Il avait fallu se rendre à l'évidence. Quelque chose ne tournait pas rond. Ou plutôt, quelque chose ne tournait plus.

Aysha avait gardé quelques séquelles de son escapade dans la maison, de cette mission chasse au trésor qui s'était transformée en duels dénués du moindre sens. Des séquelles plus psychologiques que physiques au premier abord : celles d'avoir dû affronter des amis, des enfants. Eden. C'était d'ailleurs la dernière fois qu'elle l'avait vu, il n'avait plus donné signe de vie depuis. Celles d'avoir été piégée, d'avoir pris conscience qu'elle était été assez naïve et inconsciente pour plonger dans le plan de la première venue, sans information sur sa véritable identité, sur son but. Celle de savoir à présent qu'elle avait été capable de mettre sa vie danger pour un trésor qu'elle ne voulait même pas, simplement pour se sentir vivante, pour faire quelque chose, quelque chose de nouveau. Elle en avait rếvé. Des rêves qui avaient plutôt eu l'allure de cauchemars. Mais cela n'avait pas duré, et aujourd'hui c'était la culpabilité et l'incompréhension qui la rongeait surtout. Bien qu'à sa connaissance, aucune des personnes avec qui elle avait partagé ce moment ne soient mortes.

Mais il y avait eu autre chose ensuite. Quelque chose qui ne marchait plus bien. A dire vrai, Aysha avait le sentiment que cette chose qui ne fonctionnait plus était apparue à l'instant même où elle s'était retrouvée sur le Chemin de Traverse. A l'instant où elle avait transplané, sans le vouloir, et comme tous les autres. C'était comme si quelque chose avait changé. Comme si quelque chose s'était brisé. C'était une sensation bizarre sur laquelle elle peinait à mettre des mots. Il y avait tout de même quelques éléments objectifs. Ses cheveux, qui d'ordinaire poussaient si rapidement qu'elle devait presque les couper tous les mois pour les avoir à une longueur convenable, ne semblaient pas avoir pris un millimètre. Ses ongles n'avaient pas poussé non, son vernis rouge avait gardé toute sa couvrance et avait fini par s'écailler sans que ses ongles n'aient grandi d'un pas. Mais c'était ce qu'elle ressentait, surtout, qui l'avait poussée à venir à Sainte-Mangouste. Comme une impression de ne plus évoluer. Comme si quelque chose, en elle, dans sa poitrine, dans sa tête, s'était totalement bloqué.

Aysha avait d'abord pensé que, peut-être, l'explosion qui avait eu lieu dans la maison avait modifié le cours du temps. Que peut-être celui-ci s'écoulait plus lentement, désormais. Mais elle avait bien observé, ces dernières semaines, les gens qui évoluaient autour d'elle, et notamment les plus jeunes. Il y avait eu ces bébés Fléreurs, en cours de Soin aux Créatures Magiques, qui avaient bien grandi au cours du mois de juin, jusqu'à atteindre une taille adulte, et ce à une vitesse tout à fait normale. Puis elle avait reçu une lettre de sa mère : Jane et Flinny avaient pris quatre bons centimètres au cours du dernier trimestre, tant et si bien qu'elle avait été obligée de les amener à une session shopping pour refaire leur garde-robe avant l'été. Et il y avait les pendules, qui tournaient toujours à la même vitesse, les plantes, qui poussaient tout à fait normalement dans les serres de Poudlard. Le monde tournait à une vitesse normale, et personne ne semblait se préoccuper de quoi que ce fût. C'était chez Aysha, que quelque chose clochait. Elle le savait.


La porte s'ouvrit et une sorcière vêtue d'une blouse blanche, une plume s'agitant dans l'une de ses poches, fit signe à Aysha d'entrer. La sorcière de l'accueil, après qu'elle eût brièvement exposé son problème, l'avait envoyée vers le quatrième étage, Service de pathologie des sortilèges, non sans lui avoir offert au passage un regard soupçonneux. Il fallait dire que la bleue avait eu les plus grandes peines du monde à exposer un problème dont elle ne connaissait pas vraiment la teneur et qui se limitait à "J'ai l'impression qu'il y a quelque chose en moi qui ne tourne plus". Les communiqués officiels avaient parlé de "Faille Temporelle". Mais elle ne savait pas s'ils avaient été touchés personnellement. Elle ne savait pas non plus quelles étaient véritablement les conséquences.

Elle s'assit sur une chaise en plastique bleu qui couina sous son poids et attendit, légèrement mal à l'aise, que la Médicomage qui lui faisait face ordonne ses papiers et sorte sa plume de sa poche. Une fois satisfaite de son installation, cette dernière releva les yeux vers la bleue et lui adressa un regard bienveillant :

- Bon, alors, qu'est-ce qui vous amène ?

Plus Aysha tournait et retournait le problème dans son esprit, plus cela lui semblait ridicule. Pourtant, elle sentait qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Et il fallait qu'elle comprenne, qu'elle obtienne des réponses. Les communiqués n'avaient pas précisé si cette faille devait avoir des conséquences sur les individus présents. Ils n'avaient pas non plus donné de symptômes, de solutions. Ils n'avaient pas dit grand chose, en fait. Et c'était très angoissant.

