Il était des jours où t'aimais aller te balader près de la gare, voir les gens s'étreindre, se retrouver, ou se dire au revoir. D'ailleurs, ça te laissait un goût amer parfois, tu n'avais plus eu l'occasion d'éteindre quelqu'un de ta famille comme ça depuis longtemps. Maman était enfermée dans le manoir, si elle en sortait c'était un miracle qui ne durait que très peu de temps. Et puis il y avait Abril. Abril elle faisait sa vie, elle vivait heureuse en France, enfin aux dernières nouvelles. Il paraît qu'elle avait trouvé quelqu'un de remarquable là-bas en étudiant la botanique, une passionnée comme Maman. Pour le reste de la famille, tu leur rendais souvent visite, dans tes cauchemars, quelques fois par mois parfois voire plus quand tu étais dans une sale période.

    Une tête secouait pour chasser toutes ses idées trop morbides, tu reprenais ton jeu d'observation, regard posé sur le monde, assise sur un muret près de la gare, carnet à la main tu dessinais le parvis de la gare et ses passants, ça faisait un sacré dessin. Beaucoup de détails que t'avais pas eu le temps de saisir pendant tes divagations. Tu reprenais ton dessin en te concentrant, un sourire qui flottait vaguement sur tes lèvres, voilà qui était mieux, ton dessin reprenait forme, reprenait vie.

    Tu sentais qu'on t'observait, en même temps, une nana assisse là en fin d'après midi avec rien d'autres qu'un cahier et un crayon, cheveux attachés et presque ébouriffés ça faisait un peu louche. Tu détournais les yeux de ton carnet deux secondes pour appréhender ce que tu devais renvoyer comme image : cheveux négligés, jean noir avec un gros pull à capuche bordeaux. Tu haussais les épaules, t'étais pas si mal, et puis au final tu t'en foutais qu'on te regarde pourvu qu'on ne te prête pas plus d'attention qu'un regard dubitatif. T'avais eu un petit rire, un petit rire de ceux qu'on pouvait à peine discerner à moins de prêter une grande attention à ton visage. Après tout, t'étais en train de dessiner dans ta bulle, qui pourrait bien venir établir un semblant de contact ?

Parfois, il craquait. Comme tout le monde, l’estomac prenait le contrôle et démangeait – dérangeait – le reste des organes tant la nécessité de grignoter des bribes trop salées trop industrielles devenait invivable. Alors certes, le Fripon n’en parlait pas, jamais, comme un fait inavouable, lui qui se targuait de savoir brillamment cuisiner, qui favorisait toujours les mets fabriqués dans sa propre cuisine ; mais voilà, en cette fin de journée d’un ennui harassant, il sort d’un fast-food moldu, le regard balayant les alentours pour éviter que quelconque sorcier ne reconnaisse ses boucles légendaires, la gueule remplie d’une nourriture déchettoire.
Il ne pouvait pas le nier, ça avait quelque chose d’extrêmement délicieux-exquis. Ce pain pas du tout fait-maison tout mou, cette sauce chimiquement indescriptible, ces légumes de papier et cette viande trop cuite. Mais c’était pour le goût resté sur la langue, trop sucré-salé, la dépendance sur les papilles. Fermer les yeux, le museau béat tourné vers le ciel, de merveilleux instants de savour. Arty traverse le parvis de la gare, l’air guilleret affiché sur la bouille, prêt à en démordre avec tout le monde – n’importe qui surtout – le revoilà chargé à bloc alors que même pas la moitié du burger était avalé.

Les éclatantes baskets avisent alors soudainement une jeune femme assise en train de dessiner, l’air innocent sur le visage qui réveille évidemment la paranoïa mégalo du Poufsouffle. Est-ce qu’elle était en train de le dessiner lui ? En train de manger cette infamie moldue ? Les bouclettes torbillonnent tandis que l’Acrobate bondit sur le muret à côté de la supposée Artiste – sans perdre une miette de son goûter, miracle. Sans gêne aucune il se penche sur le papier orné pour soupirer de soulagement, ce n’était pas son portrait.
Enfin, bien sûr qu’il était vexé – légèrement – il était certainement la silhouette la plus séduisante de cette place, et pourtant. Il s’accroupit aux côtés de la jeune femme au risque de froisser son parfait petit costume de fonctionnaire, y’a vraiment des gens beaux et intéressants à dessiner ici ? La frimousse du Loup-garou s’agite, évidemment, il en doutait, mais il ne détache pas le nez des coups de crayon de la Demoiselle, ou alors c’est qu’tu dessines mal ? Croquer dans le burger, qu'elle ne craigne rien, la sauce n'allait pas dégouliner sur le papier - normalement.
Charmant ce petit, vraiment, il avait l’art d’éblouir avec sa politesse et sa subtilité sociale.

