Ce soir, je suis de sortie. Je n'arrivais pas à m'endormir et dès que j'essayais de fermer les yeux, des images terrifiantes venaient se coller à mes rétines. Ce n'est pas grave, ça arrive de temps en temps, mais ce n'en est pas agréable pour autant. Quand ça arrive, je soupire simplement avant de mettre un vêtement chaud et de sortir me changer les idées. Généralement, ça aide.

Ce soir donc, ne fait pas exception. Je me balade sur le chemin de traverse dans la nuit noire, me repérant grâce à ma connaissance du lieu et aux faibles lumières qui éclairent le chemin de nuit. Tout cela suffit pour que je ne me perde pas, ajouté au fait que comme ce n'est pas la première fois que je fais ça, j'ai mon petit itinéraire calmant à moi.

J'ère sans but, laissant mes pensées me submerger et me noyer mais mieux vaut dehors que dedans, non ? Alors je les laisse venir à moi et s'écouler de mon corps afin de les faire disparaître. Je souffle. Doucement. Et j'avance. Ce schéma se répète, inlassablement, jusqu'à ce que je me calme.

Il n'y a aucun bruit aux alentours. Parfois, je crois entendre des petits bruits d'animaux mais jamais je ne les vois. Par contre, je vois parfois des personnes pressées de rentrer chez elles se hâter dans les rues sans me regarder une seule seconde. A part ça, tout est calme. Et ce n'est pas plus mal.

Mais là, j'aimerais presque qu'on vienne m'embêter, qu'on me change les idées. J'aimerais aller réveiller Lara mais jamais je n'oserai la déranger dans son sommeil que j'imagine réparateur. Ce sont des démons que moi seule doit combattre. Et déjà, je sens qu'ils commencent à se faire plus rares dans mon esprit, bien que toujours présents. Je les chasse ou j'essaye de les chasser par mes pas plus loin, plus lentement, comme si je passais la frontière d'un autre monde. Ça n'a aucun sens, je le sais. Et pourtant, parfois ça marche.

Alors je fais demi-tour, me disant qu'il est temps de rentrer chez moi et d'essayer de dormir de nouveau même si je sens que dans mon état actuel, je vais tourner et tourner pendant encore des heures dans mon lit.

Mais bon, tant pis...

Mille excuses pour cet incroyable retard ><

Félin, il avance sans bruit. Ses yeux percent la nuit mieux encore qu'un lumos. Libre, sans maître et sans attache, il va. Où bon lui semble. Où le portent ses pattes. Il se glisse dans les ombres dormantes. Tapi. Muet. Aux aguets. Il a l'impression qu'il est roi, ici. Roi de cette rue plongée dans le sommeil. Il avance. Dans mon coin, je l'épie. Je crois qu'il ne m'a pas calculée. Ou, en tout cas, je ne le dérange pas. Parce qu'il continue sa route comme si je n'étais pas là. J'essaie de me glisser dans son ombre. Devenir chat. A son image. Sans même être animagus, je crois me métamorphoser. J'imite sa démarche -du mieux que je peux, bipède que je suis. Je plisse es yeux en croyant que ça m'aidera à y voir plus clair. Je pourrais tricher à l'aide d'un oculo catis. Mais le chat ne triche pas. Alors moi non plus.

Tout à coup, un bond, il saute sur une poubelle, saute sur un toit, file. Je me mets aussitôt en mouvement, cours, essaie de suivre sa trajectoire en parallèle sur la terre ferme. Mais, faut avouer, un chat, ça va plus vite que ma petite personne. Il ne m'attend pas. Il est parti. Mais je ne me décourage pas. Je continue de courir. Sans m'arrêter. Jusqu'à ce que je remarque une silhouette qui n'est pas le chat. Une silhouette bipède. Qui marche. Ou qui erre. Je ne me serais pas arrêtée si, en m'approchant d'elle, je n'avais pas reconnu ses traits.
La fille du musée ! Madame art, Madame tableaux ! Celle qui, avec moi, a essayé d'animer des tableaux Moldus. Les faire parler, sous le regard surpris des visiteurs.

Je freine, me retrouve face à elle. Je souris, parce que c'est un visage inattendu mais plutôt sympathique. Je ne la connais pas très bien. Néanmoins, qu'elle se soit prêtée au jeu des tableaux me suffit pour me dire qu'elle est une chouette personne. Pourtant, à l'heure actuelle, elle n'a pas l'air méga super heureuse.

-Eh ben ? je lance, l'aide de dire "mais c'est quoi cette de dix pieds de long ?"

Puis j'enchaîne :

-T'as pas vu un chat ? Genre... avec des moustaches, des yeux de chat, une queue, quatre pattes, des p'tites oreilles, là, en haut de sa tête...

