T'es bien content d'être enfin en repos. T'as l'impression d'avoir enchaîné les tours de garde plus que jamais. Les rue sont pourtant étonnamment calmes, tu te demandes de plus en plus à quoi tu sers réellement. Alors oui, des arrestations ont lieu. Mais malgré toutes les enquêtes en cours, pas moyen de trouver un seul membre de ces fichus Ordre du Phénix. En dehors de ta soeur évidemment, mais tout comme tes camarades masqués t'as pas franchement envie qu'elle se retrouve arrêtée. Alors oui, t'as l'impression que les choses sont au point mort, et tu te demandes de plus en plus si t'as pas envie de... Changement.

T'es un peu perdu dans tes pensées tandis que tes pas foulent l'allée principale du Chemin de Traverse. Tu connais l'endroit comme ta poche, les moindres recoins, les moindres toits, d'ici et de l'Allée des Embrumes. T'as limite l'impression d'être encore au travail. Ton regard saute d'une personne à l'autre, analysant le moindre geste, la moindre attitude, sans même que tu t'en rendes compte. C'est que tout ça commence à te monter à la tête. Passant une main dans tes cheveux, tu entres dans la première boutique venue afin d'essayer de te changer les idées, de passer à autre chose.

Tu fais rarement les courses, c'est vrai. Tu laisses Balthazar ou Arty s'en charger. Toi, les magasins, ça n'a jamais été ton truc. Mais tu ne sais pas vraiment ce que c'est, ton truc, si ce n'est courir dans la forêt sous ta forme animale ou te balader avec ton masque de Corbeau. C'est que ça reste quand même hyper limité comme passion. Alors même si tu n'as pas l'intention d'acheter quoi que ce soit, tu regardes tout ce qui s'offre à toi. Jusqu'à ce qu'une voix se fasse entendre. Une voix que tu connais bien, même si tu ne l'as pas entendue depuis longtemps. Tu te dis que ce n'est sûrement qu'une idée que tu te fais, mais le prénom ne fait que renforcer cette impression.

Alors tu changes d'allée, juste pour voir si ton esprit te joue des tours. Et tu te retrouves face à face avec Evans et son gosse. Gosse qui a bien grandi depuis la dernière fois que tu l'as vu. Et même elle... Tu ne t'attendais vraiment pas à la revoir un jour. Tu bugues un instant en la regardant avant de te reprendre.

- Bonjour...

Ok, en fait, tu bugues encore un peu. Ton regard passe d'Enzo à sa mère plusieurs fois d'affilée avant qu'un sourire ne se dessine sur tes lèvres.

- Je pensais pas vous revoir un jour. Qu'est-ce que vous faites dans le coin ?

Attendant plus ou moins sa réponse, tu t'accroupis pour te mettre à la hauteur du gamin. Dire que tu le gardais quand Leo avait besoin de tes services... Il a bien changé.

- Salut Enzo. Tu dois pas te souvenir de moi. Je suis Azaël, je t'ai gardé quand t'étais tout petit. Mais maintenant, t'es un grand garçon à ce que je vois !

Tu hausses un sourcil lorsqu'elle annonce être revenue il y a deux ans. Dire que tu ne l'as pas croisée avant, même pas entendu parler de son retour par Alhena... Quoi que, ça paraît plutôt logique étant donné le peu d'interaction que tu as avec ta soeur depuis que tu t'es fait viré de Poudlard avant même d'avoir tes ASPICs. Tu t'étais juré de remédier à tout ça, de faire en sorte que tout redevienne comme avant entre vous, dès que tu pourrais tenir ton regard sans éprouver de la honte ou de la culpabilité. Mais c'est comme si t'avais finalement pris l'habitude de n'être plus qu'un fantôme dans sa vie, et elle dans la tienne. Elle te manque, pourtant. Et aujourd'hui, tu n'as pas à rougir de l'homme que tu es devenu. Mais t'as cette impression au fond de toi, que ce ne sera jamais assez. Elle reste au-dessus, ombre qui t'enveloppe totalement, et tu n'as aucune chance d'être un jour son égal.

- Je suis devenu Auror. Chef des Aurors, à vrai dire. Et Magenmage.

