La tête tournée de l’autre côté, derrière moi pour avoir une réponse à ses yeux ronds qui s’étaient dessinés sur le visage de la jeune sorcière. Évidemment, je ne m’étais pas attendue à quelque chose de grandiose, ni de terriblement effrayant, sinon la Poufsouffle se serait sans doute levée, aurait crié peut-être aussi, je n’en savais rien. Toujours est-il qu’il n’y avait absolument rien derrière moi et c’est un regard exaspéré, suivi d’une tête qui se secoue de gauche à droit, un léger sourire sur les lèvres. Décidément, elle n’en manquait pas une, mais je la retrouvais et c’était le principal. Malgré tout, j’étais concentrée sur ma tâche du soir. L’envie absolue de commencer à devenir une Métamorphomage accomplie. Si j’avais encore du mal à vivre avec ce don, il me fallait m’entraîner et m’entraîner encore pour que cela devienne plus facile. Il était ce que j’étais et ne pas l’accepter serait rejeter une part de moi-même. Je refusais catégoriquement, de le refouler alors qu’il pouvait me servir pour bien des choses. J’étais devenue un caméléon et quel est la particularité d’un caméléon ? Le camouflage ! Le changement, s’adapter aux situations, s’infiltrer, surtout s’infiltrer. Avoir mille visages différents – pour ce point, cela viendrait probablement bien plus tard, peut-être jamais.

Alors c’est avec un sourire malicieux que je regarde mon amie me parler de méditation. Non. Ce n’était absolument pas quelque chose qui fonctionnerait sur moi. Ça s’agitait trop dans ma tête. La seule bulle que j’étais capable de créer était celle qui nous surplombait Arty et moi, nous entourait, nous faisant oublier le monde extérieur, totalement. À l’image de la boîte dont je lui avais parlé ce fameux soir de pleine lune. Juste une boite vide dans laquelle nous serions enfermés. En dehors de cela, j’étais incapable de créer quoique ce soit de calme et serein dans ma tête. C’était un vrai capharnaüm, peuplé de pensées, de rêves d’aventures rocambolesques. Un esprit alambiqué qui m’empêchait de remettre mes idées en place. Je secoue alors la tête d’un air sincèrement désolé. Je suis incapable de faire ça Theya, incapable. Mais il n’était pas question de partir dans un triste discours, sa seconde option était bien plus alléchante. J’ai essayé de m’entraîner avec Arty, c’est juste pas possible. Les souvenirs de cette terrible après-midi qui s’était terminée dans les larmes. Je vais essayer. Je fixe les cheveux de Theya avec une telle concentration qu’il serait compliqué de me faire perdre le fil des choses. La couleur était là, je crispe légèrement mon visage et la délicieuse couleur rose apparaît sur ma longue chevelure ondulée. Qu’en était-il du reste ? Le regard est incertain, je n’avais jamais essayé autre chose que la couleur.

Une fois de plus, je me concentre, regarde fixement, mais cette fois, c’est sur les longueurs que je me concentre. Comment raccourcir ? Comment retrouver cette texture, cette nature de cheveux différente de la mienne. Je tends une main pour les toucher, m’imprégner de leur douceur. Je me ravise rapidement, c’était ridicule. Comment être discrète s’il fallait à chaque fois toucher la personne en qui on voulait se changer ? Alors je ferme les yeux, la photo de Theya derrière les paupières, presque aussi nette que si j’avais eu les yeux ouverts. À la différence qu’il y avait ce côté brumeux et des particules colorés qui apparaissaient ça et là, création de l’imaginaire. J’essaie, j’essaie, à m’en donner mal au crâne. Je pousse un long soupir en ouvrant les yeux. Raaaah j’y arrive pas !! C’est hyper dur !!

Écouter, se calmer, se concentrer.

Trois choses bien difficiles pour une personne comme moi. Pourtant, il me fallait faire l’effort parce que Theya était mon seul espoir. Elle avait la sagesse, la patience, elle était la seule à pouvoir m’aider à me concentrer, à me faire parvenir à changer, évoluer. Tant quotidiennement que lorsqu’il s’agissait de ma Métamorphomagie. Ses paroles sont encourageantes, bien différentes de celle qu’aurait pu avoir Arty si la même situation s’était produite avec lui. Leurs méthodes étaient différentes, leurs façons de penser également, mais je les aimais tous les deux pour ce qu’ils étaient. Seulement, pour certaines choses j’avais davantage besoin de l’un que de l’autre, ils étaient essentiels à ma vie. Évidemment, je me sentais incapable de me transformer totalement, je n’étais que novice dans le domaine, il me faudrait encore un peu d’expérience avant une telle transformation. Malgré tout, il pouvait être possible de s’en approcher en parvenant déjà à changer la longueur et la nature de mes cheveux.

