Il y a des choses dans la vie qui me terrifient au plus haut point. Perdre l’un de mes proches. Voir des gens souffrir. Faire du mal autour de moi sans que je m’en rende compte au premier abord. Être abandonnée par ceux que j’aime, les voir s’éloigner de moi. Être rejetée ou jugée par autrui. Et puis, la pire de toutes mes peurs : devenir folle. À cela est liée une autre chose qui m’effraie depuis que j’ai appris l’existence de la légilimancie : savoir que des gens peuvent découvrir ton existence rien qu’en lisant dans mon esprit. Car, même s’il n’est pas sûr que j’aie perdu la raison le jour où tu es arrivé, l’ami, je peux être quasiment certaine qu’un légilimens me classera dans la catégorie des aliénés en apprenant que je te parle dans ma tête. Et cette personne me jugera forcément, me rejettera et divulguera peut-être mon secret. Et là, le risque de voir mes craintes se réaliser sera bien trop important. C’est pour ça que je suis ici. Pour essayer de me protéger… de nous protéger, l’ami.

Je serre dans mon poing le bout de papier qui m’apportera les réponses à mes questions. Le professeur Turner m’avait envoyé cette lettre après que je lui ai posé des questions sur la façon de protéger son esprit face aux intrusions. Il n’y a que trois ouvrages traitant de l’occlumancie, dont un qui se trouve dans la réserve. J’ai prévu de passer tout l’après-midi à lire les ouvrages en libre accès et essayer de pratiquer cet art obscur. Je ne pense pas pouvoir y arriver du premier coup, évidemment. D’autant plus que je n’ai personne qui puisse m’enseigner la méthode à suivre et vérifier si ce que je fais fonctionne ou non. Mais bon, je suppose qu’on peut dire que ce n’est qu’un test pour voir si j’arrive à comprendre ce qu’il faut faire.

J’entre dans la bibliothèque et jette un nouveau coup d’œil à la missive du professeur de sortilèges. Vivre avec un Légilimens : Choisir son esprit judicieusement est le premier livre que je dois trouver. Il a été écrit par la société américaine des légilimens. Je ne savais même pas qu’une telle société existait en Amérique. Y-a-t-il tant de personnes capables de lire l’esprit d’autrui ? Je frissonne rien qu’en imaginant un enseignant ou un autre élève pouvant faire ce genre de choses. Mais je suppose qu’il n’y en a pas, sinon la personne ayant découvert le pot aux roses m’en aurait déjà parlé. Alors je reporte mon attention sur le livre que je cherche et qui doit se trouver, selon la lettre, dans la section de la bibliothèque traitant de la magie de l’esprit. Je déambule entre les rayons, jetant des regards intrigués sur tout ce qui passe à portée d’œil. Et, finalement, je parviens à trouver le premier ouvrage. Je le récupère et lis à nouveau le papier froissé dans ma main qui indique que le second livre s’intitule : Votre Esprit : Un guide pratique pour contrer la légilimancie. Je le vois assez rapidement, rangé non loin de là où se trouvait le premier.

Je m’installe alors à une table vide, dans un coin tranquille de la bibliothèque où personne ne viendra me déranger. J’ouvre au hasard l’un des deux bouquins et commence à le lire. Je lis, encore et encore, tentant d’assimiler toutes les informations données par l’auteur. Je vois la luminosité baisser au fur et à mesure de ma lecture, m’indiquant que le jour commence à décliner. Lorsque j’arrive à la fin du premier bouquin, mes yeux picotent légèrement. Je m’étire et me frotte donc les paupières. C’est vraiment compliqué, l’ami, mais je sens que cette discipline n’est pas impossible à maîtriser. Un jour, j’y arriverai. C’est quasiment certain. Mais quand, ça c’est une autre question… Peut-être dans quelques mois, même si c'est très peu probable. Le plus vraisemblable, selon moi, c'est que j'y arrive d'ici trois ou quatre ans. Ou peut-être dans plus longtemps, si jamais je suis trop mauvaise dans le domaine. Et puis, pour réussir, il faudrait que je m'entraîne tous les jours. Jamais de pause. Et je sais que je ne parviendrai pas à tenir un rythme trop difficile. C'est pour ça que je devrai organiser mon temps pour essayer de progresser. S'il est possible de progresser dans une discipline comme celle-ci sans avoir de mentor, bien évidemment. Et je suis prête à tout essayer pour réussir.

