Aysha aurait aimé pouvoir dire qu'elle l'avait senti. Elle aurait aimé pouvoir croire en ce lien, ce lien inexplicable qui aurait fait que, où qu'il soit, quoi qu'il se passe, quelque chose se serait brisé en elle si il lui était arrivé quelque chose. Des liens qui auraient dépassé ceux des fiancailles, des liens nées de ces confidences, de ces secrets, de ces mois, semaines, jours, minutes passées ensemble. Mais rien. Elle n'avait rien senti d'autre que le désarroi de ne pas réussir à le contacter. Il n'y avait aucun lien de cette sorte. Ce n'était pas la première fois qu'Eden disparaissait. Elle le connaissait et l'acceptait comme cela : mystérieux, fuyant parfois, instable, changeant. Mais il ne partait jamais pendant des jours entiers. Il restait absent une heure, une nuit, un jour parfois. Jamais plus.

Aysha s'était rendue chez lui après avoir essayé maintes fois de le contacter. Elle avait transplané de villages en villages jusqu'à pouvoir atteindre celui où trônait sa maison, au milieu de la verdure, perdue. Cette maison, dans laquelle il avait construit cette cave infâme, cette maison dans laquelle il enfermait son secret, dans laquelle il passait chaque pleine lune. Aysha avait voulu changer cela. Elle s'était procurée une bague de protection, elle était prête désormais à sortir, avec lui, à la pleine lune. Et à l'emmener en forêt, sans craindre le danger. Mais peut-être était-ce trop tard. Peut-être n'avait-elle pas agi assez vite. Peut-être s'était-il fait du mal. Aysha frappa à la porte. Elle écouta un instant le silence, dans lequel résonnait le bruit du bois frappé, dans une maison sans aucun doute vide. Où était-il ? Que faisait-il, et surtout, pourquoi ne lui répondait-il pas ? Elle avait pris la précaution de frapper, même si elle savait que la maison la connaissait, et qu'elle pouvait y entrer sans craindre les protections magiques élevées tout autour. Il aurait dû répondre. Il aurait dû être là.

Alors elle entra. Elle sentait ses épaules se contracter à chaque pas dans l'entrée, guettant un signe, quelque chose qui ne fût pas normal, un corps même, peut-être. Rien ne l'étonnait. Il était imprudent. Il vivant dangereusement. Il avait des ennemis, trop d'ennemis, plus qu'elle encore. Loup-Garou, Mangemort, un joli profil. Et elle avait peur qu'il ait fini par payer tout cela. Elle n'était pas prête à le perdre, absolument pas prête, et chaque fois qu'elle disait son nom, c'était ceux de Luna, Kalèn, Papa qui tournaient en boucle dans sa tête, tous ces disparus. A croire que chaque personne de sa vie se volatilisait sans un mot dès qu'elle se sentait mieux. Elle ne savait pas ce qui lui était arrivé, mais elle avait peur que ce scénario ne se reproduise. Encore. Et elle était seule face à cela.

Soudain, immobile sur le seuil du salon de la maison d'Eden, Aysha songea à Zélie, son visage se matérialisa devant ses yeux. Elle lui avait confié ne rien savoir de l'endroit où pouvait se trouver Eden lorsque la bleue lui avait posé la question, mais elles ne s'étaient pas reparlées depuis. Sans doute aimerait-elle être là, elle aussi. Aysha ne voulait pas être seule et Zélie était de toute évidence la mieux placée. Et malgré leur différends anciens, malgré la jalousie qu'elle avait pu éprouver, elle était la seule désormais à pouvoir comprendre son désarroi, et la seule avec qui elle voulait partager ses recherches. Elle ne pourrait continuer plus loin sans elle. Elle ne pourrait continuer seule, car elle savait qu'elle n'était pas assez forte pour cela. Elle sortit sa baguette de sa poche, et prononça la formule qui fit naître, juste devant elle et dans une volute argentée, la silhouette d'une belette pygmée. Elle n'avait pas fait cela souvent, mais elle ne pouvait pas attendre. Elle était là, et elle voulait savoir.

- Zélie, rejoins-moi à la maison d'Eden. Je crois que c'est le seul endroit où nous pourrons trouver des réponses et je ne peux pas le faire sans toi.

Elle regarda son patronus glisser au travers de la porte de la maison, portant son message jusqu'à Zélie qui, elle l'espérait, viendrait vite. Aysha resta silencieuse et immobile sur le seuil du salon, incapable d'avancer davantage. Combien de gens était-elle condamnée à perdre ? Combien de vengeances, combien de souffrances ? Elle ressentait déjà cette pointe qui lui tordait à nouveau la poitrine, cette pointe qui s'était évaporée avec la souffrance de l'assassin de son père, cette pointe qui avait semblé disparaître alors qu'elle l'avait regardé se tordre de terreur. Que devrait-elle faire pour la faire disparaître à nouveau ? Qui devrait-elle regarder souffrir ?

Elle avait été rapide, aussi rapide qu'Aysha eût pu l'espérer. Le Patronus avait filé en dehors de la bâtisse, et quelques instants plus tard à peine, la silhouette de Zélie était apparue, elle était entrée dans le salon d'un pas silencieux et son regard avait accroché le sien un instant. On pouvait y lire la même tristesse, le même désespoir d'avoir perdu un être aimé. La main de la jeune femme brûla l'épaule d'Aysha un instant et une chaleur réconfortante irradia tout son corps. Comment avait-elle pu supporter d'entrer dans cette maison seule ? Il lui paraissait évident désormais qu'elle avait besoin d'elle.

- Merci.

C'était sans doute l'un des Merci les plus sincères qu'elle eût prononcé. Elle contempla le salon en tentant d'ignorer l'énorme boule qui s'était bloquée dans sa gorge et qui donnait à chaque mot qu'elle aurait pu prononcer une intonation sanglotante. Eden, le bel Eden, celui qui l'avait aimée plus fort que quiconque, celui qui avait partagé ses faiblesses et ses forces, celui qu'elle avait vu se changer en bête dans la cave de cette maison, celui qu'elle avait vu retirer son masque sur une plage déserte. Celui avec lequel elle avait prêté serment sous cet arbre. Comment pouvait-il avoir disparu ? Déjà, Aysha cherchait des coupables. Peut-être avait-il été arrêté ? Peut-être avait-il été tué par cet Ordre du Phénix qui se trompait de toute évidence de coupables ? Peut-être le Ministère, encore, était-il responsable de sa mort ? La rage, la colère et l'injustice affluaient déjà dans les veines de la bleue. On lui avait ravi Eden après qu'on lui eût ravi son père, Kalèn, Luna. Le système, les cases, la haine mal dirigée lui avaient ravi toutes les personnes qu'elle aimait.

- Est-ce que tu crois que c'était parce qu'il était...

Mangemort ? Loup-Garou ? Zélie le savait-elle seulement ? Aysha pouvait-elle révéler ainsi son appartenance à l'Ordre Noir sans savoir si elle était dans la confidence ? N'allait-elle pas se trahir elle aussi ? Elle ne pouvait pas se le permettre. Elle devait prendre sa place dans l'Ordre désormais, honorer sa mémoire en se battant à sa place pour ses convictions. Elle devait faire payer à tous ceux qui avaient contribué à cette perte en portant son masque à sa place. On les accusait d'être les assassins, mais c'étaient eux qui mourraient. C'était elle, Aysha, qui perdait tous ses proches les uns après les autres. C'était elle qui souffrait. Et ce n'était jamais la faute des Mangemorts. C'était la faute des autres. Elle les haïssait chaque jour un peu plus.