Qu’est-ce que c’était statique – l’art. Il attraperait des fourmis aux fesses de rester immobile sur ce maudit parvis, là où les gens se suivaient, s’imbriquaient, pleuraient, riaient. Des innocents bien trop naïfs qui n’avaient aucune idée de ce qui se déroulait sous leur pied. C’était sûrement l’âge avancé qui le rendait si aigri, mais les moldus avaient cette brillante qualité de fabriquer des burgers d’un chimique délicieux, alors le Wildsmith profite, savoure. Ses yeux attrapent finalement le croquis de la jeune femme, tellement surpris, les sourcils s’en vont fréquenter la racine des boucles, attends mais c’est moi ça ! Ah non non non, il ne pouvait pas apparaître de cette façon, dans cette situation ridicule en train de se goinfrer de cette terrible nourriture, c’est la honte.
Et voici qu’elle voulait faire encore un plus gros plan, avec quoi ? de la sauce débordant de ses babines ? Elle était complètement tarée cette Madame ! Les boucles se secouent, mais ne parviennent à articuler quoi que ce soit tellement la bouchée est difficile à mâcher – du caoutchouc ce pain burger.

Mais il fallait préciser un tout petit rikiki détail sur le Poufsouffle : être le centre du monde, de l’attention, c’était son truc. Il en était même plutôt fier, ce n’était pas un défaut que de vouloir briller – bien au contraire. Alors, il n’a pas le courage d’arrêter les coups de crayon de l’Artiste. Si j’suis beau, peu importe si tu dessines mal, ce sera toujours par-fait ! Lui aussi pouvait être doué d'espièglerie, si on en doutait encore. De la main pas pleine de ketchup, remettre en place les mèches dérangées – les déranger davantage. Quant au burger ? Terminé ! Absolument délicieux. Toujours d’une politesse excédante, il s’essuie ses petits doigts sales de diablotin sur l’épaule de la Rencontrée, rapidement. C’était bien mieux que son beau costume, comme elle le disait si bien.

T’as rien d’autre à faire que ça ? Un coup d’œil sur le griffonnage pour vérifier que c’était plus ou moins fidèle, qu’il était sous son meilleur éminent profil. C’est là qu’une idée lui embarbouille les méninges agitées. Et s’il existait un dessin immortel de lui ? N’était-ce pas là une sublime façon de rester dans l’histoire, même en cas d’apocalypse ou – plus vraisemblablement – de mort légendairement épique ? Certes, certes, il était familier avec ces idées de photographies, c’était bien mignon et gentil, mais un dessin, ou un tableau, ça a vachement beaucoup plus de classe. Il rejoindrait peut-être même le goût de son Cousin à propos de cet art de bourge. Tu sais peindre ? Alors qu’il s’assoit finalement aux côtés de la brune, la veste consciencieusement déboutonnée. Mieux encore, et s’il existait un tableau vivant de lui ? Ohlalalala oui ! Le sourire s’élargit s’élargit s’élargit encore, les mégalomanes idées s’emportent !

Arty pouvait effectivement être l’allégorie d’énormément de choses, c’était sa façon à lui de s’exprimer, dans les extrêmes, toujours. Il n’était pas un peu agité, ni un peu romantique, ni un peu galant, ni un peu colérique, non c’était tout tout ça en même temps, aux maximum de la jauge – fatigant. Pourtant, il ne s’emporte pas des fines piques de son interlocutrice inconnue. Les moldus qui passaient pour entrer et sortir de la gare avaient la force de le dissuader de faire une bêtise. Parce qu’il fallait préciser qu’il n’était pas vraiment super fier de son costume de fonctionnaire. Ça l’embêtait, un peu, d’être enfermé dans un bureau à longueur de journée, que même jouer des tours et des farces à ses collègues devenait d’un ennui étouffant. Et pourtant, il ne bougerait pas de son poste, pour les promesses qu’il s’était faites, et pour l’importance de sa mission d’espionnage. Être au plus près des relations politiques avec le gouvernement moldu, là était sa place, et il la défendrait. Même devant cette audacieuse Demoiselle. Tu peux t’moquer, ça me coule dessus ! Vrai que l’argent du Ministère, il aimait ça, c’était cette régularité qui lui permettait une certaine liberté.