Prise d’une soudaine envie de pratiquer, je délaisse l’autre ouvrage qui attend patiemment sur la table. Et je tente de faire le vide… Mais ça se fait comment, le vide ? Je suppose que je ne dois penser à rien, clôturer mes souvenirs et ne pas me laisser submerger par mes sentiments. Alors je me concentre : Ne penser à rien… Ne penser à rien… Ne penser à… Mais, quand je me dis qu’il ne faut penser à rien, je pense à quelque chose. Je me mords la lèvre, priant pour qu’une illumination soudaine me donne la réponse, mais rien ne vient. Je ferme les yeux et enfouis ma tête dans mes bras. Bon sang, c’est incompréhensible ! Non, attends, je ne dois pas m’énerver. Je dois être dans le contrôle en permanence. Je relève la tête et inspire profondément. Un rapide coup d’œil aux alentours m’indique que je suis toujours tranquille pour pouvoir m’entraîner. Tant mieux, je n’ai pas forcément envie que des gens me voient m’énerver alors que je suis seule. Et du coup, je peux réessayer. Je ferme à nouveau mes yeux et mon esprit. Je me concentre. Une impression de calme m’envahit, mais ce n’est peut-être pas lié à une quelconque réussite en occlumancie. D’ailleurs, y penser signifie que je n’arrive toujours pas à ne penser à rien. Eh oui, c’est un cercle vicieux. Mais, déjà, est-ce que c’est possible de faire taire la petite voix dans sa tête ? Et, même si j’y arrivais, est-ce que je parviendrais à faire abstraction de ce sentiment étrange et quasiment constant qui m’habite ? Cette sensation qui m’indique ta présence alors que tu n’as pas d’enveloppe physique ?

Finalement, je pense que la pratique ne donnera rien. Du moins pas pour le moment. Je n’arrive pas à bloquer mes pensées parasites. C’est beaucoup trop dur pour moi. Pour combler cette petite déception, je récupère l’autre livre et commence à le lire. Je retrouve dedans quelques informations déjà traitées dans le premier ouvrage, certaines étant plus approfondies tandis que d’autres sont survolées. C’est assez drôle que l’un de ces bouquins traite de la vie aux côtés d’un légilimens, parce qu’on en apprend beaucoup sur eux également. J’avoue que ce n’est pas du tout le sujet qui m’intéresse, mais il faut bien connaître ce contre quoi on veut se défendre. Le professeur Turner l’a d’ailleurs dit dans sa lettre. Quelle était la formulation exacte ? « Connaître l’arme de son adversaire est parfois une bonne méthode pour s’en protéger ». Voilà. Eh bien je suis totalement d’accord avec lui. Et puis, pour l’autre livre, il ne porte que sur les façons de protéger son esprit.

J’ai dû passer plusieurs heures ici, assise sur une chaise à lire les livres et à essayer de fermer mon esprit. Parce que, une fois ma seconde lecture terminée, je me suis concentrée une nouvelle fois et j’ai de nouveau tenté de pratiquer l’occlumancie. L’emploi du verbe « tenter » indique bien sûr que l’entraînement a été infructueux. Ça ne m’étonne pas, d’ailleurs. Mais maintenant que la nuit est tombée et que plusieurs élèves se sont installés non loin pour travailler, je me dis que le moment est peut-être venu de retourner dans mes dortoirs. Je me lève donc, avec l’horrible sensation de fourmis dans les jambes, et me dirige d’une démarche gauche jusqu’aux rayons. Je range les bouquins à leur emplacement initial et, avant de quitter la bibliothèque, je regarde la liste des livres sur la légilimancie que le professeur Turner m’avait donné en même temps que ceux sur l’occlumancie. Parce que, après tout, je peux toujours emprunter des ouvrages sur le sujet. Pour connaître son ennemi. Je n’aurais qu’à les lire le soir avant de me coucher. Ça peut être une bonne idée, tu n’es pas d’accord ? Moi en tout cas je pense que oui. Mais bon, je suppose que ce ne sera pas pour tout de suite parce qu’il n’y a pas d’ouvrages en libre accès, ils sont tous dans la réserve. Du coup, je quitte la bibliothèque sans accorder le moindre regard à ceux qui m’entourent. Tant pis pour moi.

Et puis, in fine, je pense que cette séance d’occlumancie en solitaire n’a pas été vaine. Même si je n’ai aucun moyen de savoir si j’ai réussi ou non à contrôler mon esprit, et même si je pense personnellement que j’ai totalement échoué dans la pratique, j’ai réussi à apprendre énormément de chose sur cette discipline. Et la théorie est toujours utile si l’on souhaite maîtriser la discipline un jour.