Je ferme alors les yeux pour balayer mentalement l’impatience qui commençait à s’emparer de moi. Ne pas la laisser jaillir et exploser. Je savais qu’elle pouvait faire beaucoup de dégâts. Simplement se concentrer sur la voix de ma meilleure amie en restant silencieuse, hocher la tête de temps en temps pour lui montrer que je l’écoutais toujours. Il me fallait réitérer, recommencer encore et encore parce que je ne voulais pas rentrer à la maison sans être parvenue à effectuer cette nouvelle transformation qui me trottait dans la tête depuis plusieurs semaines déjà. Ok… un murmure qui s’adapter au souffle du vent, s’envolait dans la même direction. Les yeux clos, je me concentre sur la chaleur du corps qui se tenait derrière moi. Commencer par la facilité après la couleur des cheveux qui restait rose. Se concentrer sur les yeux de Theya qui apparaissaient très clairement dans ma tête pour les avoir observés à de très nombreuses reprises. Le visage se crispe très légèrement tandis que les iris prennent la couleur noisette de celle de mon modèle du jour.

Les mèches roses apparaissent ensuite très nettement, la longueur au niveau des épaules. Je peux presque mettre mon visage à la place du sien. M’imaginer, moi, avec ses cheveux à elle. Le visage se crispe un peu plus que précédemment, l’effort est plus complexe, l’énergie plus importante. Le corps tremble très légèrement tandis que je sens une légère sensation de froid au niveau de mon cou. Machinalement, mes mains curieuses viennent vérifier en un toucher. Partant des racines, elles descendent délicatement vers les points qui, d’habitude, se trouver bien plus bas, beaucoup plus bas au niveau des hanches. Mais c’est fois, c’est bien au niveau des épaules que leur chemin s’arrête. Surprise, j’ouvre les yeux avant de me retourner vers Theya. J’ai réussi ? Et mes yeux ils sont comment ? Je me lève pour sauter, marcher avant de revenir vers la Poufsouffle. T’es une prof de rêve, tu le sais ça ? Avec ça, je peux faire, plein, plein, plein de choses ! Nous étions presque des jumelles. À la seule différence que nos corps et nos deux visages étaient encore bien différents. Un effort de plus. Dans quelques années, j’y parviendrai. Elle me redonnait l’espoir sans même avoir à hausser le ton. Agréable, très agréable sensation.

Le sourire et la fierté de Theya illuminaient le paysage sombre autour de nous. Elle savait se montrer patiente et enthousiaste et cela m’encourageait à continuer, persévérer juste pour le plaisir de la voir aussi fière. Ravaler quelques instants la culpabilité de lui cacher mon mariage. Ne pas penser à cela pour le moment. Je ne méritais pas ce don, que l’on me considère comme exceptionnelle parce que je ne l’étais pas. Néanmoins, elle si. La couleur, les émotions en pagaille, elle connaissait ça. Alors, je la suis, sautille, chahute, tout aussi satisfaite de lui ressembler aujourd’hui. Je la regarde en prenant des expressions propres à moi-même. Mélanger Loredana et Theya, devenir vraiment réellement Loreya. Unir cette amitié par de simples mèches rosées, ne faire qu’un. Sur le rebord du toit, je ferme les yeux, le vide attirant me lançait des regards aguicheurs. Cette envie de sauter. Non pas pour mourir, simplement pour profiter de ces secondes à tomber. La meilleure sensation.

Je secoue la tête pour revenir sur la terre ferme. Observe, l’homme qu’elle me montre du doigt. Theya tu grilles les étapes là. Je ne peux m’empêcher de rire aux éclats, tandis que je me recule - trop tentant ce vide. Les cheveux sont déjà présents, je ne me sens pas de faire apparaître une barbe c’est…. Dingue. Je n’avais pas assez d’expérience pour cela. Par cooooontre… je peux tenter avec Arty, il a la peau douce, une autre façon de dire qu’il ne possédait pas de barbe. Mais ses cheveux… ses cheveux c’est chaud, je crois qu’ils sont vivants ! Un nouveau rire avant de m’arrêter et me concentrer. La tête levée vers le ciel, les cheveux courts au vent. Je commence par me concentrer sur mes yeux que je modifie, que j’eclaircis, prenant la couleur de ceux du Poufsouffle. Les cheveux se raccourcissent, prennent une couleur brune similaire à la mienne. Pourtant, la concentration se perd et j’éclate de rire. D’un coup, les cheveux se rallongent ; je redeviens Loredana. C’est pas possible. Je continue de rire, peut-être légèrement génée des pensées qui m’avaient traversé l’esprit. Me concentrer et penser à Arty sont deux choses incompatibles là. Impossible et il me tardait de le retrouver à cette seconde.