Ouais, un chat, quoi. Trop meugnon, d'ailleurs. Le genre chat de gouttière super indépendant, actif, qui cache son affection sous des tonnes de dédain. Tout l'inverse de mon Oreo, mon félin à moi. Plutôt flemmarde, lui. Super ronron et câlin. Un bruit sur le toit au-dessus de nous attire mo attention. Le félin est là. Il nous regarde.

-Là ! je m'exclame. Viens, c'est rigolo, on va le suivre.

Sans même attendre son approbation, je l'attrape par le poignet et l'invite à me suivre dans ma course au chat. Lequel a sauté à terre et reprend sa route, se faufilant dans la nuit.

Alors que je rentre d'un pas résigné vers chez moi, une once d'Espoir vivant encore en moi sur la possibilité que je puisse m'endormir facilement, une silhouette apparaît devant moi. D'abord, je sursaute et je suis méfiance pendant quelques secondes - je ne l'avais pas vu arriver, toute occupée que j'étais avec mes pensées -. Mais quand je la regarde plus attentivement, je me rends compte que je la connais, et que nous avons déjà fait parler des tableaux ensemble. C'était drôle. Un drôle de petit bout de femme.

Je me détends donc et lui souris doucement, poussant un soupir de soulagement intérieur que ma prière ait été exaucée. Je ne sais pas trop combien de temps elle voudra faire la conversation, mais ça retarde sans doute un peu cet inévitable moment où je devrais retourner tenter de trouver le sommeil. Enfin d'abord, il faut lui répondre. Elle m'a lancé un Eh ben ?, surement en voyant la tête que je tirai alors que j'étais plongée dans mes tourments. Je hausse simplement les épaules. Je ne vois pas quoi dire, je n'ai pas tellement envie de me confier pour une fois.

Sa réaction me fait sourire, parce qu'elle change très vite complètement de sujet, et je lui en suis reconnaissante. Elle cherche un chat, qu'elle décrit très précisément, comme si je pouvais ne pas savoir ce qu'est un chat. Je rigole doucement mais hoche négativement la tête.

- Non, désolée

Puis au-dessus de nos têtes : un bruit. Et le chat - ou un chat en tout cas - est là, à nous observer. Celle qui faisait parler les tableaux m'attrape alors le poignet en affirmant qu'on va le suivre. Je ne proteste pas, même si pour l'instant je n'arrive pas vraiment à avoir la tête à ça, ça ne pourra que me faire du bien de rentrer dans son monde et de jouer à la chasseuse de chat avec elle. Ou simplement en faire une filature ?

Je ne suis pas sûre de savoir à quoi on joue
Mais je veux jouer

Alors quand il se faufile, je le pourchasse à mon tour, empruntant une ruelle étroite, et mes sens sont comme en éveil tandis que j'essaye de suivre le chat des yeux. Il va vite, très vite, on dirait qu'il est pressé, ou qu'il ne veut pas qu'on le suive. Peut être qu'il nous cache quelque chose et qu'il ne veut pas qu'on le découvre ? Peut être qu'il va retrouver un autre chat mais qu'il doit être discret ou qu'il va faire une transaction illégale de croquettes avec le chat de quelqu'un qui n'aime pas ce qu'on lui donne à manger ?

Ce chat peut être tout
C'est drôle de lui inventer une vie

- Tu crois qu'il va faire quelque chose de spécial ? Qu'il doit retrouver un autre chat ?

Murmure. Murmure pour ne déranger ni le silence de la nuit, ni le chat qui avance devant nous. Nous ne voudrions pas qu'il fuit, après tout. Alors quand il accélère, j'accélère aussi, emportant la fille aux tableaux avec moi au passage, échangeant les rôles.

Ça y est, je suis entrée dans son monde

Un sourire illumine mon visage quand je sens que ce n’est plus moi qui guide Harmony, mais elle qui mène la danse. Je n’ai jamais pensé qu’elle serait complètement réticente ou fermée à l’expérience. Après tout, elle a bien voulu animer des tableaux. Elle a, en elle, cette petite étincelle plus magique que magique. Celle qui rend toutes les choses possibles et colorent même les situations les plus ennuyeuses.
Alors que je cale mes pas dans les siens, je réfléchis à sa question.
Que peut bien faire le chat, à votre avis ? Un rendez-vous secret ? De la contre-bande au coin d’une rue peu voyante ? Peut-être a-t-il été engagé par un groupe pour aller exécuter un autre chat ? Je fais part de cette théorie à ma compagne de voyage nocturne :

-Imagine, je commence en murmurant, comme pour ne pas se faire entendre du chat, il est une sorte de tueur à gage et il va aller exécuter sa victime.

