Êtes-vous vraiment étonnés de savoir que le propriétaire de l’Occamy Doré a choisi d’installer son bureau dans les coulisses du lieu ? C’est encore l’un des endroits qu’il préfère ici ; lui qui a grandi dans le ventre d’un petit cabaret à Bristol.

La pièce n’est pas si grande, et elle ressemble davantage à un boudoir avec son sofa en velours aubergine, ses deux confortables fauteuils de cuir, et à peine une table où s’amoncellent quelques papiers. Il faut dire que le danseur n'est pas fait pour l'administratif ; il délègue d'ailleurs autant qu'il peut, ou bien, il laisse traîner.

La décoration chargée ne représente qu’une infime partie de tous les objets dont Élius aime s’entourer ; des poupées de porcelaine, beaucoup de miroirs les uns devant les autres, quatre ou cinq plumes, des bocaux où virevoltent des fées, un phonographe magique souvent en fonctionnement, mais aussi du maquillage sur les étagères, et une quantité impressionnante d’étoles de couleurs et longueurs variées. En regardant bien, vous pourriez y voir aussi des vêtements éparpillés.

Deux ou trois bouteilles de vodka tiennent compagnie à des boîtes de chocolat derrière l’une des portes en bois du meuble où sont entassés d’autres bibelots qui cachent un petit cadre contenant le portrait animé de la Maman d’Élius ; cette blonde Russe maladivement amoureuse de son fils.

Les effluves se superposent dans le bureau : cire de bougie, fard gras, feu de cheminée, cuir chaud et autant de parfums entêtantes qui représentent la personnalité de l'Enfou Roi.

Certains soirs Camille ne dort pas. Son visage de porcelaine blanche reste figé vers le plafond chargé de différentes soies colorées, les iris rondes - béantes d'insomnie. Il m'est impossible d'avoir sommeil si Camille ne dort pas. Sa bedaine en coton tendre électrise mes doigts somnolents comme le sel réveille l'incendie. Ma lèvre se crispe car je connais très bien la raison de son caprice, le même - sans cesse. Mon bébé réclame encore cette histoire, constamment cette histoire, éternellement cette histoire. Celle-là. Soyez patients. Laissez-moi simplement prendre ma respiration et Camille tendrement dans mes bras. Regardez nos pommettes collées, mon frémissement caresser délicatement ses traits de vaisselle abîmée. Soyez attentifs, ça va commencer...

— Il était cette fois là encore notre Cygne Coloré flottant contre son lac miroir. Le pays entier admirait combien son pennage bariolé enflammait les paysages, à en fondre d'envie, d'escompter imiter sa robe splendide. Mais personne évidemment n'arrivait à le plagier, ni même à devenir sa pâle copie. Il cachait bien son secret derrière des apparences étincelantes. Cependant, l'hiver apporta la neige, et la neige amena vers le lac différents nomades, comme - par hasard - le Charmant Cygne Blanc. Immédiatement, notre Cygne Arc-En-Ciel interprète son spectacle préféré devant ce joli convive en espérant le captiver. Il s'agite trop, perd ses ornements et dévoile sans le faire exprès, cette partie sombre - son pelage noir, complètement désordonné. Rien n'est attirant dans ces entrelacements sinistres, non ?

Le reste ? Mais Camille dort déjà contre mon front paré de mèches charbon. Le reste, il s'agit encore de l'écrire (de le vivre) avant de l'entendre. C'est-à-dire, j'ai improvisé l'histoire ce soir.