- En fait je ne sais pas trop comment expliquer ça... J'ai comme l'impression que... Enfin que mon corps n'évolue plus de la même manière qu'avant. Comme si... quelque chose avait arrêté de fonctionner ou... En fait c'est un sentiment que j'ai, je ne sais pas vraiment si j'ai tort, mais j'ai vraiment l'impression que quelque chose de ne tourne plus. Et que je suis comme en décalage avec... le reste du monde.

Elle avait l'air d'une folle. A n'en pas douter, la Médicomage allait lui expliquer que tout cela étaient les conséquences psychologiques d'un quelconque traumatisme, d'une angoisse ou d'une autre. Mais ce n'était pas cela. C'était physique. C'était profond.

- Heu, j'ai aussi remarqué que mes cheveux et mes ongles ne poussaient plus.

Ce qui était peut-être un élément pour concret à exposer à un-e Médicomage. Cette dernière resta silencieuse un instant, tandis que sa plume à Papote griffonnait sur une feuille lignée.

- Vous avez remarqué cela depuis quand, exactement ?

- Depuis mars. Après cette histoire de... Faille Temporelle. J'étais sur place.

La Médicomage hocha la tête, pensive, puis fit signe à Aysha de se lever et l'examina en silence. Elle observa ses ongles, ses cheveux, ses articulations, pointa sa baguette magique sur elle à plusieurs reprises sans que la bleue ne sache véritablement ce qu'elle était en train de faire. L'examen dura dix bonnes minutes, et la femme ne cessait de hocher la tête, froncer les sourcils, sans émettre un mot. Au bout d'un moment, qui parut une éternité, elle se rassit derrière son bureau et la plume se mit à écrire à toute allure. Elle resta silencieuse un court moment avant de reprendre la parole.

- En effet, il semblerait que le temps n'ait plus de réelle emprise sur vous. Ou plutôt, je dis sur vous, mais pour être précise, il n'a plus d'effet sur votre corps, et sur votre esprit. Sur leur vieillissement, j'entends. Vos besoins naturels restent présents, vos organes fonctionnement, bien sûr, votre mémoire, vos capacités cognitives sont probablement intactes, mais vous ne... vieillissez plus. C'est en tout cas l'hypothèse que j'émets après ce premier examen. Il serait sans doute intéressant d'étudier cela sur le long terme pour vérifier si c'est effectivement le cas.

Aysha hocha la tête, légèrement décontenancée, heureuse cependant d'avoir obtenu une réponse et de pouvoir mettre des mots sur son problème.

- Je ne comprends pas, cela signifie que je ne vais plus vieillir du tout ? Plus jamais ?

Etait-elle réellement condamnée à rester à ses 17 ans pour toujours ? A tourner en rond, à étudier à Poudlard sans jamais avoir la possibilité de prendre en âge, en maturité, d'avoir des enfants, une famille, un avenir ?

- Pour l'instant, je ne suis pas en mesure de vous le dire. Il est tout à fait possible que cet état ne soit que passager. Il est également possible que le temps s'écoule à une vitesse beaucoup plus lente pour vous, cela ne veut pas dire qu'il ne s'écoule pas du tout. Pour le moment, je suis incapable de vous donner une réponse fiable et définitive. Ce genre de cas n'ont pas été nombreux au cours de l'histoire, et cette faille temporelle recèle encore énormément de mystères et de questions sans réponses. Nous faisons de notre mieux pour comprendre. Vous n'êtes pas la seule dans ce cas, nous relevons une petite dizaine de cas.

- Mais alors... qu'est-ce que je dois faire ?

- Attendre. Etre patiente, et vous soumettre à un suivi régulier ici, à Sainte Mangouste. Nous devons étudier votre cas de plus près, et sur le long terme, pour savoir exactement de quelle façon fonctionne le temps pour vous, et éventuellement trouver une solution que vous vous réaligniez avec la temporalité universelle.

La Médicomage fit un pause pour consulter les papiers qui s'étalaient sur son bureau.

- En l'état, et tant qu'il n'y aura pas de changement dans vos sensations, et ce que vous constatez pour vos ongles et vos cheveux par exemple, considérez que vous êtres comme "bloquée" dans l'écoulement du temps. Le monde autour de vous continuer à tourner à un rythme normal, mais vous êtes figée dans le temps. Vous avez indiqué à l'accueil être encore élève à Poudlard ? Je ne sais pas ce que vous aviez prévu à la rentrée, mais après examen, je me vois dans l'obligation de faire des déclarations au Ministère. Tant que rien ne change, aux yeux de la loi, vous avez 17 ans jusqu'à nouvel ordre. Par conséquent, il ne me semble pas raisonnable de vous laisser entrer dans la vie active alors que vous n'allez pas vieillir. Vous attendrez les directives du Ministère, pour ma part, je préconise que vous fassiez à nouveau votre Septième Année au collège Poudlard. Cela nous laissera également le temps d'en comprendre plus sur votre cas.

Aysha hocha la tête, assaillie de questions qui n'avaient pas de réponses. Ainsi, elle n'était pas la seule. Elle songea aux autres visages qu'elle avait pu croiser dans la maison. Il fallait qu'elle leur parle. La bleue salua la Médicomage, prévoyant déjà un nouveau rendez-vous dans les deux mois qui suivaient. Retourner à Poudlard. Recommencer sa septième année. Et si elle était condamnée à cela, toute sa vie ?

Non. Il devait bien y avoir une solution. En matière de magie, il y avait toujours une solution. Non ?