Alors je souffle un bon coup pour chasser ces pensées presque érotiques et revenir vers Theya. Doucement, passer une main dans ses cheveux pour en observer les mèches. Tu mérites ce don bien plus que moi. Elle le porterait mieux, le traiterait mieux. Je n’avais pas cette capacité pour le moment. Transformer ce fardeau en une chose plus légère à porter en moi. Le destin a fait de la m*rde.

Je ne peux m’empêcher de pouffer légèrement en entendant les paroles de Theya. Elle était dotée d’une patience que je ne possédais absolument pas. Alors que je m’agaçais de ne pas avancer plus vite de la lumière, elle se contentait de m’expliquer le pourquoi du comment, alors que ce don n’avait absolument rien de si...simple. C’était probablement la raison pour laquelle peu de sorcier possédait ce don. Finalement, il était peut-être impossible de se faire aider par des personnes non-métamorphomages, c’était peut-être pour cela que rien ne fonctionnait comme je le voulais. C’était peut-être pour cela qu’Arty avait perdu patience et que Theya se servait d’arguments scientifiques. Ni lui ni elle ne pouvait réellement savoir l’effet que cela me procurait et pourquoi il était nécessaire que ce don entre définitivement en moi, que l’on cohabite ensemble et ça, c’était une chose qu’Arty pouvait comprendre avec son côté Loup Garou.

Malgré tout, il n’était pas question d’abandonner ou de dire à Theya que son aide n’était probablement pas la solution finalement. Parce que le calme n’était pas ce dont j’avais besoin. Le calme me rendait folle en réalité. C’était peut-être pour cela que la métamorphomagie se manifestait surtout lors d’excès de colère. Malgré tout, je m’exécute, je ferme les yeux sans grande conviction. Parce qu’il y avait quelque chose qui ne sonnait pas très juste dans tout ça. Donner une couleur à Arty n’était pas une chose facile, c’était peut-être même impossible. Parce que si le rouge passion le représentait, c’était une couleur secrète que je ne dévoilais pas. En dehors de cela, Arty était toutes les couleurs à la fois, un véritable arc-en-ciel parce qu’il me faisait passer d’un état à l’autre en l’espace de quelques secondes seulement. Si cela n’était pas toujours positif, c’était là notre relation. Multicolore, compliquée, difficile à remettre dans l’ordre. Alors la concentration se transforme en tout autre chose et je ris encore. J’suis pas romantique à ce point, tu peux pas me dire des choses comme ça, je rigole de plus belle. Les hommes avec qui j’étais sortie avaient tous été bien plus romantiques que moi, Daemon et Arty étant les deux derniers. On oublie Arty, c’est pas possible de me concentrer en me focalisant sur lui. Je tente autre chose, un éloignement, me rappelant des paroles lointaines et pourtant bien présentes d’Azaël. Finalement, ce n’était pas la Métamorphomagie d’un côté et moi de l’autre, nous étions un tout, une seule et même personne. Là était peut-être la réponse. Il me fallait être seule avec moi-même, tout simplement.

Sans ajouter quoique ce soit, je m’éloigne doucement, tournant le dos à la Poufsouffle. Les yeux clos, la tête légèrement baisser, je m’avance vers le rebord du toit. Non, pas pour sauter encore une fois, mais bien parce que c’était là que je me sentais bien, là que les sensations venaient tout naturellement : le danger comme dose d’adrénaline. Je laisse le vent me caresser le visage, libérer les sens tandis que le ventre se contracte, réagit à la proximité du vide. Je tente de retenir cette sensation, l’enregistrer pour pouvoir la réutiliser sans pour autant avoir besoin de prendre des risques. Le visage se crispe, les yeux prennent la couleur de ceux du Poufsouffle, les cheveux remontent jusqu’au niveau des oreilles et les ondulations se transforment en boucles rebelles, quoiqu’un peu plus ternes que les originales. De dos, on aurait tout à fait pu me confondre avec le Lycanthrope habillé en femme. Mais évidemment, le visage ne bougeait pas, cela demanderait un peu plus d’entraînement en solitaire, profitant des sorties secrètes d’Arty en renard pour me poser devant un miroir. Un jour peut-être que je deviendrai une pro. Je me tourne vers Theya, un sourire aux lèvres. Alors ? Je suis une Arty convaincante non ? S’il savait que je m’amusais à me déguiser en lui, je ne sais pas comment il réagirait. Un mélange entre la fierté d’être le centre de l’attention même en étant absent et à l’inverse, le mécontentement puisqu’il aimait se savoir unique en son genre, inimitable. Peut-être que je garderai pour moi cet entraînement. Il n’était pas obligé de savoir après tout.