La dernière fois que tu l'as croisée, t'avais même pas tes ASPICs, et t'étais un gosse perdu, terrifié à l'idée de ce que l'avenir lui réservait, si avenir il y avait. Aujourd'hui, t'es un adulte, ou du moins tu en tiens le rôle parfaitement pour peu que tu en aies besoin. T'as fini par accepter le fait qu'être un Peverell amenait certaines responsabilités, et que tu ne pouvais pas faire tout ce que tu voulais au risque de le salir. Et encore aujourd'hui, beaucoup se souviennent de toi pour ce que tu étais, incapables de voir ce que tu es devenu. Il est bien difficile de se défaire d'une réputation, surtout lorsqu'elle est mauvaise. C'est ce qui marque le plus les gens.

Tes yeux se posent un instant sur l'alliance qu'Evans fait tourner distraitement autour de son doit. Ton attention se reporte cependant sur Enzo qui te montre qu'il a cinq ans, et ton sourire s'agrandit. Ce gamin a toujours eu un étrange pouvoir sur toi. Comme s'il ne faisait ressortir que le bon côté. Déjà lorsqu'il était bébé. Encore aujourd'hui, alors même qu'il a bien grandi. Y voyant une façon de parler au gamin tout en obtenant la réponse à la question qui prend place dans ton esprit, tu hoches la tête à ses propos.

- Et un grand garçon comme toi s'occupe bien de sa maman j'espère ? Tu es l'homme de la maison ?

La question d'Evans te prend cependant de cours. Tu hausses légèrement les épaules, perdant ton sourire au profit d'un léger soupir.

- Pas vraiment. On se croise au Ministère, c'est tout.

Léger froncement de sourcil lorsque le gamin parle de "papa". Leo est revenu lui aussi ? Et il n'a même pas cherché à te contacter ? C'est carrément vexant. Sauf que tu te rends bien vite compte qu'il n'est ici pas question de Leo lorsqu'un total inconnu débarque et que le gamin le désigne comme étant son père. Tu hausses un sourcil en reportant ton regard sur Evans. Cette histoire est de plus en plus cheloue. La voilà qui revient avec un mec inconnu au bataillon en tant que parfaite mère au foyer. Et elle balance même que c'est son mari. Difficile de cacher ta surprise sur ce coup-là. Tu étouffes même un rire tellement tout cela te paraît inconcevable. Faut croire que t'es pas le seul à avoir changé. Quoi que vu la gueule qu'elle tire, le mari en question doit pas être sa meilleure idée.

Tu te forces cependant à reprendre contenance pour lui serrer la main qu'il te tend avec un sourire poli. C'est sans doute pas le moment de demander à Evans si elle a des nouvelles de Leo.

- De même.

Y'a pas grand chose de plus à ajouter. Cette situation devient carrément gênante, du moins de ton côté. Il est grand temps d'amorcer une fuite et de te tirer de là. Quoi que... T'as quand même bien envie de la faire ch*er un peu. Après tout, depuis le temps que tu ne l'as pas vue... Tu peux sans doute te permettre de lui rappeler qui tu es. Et accessoirement qui elle est. Parce que tout ça, ça pue un peu l'hypocrisie et le mensonge à plein nez. Elle te remerciera plus tard. Enfin, entre deux envies de meurtre, évidemment.

- Leo est au courant ?

Pas qu'elle soit mariée, ça tout le monde s'en fout. Non, mais que son gosse se retrouve avec un deuxième papa qui sort de nulle part. Sans doute que ça l'intéresserait si il était encore dans le coin. Tu l'as bien vu, quand il s'occupait de Tim et d'Enzo. Il aime ses gosses, et l'éloignement n'y change rien. Pis c'est quand même un bon moyen de savoir si elle a de ses nouvelles. Ouais, tu sais que c'est pas le bon moment pour ça. Mais t'es un chieur, et on se refait pas.

Apparemment, t'as tapé juste en mentionnant Leo. Suffit de voir le regard qu'elle te jette, ça te rappellerait presque de très mauvais souvenirs la concernant. Mais aujourd'hui, aucune peur dans ton regard uniquement une lueur de défi. Les choses ont changé, et t'as l'impression de pouvoir mener la danse. T'en es persuadé, à vrai dire. Tu regardes Damian qui préfère se défiler en embarquant le gosse. Gosse auquel tu souris en répondant à son salut avant de reporter toute ton attention sur sa mère, léger sourire en coin. Bonne tête à claques, comme au bon vieux temps. Tu ne peux t'empêcher de pouffer de rire, moqueur.