Par contre, cette Madame avait un chouïa amplement raison. Être modèle pour une historique peinture risquait d’être une longue et fastidieuse activité, surtout pour lui et ses boucles turbulentes. Il grimace, s’imagine en train de prendre la pose des heures et des heures durant, sans sourciller, sans manger. Son estomac se tord devant cette bien triste éventualité. Tu peux faire sans modèle fixe ? ou à partir d’une belle photographie moldue ? Ou d’un dessin peut-être. L’urgence dorénavant était d’avoir un tableau grandiose de lui et qu’il pourrait ensorceler pour naviguer dans les autres tableaux ; un clone d’Arty, voyageur pictural. Ce serait fabuleux, il ne savait pas encore trop comment s’y prendre, mais il y parviendrait.
Quant à l’échange, j’sais pas, j’peux t’donner c’que tu veux, demande-moi. Et le pire dans tout ça, c’est que c’était sérieux. Arty était de ceux qui se faufilaient dans les méandres des filousseries les plus folles, tout ce qu’il suffisait c’était de beaux discours et des ruses malicieuses. Il écarte nonchalamment les bras, prêt à recevoir gaiement le prix de l’Artiste. Tout ce dont tu as toujours rêvé, j'peux te le procurer, que ce soit matériel, ou pas. Le beau-parleur s'était mis debout, et débutait déjà un bel acte de comédie.

Oh la tentation était affriolante, vraiment. En cette sortie de travail bien trop ennuyant, parmi la foule de moldus précipitée sur le parvis de la gare, il pouvait tout faire, absolument tout. Mais c’était justement cette brillante qualité agitant les boucles qui était d’une dangerosité à manipuler avec précaution. Il avait un rôle, maintenant. C’est curieux, mais ça le démange. Peut-être que le Fripon regrette amèrement les années d’insouciance où il pouvait gambader et déposer à ses côtés ribambelles de bêtises plus maléfiques les unes que les autres. Il était devenu quoi ? Un triste employé du ministère, coincé dans un costume certes au tissu tout soyeux, mais dont la symbolique était semblable à une austère cage. Et on connaît l’épouvantard du Poufsouffle, être enfermé dans une cage. Il s’ébroue pour faire fuir les mélancoliques pensées quand, dans un soupire il révèle, j’suis pas un inconnu, j’suis Arty Wildsmith. Même sa réputation avait fini par s’éffilocher tant il n’était plus à la une des méfaits sorciers. Fut un temps tout le monde le connaissait, appréhendait sa prochaine amusette – le personnel de Poudlard, surtout. Enfin, c’était le passé. Il hausse les épaules.

Avait-il tant besoin de prouver au monde entier qu’il restait le même au fond ? Avait-il tant besoin de la reconnaissance et des regards braqués sur lui, pour les bonnes ou mauvaises raisons ? Évidemment que oui.
Mais de là à plonger tête la première dans une futile provocation d’une jeune femme qu’il ne connaissait même pas – peut-être pas. Alors le sourire reprend sa splendide place sur sa bouille de filou. Il me faut un défi, sinon y’a trop de possibilités. Qu’elle soit un peu responsable si écartade il y avait. Avec l’aisance agile qui était la sienne, il descend du muret en observant les moldus agglutinés. Ils étaient pressés de rentrer chez eux, ça se lisait sur leurs costumes froissés. Mais vraiment, tu peux tout me demander. Déjà, des envies de bouffonnerie troublaient son museau songeur, ainsi debout, il pouvait tout entreprendre. Chaparder n’importe quel.le moldu.e, en faire un délicieux et amusant pantin, donner un spectacle de rue, là, il sentait sous ses doigts impatients de retrouver sa jeunesse toutes les joyeuses opportunités. Excepté mon corps, j’sais, il donne envie, mais c’est hors limites, désolé. Non pas que l’autre n’était pas jolie, mais l’annuaire alliancé du Poufsouffle avait promis fidélité, pas question d’y déroger.