Il arrivait parfois que les communautés sorcières et moldues se fondent ainsi dans des domaines qui n'étaient pas les plus courants. Il fallait dire que, si les moldus ne connaissaient en rien l'existence des sorciers, les sorciers, eux, ne s'empêchaient jamais de profiter des multiples possibilités d'un monde moldu plus large et plus peuplé que le leur. Il arrivait donc que des sorciers, qui se voulaient artistes, écrivains, chanteurs, scientifique, comédiens, ouvrent les portes de la communautés de non-sorciers pour se présenter à un public plus conséquent, et parfois plus ouvert, que celui auquel ils auraient pu se cantonner parmi les leurs. Il n'empêchait qu'ils trouvaient dans leurs admirateurs certains de leurs congénères, qui aimaient se glisser parmi les moldus pour admirer leur travail. C'était le cas d'Aysha. En grande amatrice d'art, elle n'avait jamais voulu se limiter à l'une ou à l'autre des catégories d'artistes. Elle n'aimait pas se mettre de barrières. Ainsi, lorsqu'un sorcier montait une exposition dans une galerie moldue de Londres, elle ne tardait pas à s'y rendre. Elle trouvait toujours amusant, d'ailleurs, de passer inaperçu au milieu de cette foule qui croyait admirer un artiste classique, sans savoir que c'était un sorcier qui se cachait derrière ces oeuvres. Elle aimait ce sentiment d'incognito. Elle n'était de toute façon pas du genre à apprécier se faire remarquer.

Ainsi, ce jour-là, Aysha venait de pénétrer dans une grande galerie blanche dont les murs étaient parsemés de toiles, et les coins de pièces habillés de sculptures fantaisistes. Elle connaissait l'artiste de nom, savait qu'il était un sorcier, bien qu'elle ne l'eût jamais rencontré. Dès qu'elle posa les yeux sur le premier tableau, elle comprit qu'il puisait son inspiration dans le monde magique. Elle reconnaissait ça et là, dans les tableaux les plus figuratifs, des silhouettes de créatures familières, de volutes de fumée rappelant un sortilège ou un autre, des scènes inspirées de contes et légendes pour petits sorciers. Les moldus autour d'elle ne cessaient de s'ébahir quand à l'imagination débordante de l'artiste. Aysha esquissa un sourire en coin. Imagination débordante ou source d'inspiration bien réelle, plutôt. Cela ne la dérangeait pas. Elle savait que les moldus avaient une imagination plus... limitée. Ou bien non, mais leur méconnaissance de la sorcellerie les rendaient plus faciles à impressionner. C'était sans doute cela.

La galerie était plutôt bien fréquentée. Cela faisait plusieurs semaines que l'artiste exposait, et Aysha venait seulement de parvenir à se dégager un moment pour se rendre à l'exposition, entre ses cours, rondes préfectorales, et rencontres avec 52. Cela lui faisait du bien. Elle se vidait la tête comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps. Cela faisait un moment qu'elle avait délaissé son goût pour l'art en général, et sa pratique. Elle avait eu l'esprit un peu trop rempli de questions, découvertes, engagements. Elle n'avait plus eu la tête à cela, mais elle avait retrouvé un semblant de calme depuis qu'elle avait ancré un peu plus profondément son engagement dans l'Ordre Noir. Il lui avait fallu du temps. Elle retrouvait son goût pour les expositions et autres activités artistiques, et cela lui faisait plaisir. Elle avait eu l'impression de se perdre. Elle se retrouvait.

