ce qu'on nous oblige à cacher, comme si c'était honteux d'être qui nous sommes. Il en sera fini de cette illusion écœurante que nous vend le Gouvernement, c'est lui qui te vend du rêve, moi je te propose la Réalité libérée.

Izsa voyait bien ce qu'il voulait dire. Mais ça n'était pas parce que ses mots avaient du sens, et que chacun de ses mots étaient concrets ou logiques. Loin de là. Comme les ténèbres qui l'accompagnaient, il était évasif. Insaisissable. N'importe qui aurait pu se reconnaître dans son discours. Depuis qu'elle était au Ministère, elle savait exactement à quel genre de personne elle avait affaire quand on lui servait cette soupe.

Le Maître des Ténèbres parlait comme un politicien.

- Des mots creux, répondit-elle, avec une hargne renouvelée. C'est sûr que n'importe qui peux se reconnaître dans ce que tu dis, parce qu'ils comprendront bien ce qu'ils veulent entendre. Tu vaudrais mieux que n'importe quel pantin du Ministère, hun ? Tu parles comme eux.

Il y avait de quoi désespérer. Tant de gens suivant les Mangemorts, à présent, prit dans leur toile de mensonges. Mensonges ? Non, même pas. Au moins les mensonges donnaient des faits, prenait des positions. Leur fausseté était démontrable. Les alliés des masqués, ils étaient envoyés pelleter des étoiles.

- Qu'est-ce que vous faites sur le terrain ? Vous êtes efficaces ? Vous vous opposés à la vente des elfes de maison ? Vous manifestez pour l'augmentation de l'étendue des territoires centaures ? Ou bien vous vous contentez de dire aux Détraqueurs qu'avec vous, ils seront libre de tuer qui bon leur chantent pourvu qu'ils soient moldus ?

Elle était en train de se laisser emporter. Pourtant, elle ne s'arrêterait pas. Il aurait pu l'attaquer, lui lancer un sort. A ses yeux, cela n'aurait été qu'un aveu de faiblesse. La preuve qu'elle pouvait le démasquer rien qu'avec ses mots, que leur idéologie ne tenait pas la route et qu'il le savait.

- La liberté, vous voulez la saisir pour vous. Pour personne d'autre.

Elle n’espérait certainement pas faire changer d'avis le masqué. Cela aurait été futile d'espéré, et encore plus futile d'essayer. Ses remarques n'étaient pas là pour convaincre, mais pour pousser. Encore et encore. L'obliger à se dévoiler, lui et ses véritables intentions. Il avait beau clamé que les Mangemorts avaient changé, que Voldemort n'avait plus aucune influence sur leur idéologie, mais certaines choses ne changeaient pas. Il était persuadé que les moldus étaient inférieurs aux sorciers, que le monde magique méritait plus que ce qu'ils avaient actuellement.

C'était faux, mais surtout, c'était bien là tout le problème. Toute la raison pour laquelle Izsa se battait contre eux, et ce depuis ses dix-sept ans. La magie n'avait rien de naturellement supérieur. Elle était, voilà tout, et ceux qui ne la maîtrisaient pas n'avaient pas besoin qu'on leur apprenne comment vivre leur vie.

- Tu trouves que mes mots sont creux, pourtant les actions des Mangemorts de ces dernières années semblent avoir fait grand bruit. Combien d'entre-nous ont été capturés ? Rappelle-le moi ? Nous parlons et agissons. Contrairement à ce Gouvernement qui vous berce d'illusions. Et cet Ordre du Phénix ? À part tenter de nous mettre des bâtons dans les roues, ils n'arrivent à rien. Ils ne sont pas dignes d'Albus Dumbledore ou des autres sorciers talentueux qui l'ont constitué lors de la Grande Guerre. Nous sommes l'Avenir de notre monde, plus vite tu l'accepteras plus longtemps tu vivras.

Izsa avait bien une liste. Zoe Higgs. Clyde Higgs. Clarissa Samson. Voilà les Mangemorts qui avaient été mis hors d'état de nuire. Cela faisait certes plusieurs années, mais l'arrestation de l'ancien Seigneur de Ténèbres n'était pas une anecdote. Et puis il voulait parler Ordre du Phénix ? Albus Dumbledore, Harry Potter, Sirius Black ? A croire qu'un bon Phénix était un Phénix mort, ce qui était plus que probable ce que cet homme pensait. Izsa, Sélène, c'était elle qui aujourd'hui portait leur flamme. Elle se battrait jusqu'au bout pour protéger l'Avenir, qui n'était certainement pas incarné par ce Mangemort vêtu de noir au masque rouge.

Elle ne dit rien, cependant. Elle n'aurait rien pu dire sans paraître suspecte à ses yeux. Alors, elle ferma sa bouche. Sauf pour crier lorsqu'elle se retrouva suspendue dans les airs.

- Aaah !

En dessous d'elle, les pavés. Une dizaine de mètre plus bas. Elle pourrait embrasser le sol avant qu'il ne lui casse le cou.

- Te voilà à ma merci, comme le sera le Monde dans quelques temps. Que crois-tu que je vais faire ? Le laisser tomber, le voir s'écraser et finir par être détruit ou penses-tu que je vais tenter de le remettre droit, l'aidant ainsi à marcher librement ?

Le fait qu'Izsa soit encore capable de réfléchir à peu prêt normalement en disait beaucoup sur sa tendance à se retrouver dans ce genre de situations quasi-mortelle. Même si, bien sûr, elle ne réfléchissait pas à peu prêt normalement. Son cerveau tournait à toute allure, et dans des sens par forcément très utile. Tentant de se distraire de son destin, qui semblait irrévocable. Non. Non, il fallait qu'elle fasse quelque chose.

- Aaaaaaaaaaah !

Aaaah.... ! Non ! C'est un peu court, jeune homme. On pourrait dire, oh ! Dieu ! Bien des choses en somme. En variant le ton. Agressif "Vous allez voir ce que vous allez voir, quand j'aurais sortit ma baguette !". Amical : "Peut-être avez vous raison, ne voulez vous pas me relâcher pour qu'on en parle à tête reposée ?". Descriptif :" C'est bas. C'est très bas. Je vais mourir." Curieux :"Pensez-vous que je meurs immédiatement, lorsque mon corps s'écrasera à l'impact ?" Prévenant: "Tenez votre baguette bien droite. Je ne tiens pas à tomber à cause d'une faiblesse dans votre poignet". Laconique : "Pitié". Menaçant :"Si je meurs, l'enquête qui en résultera sera l'une des plus grosse affaire depuis la mort de Renata Harshing, ils vous retrouverons". Pédant : "Vous ne faites que prouver que j'ai raison !" Dramatique : "Si je meurs, les étoiles me regretteront !". Lyrique : "Etre ou ne pas être n'est plus la question".  Enfin parodiant Pyrame en un sanglot :

- J'ai pas la moindre idée de ce que je dois dire pour vous convaincre de pas me buter.