- Non, effectivement, j'ai pas pu m'en empêcher.

Et elle ne peut pas t'en blâmer. Sérieusement, faut voir la vie qu'elle semble s'être créée. A quel moment Evans est un matériau à mariage heureux et bonne petite mère de famille sans histoire ? Y'a comme un truc qui cloche sacrément, et faudrait pas trop te prendre pour un con en pensant que tu vas avaler tout ça en hochant la tête sans relever deux-trois petites choses. Tu penches légèrement la tête sur le côté tandis qu'elle répète que Leo est parti. Comme si tu ne le savais pas. Cet abruti a laissé tout le monde en plan, toi inclus. Mais quand même...

- Il reste le père d'Enzo, mais le gosse appelle ton mec Papa ?

Nouveau soufflement de nez de ta part. La situation est plus paradoxale que cocasse, mais ton sarcasme peut difficilement passer inaperçu. Croisant les bras sur ta poitrine, tu l'observes à nouveau, de haut en bas et de bas en haut, avant de secouer la tête de gauche à droite.

- Je sais pas à qui tu mens le plus, mais tout ça, ça pue le faux.

T'as pas la prétention de la connaître réellement. Mais t'as suffisamment squatté son appartement pour l'avoir vue vivre. Et ça n'avait rien à voir avec ce qu'elle est aujourd'hui. Alors t'es mal placé pour dire qu'un changement n'est pas possible, suffit de voir ta propre évolution. Mais toi, t'es simplement devenu adulte entre temps. Elle, elle l'était déjà. Alors à moins que sa crise de la trentaine ait été vraiment violente, t'as du mal à saisir. T'es sans doute personne pour la juger. Mais t'as toujours ce besoin de prendre la défense de Leo, alors même qu'il a disparu depuis plusieurs années. Comme si tu refusais totalement que son départ soit définitif.

Est-ce que t'es content de la voir sortir de ses gonds aussi facilement ? Oui, carrément. Faut dire que ça te manquait un peu, de la pousser à bout gratuitement. Elle a ce truc qui te donne envie de la faire ch*er dès que tu la vois. Et t'as pas pu te retenir bien longtemps lors de ces retrouvailles inattendues. N'empêche, t'es quand même persuadé de n'avoir rien fait d'autre que de lui exposer tranquillement la vérité. Parce qu'il n'y a que la vérité qui fâche, et fâchée, elle a l'air de l'être à te menacer de la sorte avec son index.

Ses propos glissent sur toi. T'es un gamin, tu le sais. Un gosse qui joue le rôle d'un adulte parce qu'il n'a plus le choix. Tes conneries ne peuvent plus être pardonnées aussi facilement qu'avant. A présent, tu dois te ranger, alors c'est ce que tu fais, du moins en apparence. Mais c'est pas ça qui doit t'empêcher de te comporter comme le parfait petit con que tu restes au fond de toi, notamment face à Evans qui a déjà pu le rencontrer dans toute sa splendeur. A quoi bon faire semblant ? Il n'y a qu'elle pour se contenter d'une illusion de soi dans le reflet du miroir.

Sourire goguenard aux lèvres, tu la regardes s'éloigner après une dernière pique à ton encontre. Pique qui, pour le coup, a tapé plutôt juste. C'est vrai que tu continues à prendre la défense de Leo alors qu'il n'est plus là. Qu'il ne sera plus jamais là. Mais ce n'est pas vraiment la question. Pas vraiment le sujet, parce que tout ça, ça tournait autour d'elle, pas de toi. Tu la rattrapes vivement, saisissant son bras pour qu'elle te regarde.

- Tu sais que j'ai raison. C'est pas toi la petite mère de famille parfaite. Quand tu balances des piques on te reconnaît vachement mieux.

Léger sourire aux lèvres, tu la relâches aussitôt pour te barrer du magasin, saluant Damian et Enzo au passage comme si de rien n'était.