Petit, j'aurais rêvé devenir journaliste. Moi qui avait une langue si peu docile, la perspective de réussir ma vie à l'aide de ces mots que je ne parviens jamais à retenir contre leur gré était des plus séduisantes. Malheureusement, que ce soit en parole ou en écrit, le fleuve insomniaque de mes pensées se déverse inexorablement jusqu'à faire déborder les esprits et les pages. Je noircissait trop mes parchemins qui en devenaient illisibles et donc inutilisables. Concentrez-vous, Flores ! Soyez concis, Flores ! N'utilisez-vous jamais de points, Flores ? Voilà les commentaires auxquels j'avais droit. Et même l'enfant que j'étais alors discernait le vrai dans tous ces dires. J'ai donc dû raccrocher ma casquette de journaliste en herbe assez vite mais cette désillusion de carrière de l'enfance ne m'a pas pour autant ôté le goût de la lecture ! En témoigne mon pauvre appartement, considérablement petit au vu de son emplacement en ville, dont tous les meubles sont encombrés de journaux, magazines et autres revues. En tant que sorcier, la Gazette fait bien évidemment partie des papiers d'informations trônant sur la table principale située au salon. Le Chicaneur est toujours amusant à lire également, nettement plus que L'Ambassadeur. Ce dernier m'est plus utile qu'agréable, à vrai dire, je le parcours donc le plus souvent en crabe et à toute vitesse avant de plonger dans de plus intéressants journaux. Ceux qui constituent la majorité de tout cet amas de papiers glacés : les journaux moldus. Bien que je n'y comprenne le plus souvent rien, ou peu, je les collectionne comme un enfant avec ses premières cartes de chocogrenouille. Avec cette passion et cet attendrissement qui vous font garder ce sixième exemplaire de la carte de Harry Potter. Vous savez que vous l'avez déjà, plusieurs fois déjà même, et pourtant vous la ranger avec les autres, incapable de la jeter. Eh bien un médecin vous dirait que je souffre du même syndrome du collectionneur : des piles et des piles dans tous les coins ! Ce serait, bien sûr, un jugement hâtif. Car plus que pour le plaisir de les avoir ou le serrement au coeur à l'idée de les jeter, ce sont surtout et avant tout des objets d'étude de ma part. Économie, culture, politique, divertissement,... les moldus catégorisent leur monde comme pour m'en faciliter la compréhension. Ce serait irrationnel de se passer de tels outils alors qu'ils sont à portée de main ! D'ailleurs, la revue culturelle des artistes Londoniens avait attiré mon attention aujourd'hui. Un nom que j'avais déjà vu apparaître plusieurs fois dans des articles. Et pas que de la part de journalistes moldus, ce qui rendait la chose mille fois plus intriguante !

Voilà pourquoi je m'étais empressé de rejoindre la file d'attente aux portes d'une galerie d'exposition de la ville. Enchanté de sortir et encore plus plus pour une si exaltante raison. Je trépigne d'impatience entre les cordons, examinant d'un oeil curieux tous ces moldus lisant et commentant la brochure explicative que distribuaient de charmantes personnes à l'entrée. L'une d'elles m'a même demandé si je désirait un guide-audio. J'étais bien sûr absolument conquis à l'idée d'être accompagné par un expert en la matière ! Malheureusement ma déconvenue devait se lire sur mon visage quand le jeune homme m'expliqua toutes les manipulations qui allaient avec ce privilèges. Je devais avoir avec moi cette fameuse petite boite intelligente que je n'ai jamais réussi à faire fonctionner. De même que la montre qui allait avec. Des semaines à essayer de lui parler doucement à l'oreille afin de gagner ses grâces, sans succès. Alors je dû me rabattre sur une autre de leurs boîtiers parlant. Plus simple, moi malin aussi car il se répétait beaucoup, ne comprenant pas quand je lui fait remarquer je passais d'un tableau à l'autre. C'est décontenancé que j'essaie de lui faire entendre raison, au milieu des autres visiteurs qui me regardent étrangement. C'est bien ma veine d'être aussi peu aimé des appareils technologiques moldus !

- S'il-te-plaît, je suis déjà dans l'allée numéro trois. Veux-tu bien me donner les informations du tableau devant moi et non celui du tout début ? Une oeuvre au demeurant charmante, soit en sûr ! Mais que j'ai déjà quitté il y a de ça plusieurs minutes maintenant.
- Peint lors de son voyage en Asie, cette peinture représente un paysage des plus atypiques. L'usage et le mélange peu conventionnel des couleurs...
- Oh oui je sais tout ça ! On dirait un envol de fées au-dessus d'un lac habités par de mystérieux êtres de l'eau mais j'aimerais passer à la suite si tu le veux bien ? Sans vouloir te commander, les autres merveilles de cette galerie mériteraient aussi tes louanges et je crains de ne pas avoir tant de temps devant moi...

C'était peine perdue, la voix était infléchissable dans son explication pourtant déjà répétée maintes et maintes fois. Je soupire d'impuissance et me demande si ce n'est pas un peu grossier de secouer la machine jusqu'à ce qu'elle veuille bien m'écouter.
- Ces choses sont aussi incroyablement butées qu'un hippogriffe !

Tandis qu'Aysha slalomait entre les visiteurs, qui, tour à tour, observaient les tableaux avec un oeil circonspect ou se prenaient de passion pour une oeuvre quelconque, son attention fut attirée par une voix qui semblait s'énerver dans l'allée suivante. Piquée de sa curiosité habituelle - en bonne Serdaigle qu'elle était - elle fit quelques pas et glissa un oeil dans l'allée en question. Son regard se posa alors sur un drôle d'énergumène qui secouait son audio-guide avec une visage courroucé. La préfète arqua un sourcil. Le malheureux était-il tombé sur un appareil défectueux ? La chose étrange était qu'il semblait s'adresser directement à la machine en espérant sincèrement qu'elle lui répondrait. Certes, il arrivait à la bleue de prononcer quelques mots à l'attention de ses objets, elle aussi, mais elle n'en attendait jamais une réaction, et elle ne le faisait pas publiquement. L'homme avait une attitude qui prêtait à sourire. Mais alors qu'Aysha s'apprêtait à regagner son allée avec un air amusé, elle surprit une exclamation énervée qui la fit se figer sur place.