Je laisse planer un silence, le temps pour mes paroles d’être intégrées par Harmony. Digérées, peut-être.

-Et on est témoin de la scène.

Nouveau silence. Laisser l’imagination partir au galop. Visualiser la scène. Se plonger dedans. Analyser les issues possibles. Se préparer. Anticiper.

-Tu crois il pourrait essayer de nous tuer, nous aussi ?

Mon murmure s’est fait filet au-dessus de son épaule, pour aller tomber dans son oreille. J’accélère légèrement le pas pour me retrouver non plus derrière elle mais à côté d’elle. Plus loin devant nous, la silhouette du chat continue d’avancer. Il ne semble nullement dérangé par notre présence. Et c’est tant mieux.
Cette balade nocturne est, somme toute, revigorante. Je sens la fraîcheur de la nuit balayer mes joues. Et les muscles qui se dérouillent dans la course folle.
Je jette un coup d’oeil à Harmony. Je vais pour dire quelque chose quand mon regard périphérique capte que le mouvement qu’on suivait s’est arrêté. Je fais de même.
Le chat est au pied d’un arbre. Un de ceux qui bordent les rues, parfois. Il tourne, il gratte, commence à se faire les griffes sur le tronc.

-Si ça s’trouve, je commence, c’est ici qu’il a enterré son trésor... ou un cadavre... il vient le veiller. C’est peut-être pas un chat clean, qu’on a suivi.

Le félin ne semble pas plus décidé que ça à reprendre son chemin. Il commence même une petite partie de toilette !
Alors, faute de mieux, je m’assois par terre. De façon a garder, tout de même, l’animal en vu.
Je lève la tête vers Harmony, lui sourit, lui fait signe de s’installer elle aussi, si elle le veut. On mérite bien une petite pause !

-Tu traînes souvent ici la nuit ?

La question qui est sortie toute seule. Que j’avais envie de poser, en fait, depuis le début. Parce qu’elle n’avait pas l’air dans son assiette, quand je l’ai vue. Et je me demande si ça a un lien avec sa déambulation nocturne. Et si c’était une balade qui avait mal tourné ?! Ou alors, au contraire, elle a fui son chez-elle et s’est retrouvée seule, dans la nuit. La mine déconfite.

Un chat tueur à gage, qui va exécuter sa victime. Et nous sommes les témoins. J'avais imaginé quelque chose de moins... Sanglant, mais l'idée me plait. Et tandis qu'on le suit, l'histoire se poursuit et j'ai laissé mes problèmes de côté pour entrer dans un nouveau monde, le monde de cette fille qui a déjà réussi à m'emporter avec elle dans le monde des tableaux vivants. Ce soir, ce sont les chats tueurs que nous rejoignons, et malgré la dangerosité de la situation fictive, je me sens bien.

Quand je suis dans un autre monde, mes problèmes disparaissent, ils se transforme en un nuage foncé au-dessus de ma tête et le nuage fini par être balayé par le vent frais qu'amène l'arrivée dans un nouveau monde. Comme une bouffée d'air qui viendrait faire rejoindre de plus lointains horizons où les problèmes n'existent pas. J'aime profondément découvrir d'autres mondes et je souhaite que ça ne s'arrête jamais.

Murmure dans mon oreille
Le chat voudrait nous tuer aussi

- Il pourrait oui, nous devons faire attention. Mais pour ma part, je le pensais plutôt dealeur de croquettes...

Nouvelle idée et nouveau sourire. Il s'est arrêté au pieds d'un arbre, gratte, fais ses griffes. Il marque peut être le chemin pour son prochain client ? Il doit sans doute changer d'endroit pour chaque transaction de croquettes...

- Dealeur ou Tueur à gage, cadavre ou croquettes, je ne pense pas que ce chat soit clean. Heureusement qu'il ne sait pas qu'on est là...

Le chat reste encore sur place, validant presque notre hypothèse qu'un trésor se trouve ici. Et du coup, un sourire s'affiche sur le visage de Kohane et elle m'invite à m’asseoir à mon tour, ce que je fais. Mais viens la question que je redoutais, la question qui fait revenir les nuages noirs et qui éclate la bulle dans laquelle nous nous trouvions. La bulle où la douleur n'existait pas.

- De temps en temps... Quand je n'arrive pas à dormir. Et toi ?

Retourner la question pour ne pas aller plus loin dans les détails. Je n'ai pas envie de raconter ce qui me tourmente ni de plonger l'esprit dans la douleur, je veux juste penser à autre chose. Comme au chat dealer.

Et soudain, je vois un autre chat arriver au coin de la rue.
Je tape donc l'épaule de Kohane.
Essayant - vainement ou non - de la faire revenir dans ce monde de chats et de complots
Loin de mes propres tourments