Elle repassa un oeil dans l'autre allée, puis un deuxième, et son corps tout entier. Fort heureusement, le jeune n'était pas entouré par d'autres visiteurs. Qui donc était cet imprudent que mentionnait, à voix haute en plus, le mot "hippogriffe" dans un lieu moldu ? Bien sûr, ces derniers l'auraient sûrement trouvé étrange et ne se seraient pas posé de questions, mais tout de même... Son attitude quand à l'audio-guide semblait plus claire à présent. Il devait faire partie de ces sorciers de sangs-purs qui ne savaient se servir de la technologie moldue. Il fallait bien admettre que c'était un exercice difficile ; Aysha elle-même avait bien souvent du mal en dépit de sa mère moldue. Elle s'était donc passée de l'audio-guide pour cette fois, ce que n'avait pas fait l'imprudent. Elle le détailla discrètement. Il respirait finalement la sorcellerie à plein nez. La préfète songea qu'elle croisait probablement souvent des sorciers sans le savoir, mais cela l'intriguait toujours de rencontrer l'un des siens dans un lieu moldu. Elle décida que l'occasion était la bonne pour faire une nouvelle connaissance.

- Hum, en fait... L'audio-guide fonctionne tout seul. Il ne peut pas vous répondre. Vous avez juste à l'écouter et à... vous adapter à son rythme.

Elle adressa à l'homme un sourire poli en désignant la machine qu'il avait secouée un instant plus tôt. C'était le côté un peu décevant de la technologie moldue : leur autonomie horripilante. Bien sûr, tout était programmé avec ces choses là.

- Au fait, ajouta-t-elle plus bas, les audio-guides sont finalement bien plus faciles à maîtriser qu'un Hippogriffe.

Elle voulut lui faire un clin d'oeil mais se ravisa. Certes, c'était un sorcier, mais cela ne voulait pas forcément dire qu'il était encleint à faire la conversation, ou même de nature aimable.

Mon désespoir ne fut pas complètement vain. Si j'avais perdu la bataille avec l'audio-guide, qui au final ne me guidait pas tant que ça, ma détresse m'amenant tout de même une âme charitable afin de me sortir de ce mauvais pas. Une jeune fille tout à fait charmante quoiqu'un peu hésitante vient me donner le plus précieux des conseils : garder patience. Elle avait, ma foi, totalement raison ! Rien ne servait de se presser et même avec la plus grande de mes volontés, je saurais bien incapable de faire fléchir celle, puissante et implacable, de la machine moldue. C'était le prix a payer pour tant de complexité. A rendre tous leurs appareils intelligents, les moldus les avaient également rendus maîtres de leurs décisions. Si mon guide voulait s'épancher une fois de plus sur le délicat mélange des courants de la peinture numéro une, qui suis-je pour le juger ? Moi-même ne passais-je pas un temps considérable devant un ordinateur à l'écran empli d'icônes indéchiffrables ? Il fallait que je me mette à sa place et que je recouvre mon calme. Je sourie de bon coeur à ma sauveuse, profitant de cet interlude pour m’asseoir un instant sur une chaise vacante.
- Vous avez parfaitement raison ! Je n'aurais pas du perdre mon calme. A être trop curieux j'en deviens trop impatient, on ne m'y reprendra plus. Que c'est rassurant de voir une jeunesse aussi sage et avisée, voilà qui prévoit de beaux jours à l'avenir. Je pense le laisser tranquille un moment, mon guide, après tout l'art peut aussi s'apprécier avec juste ses sens à soi, sans explications extérieures. Du moins c'est ce que je pense ! Mais il faut dire que je ne suis moi-même pas le moins du monde artiste, à mon plus grand désespoir ! Je n'aurais donc jamais un réel oeil d'expert. Oh pas que ce soit quelque chose que je désire par-dessus tout, loin de là. Parfois les experts peuvent être parfaitement rébarbatifs et incompréhensibles. Mais ce n'est pas de leur faute, ils sont si au fait des choses de leur domaine qu'à leurs yeux tout ceci est limpide. Alors, forcément, face à l'incrédulité du public, ils sonnent tout à fait étranges. Pardon, je m'égare ! Nous parlions d'hippogriffes et voilà que je divague une fois de plus. C'est un de mes nombreux défauts je le crains, vous m'en voyez navré. Ne pensez-vous pas que la sculpture de la rangée précédente ressemblait à s'y méprendre à une créature de chez nous ? Bien que je n'arrive pas à mettre le doigt sur laquelle exactement, je ne pouvais en détacher les yeux à cause de cette tenace impression.

Un musée est tel une bibliothèque, d'ordinaire le silence est de mise en ses murs. Vers la fin de ma dernière question, les regards et « chut ! » courroucés étaient lancés tout autour de nous. Ce ne sera pas la première fois que ma langue trop pendue m'attire des remontrances, j'y suis habitué depuis le temps. La gêne est toujours là, à chaque fois, mais elle est devenue, à la longue, une amie qui vient doucement me rappeler à l'ordre plus qu'autre chose. En revanche je suis plus mal à l'aise pour la pauvre enfant qui se retrouve mise dans le même panier de part notre proximité ! Baissant le ton au point d'en chuchoter, je me confonds en excuse à son égard.
- Pardonnez-moi, mon intention n'était pas d'attirer ainsi les foudres des visiteurs sur nous. Pour moi c'est devenu une malheureuse routine mais je comprendrais que vous souhaitiez vous éloigner. Je vous serais toujours reconnaissant pour l'aide apportée, soyez-en toutefois sûre !
Les jeunes sont parfois si sensibles à la critique de leurs pairs, je ne veux pas me montrer indélicat.

A l'instant même où l'inconnu avait posé les yeux sur Aysha, il avait trouvé un nouvel interlocuteur sur lequel déverser un torrent de paroles. Il avait détourné son attention de la machine, qui continuait à diffuser sa litanie dans un léger bourdonnement de paroles mécaniques, en arrière plan. Assis sur une chaise désormais, il ne s'arrêtait plus, arrachant un sourire amusé à la préfète qui chercha à le dissimuler derrière un masque d'intérêt. Elle venait de faire la connaissance d'un drôle de personnage, qui ne manquait pas de se faire remarquer et qui manquait définitivement de prudence. Il lui apparaissait sympathique, cependant, et venait briser la monotonie de sa visite de la galerie. Elle se rendit bientôt compte qu'il se recentrait sur leur conversation et s'adressait directement à elle avec quelque chose qui attendait une réponse. Elle reposa les yeux sur lui et se concentra à nouveau. Oui, la sculpture de l'entrée lui avait elle aussi laissé l'impression de reconnaître une silhouette familière... jusqu'à ce qu'elle parvienne à remettre le doigt dessus. Un Jobarbille. Ou du moins, c'était ce qui lui avait laissé la couleur bleu vif de l'oeuvre, couplée à son espèce de forme élancée qui ressemblait à s'y méprendre aux ailes d'un oiseau. Ou bien peut-être était-ce tout à fait autre chose d'ailleurs. La sculpture était abstraite, mais Aysha ne pouvait se départir de son impression : cet artiste avait puisé toute son inspiration dans le monde sorcier. De toute évidence, elle n'était pas la seule à le penser.

- Oui, je crois que c'est un Jobarbille. Enfin, ça y ressemble en tout cas.

Non pas qu'elle en ait vu si souvent que cela. Le jeune homme parlait trop fort cependant, et ils s'attirèrent quelques regards incommodés. Son bavardage avait brisé le silence sépulcrale de la galerie ou seuls se faisaient entendre les bourdonnements des audio-guides et les murmures avisés des amateurs d'art. Aysha ne put contenir un sourire lorsqu'il se répandit en excuses en supposant qu'elle voudrait s'en aller. Non pas qu'elle aimât particulièrement attirer l'attention sur elle, mais elle n'en était pas au point de fuir la compagnie de toute personne sur laquelle les regards se posaient avec un peu trop d'insistance. Il lui suffirait de chuchoter, et ça serait très bien. Elle appréciait de pouvoir échanger quelques mots avec un sorcier dans ce lieu rempli de moldus, elle n'allait pas s'en priver pour si peu.

- Oh, non, ne vous inquiétez pas, je vais rester ! Enfin, si je ne vous dérange pas bien sûr... Vous avez peut-être mieux à faire.

Elle désigna l'audio-guide bien qu'il eût visiblement abandonné l'idée de s'en servir. Entourée de toiles abstraites, elle se sentait comme engloutie dans un monde étrange. Elle laissa ses pensées divaguer un instant.

- Saviez-vous que l'artiste était l'un des nôtres ? dit-elle à voix basse en contemplant la galerie.

S'il était là, il était fort probable qu'il le sache, mais il pouvait aussi bien être amateur d'art et s'être trouvé dans cette galerie par hasard.