Com Padre [Abandonné]

Saison 31 - Été
PV Sariel Fawkes

La rencontre avait été fortuite, coulée dans une extravagance abyssale et tissée de promesses vaines. Pourtant. Oui pourtant. Elias se trouvait bien là, dans les tréfonds d'une allée brumeuse, à guetter les passants comme si sa vie en dépendait. Pourquoi ? La curiosité ? Bête et insidieuse ? Plus que ça ? Un espoir peut-être, doublé d'une nécessité quelconque de connaître la vérité. Car il y avait une chance finalement, faible mais bien là, que le bougre félon de l'autre jour ait tapé dans le mille. Un rien de hasard, un nom tiré des limbes de l'ignorance et PAF !

Tout était possible.
Fxck, c'est qu'il en avait un peu le coeur battant.

L'Elias s'avance vers la bâtisse érigée en amont, l'oeil porté sur les fenêtres, la langue humectant les lèvres avec nervosité. Ok. C'était pas la mer à boire. L'info était très possiblement erronée. Et quand bien même si c'était vrai, alors quoi ? Ça changerait pas sa vie. Si ? Non. Sûrement pas. Il était à un âge où il avait plus besoin d'un père. Juste il voulait savoir, ouais voilà. C'était tout. Il se plante devant la porte, le visage neutre, les mains moites, et se résout à frapper.

Trois coups secs porté par des phalanges crispées.

La vie, c'est comme une boîte de chocolat. On sait jamais à quel moment ça va fondre. Le soleil lui balaye les épaules par-delà la grisaille, et dans l'ombre d'un silence hilare, il attend. Son esprit fait vriller de lointains souvenirs d'une enfance esseulé dans les recoins du Baxter Center, sous le regard lourd d'un Pokrovski à demi abimé par l'âge et le souci. Quelque part dans l'opacité de cette existence rondement menée, il y avait un si. Et ce si allait potentiellement ouvrir la porte. Cette seule pensée le fait déglutir un parpaing de salive.

Pourquoi Sariel n'invitait-il jamais personne, à part quelques exceptions marquées d'une individualité nette ? La raison était plus que simple, parfaitement bien organisée dans sa tête, et elle coulait d'une source que tout le monde connaissait bien s'intitulant généralement "intimité" ou encore "trop de choses à cacher". Lui, avait bien souvent la flemme de nettoyer et de parler.
Cela dit, il lui arrivait effectivement d'organiser des rencontres dans son antre, surtout quand il en avait besoin. Il jugeait non seulement les quelques cas spé(so)ciaux qui ponctuaient sa vie sur ce qu'ils pouvaient lui apporter, mais en plus, il les classait sans remords dans des catégories bien spécifiques, de l'utilité charnelle à l'utilité intellectuelle ou sociale. Tout dépendait. Certains individus occupaient une place aux frontières plus floues, cependant, ce qui ne l'arrangeait guère, mais Sariel étant avant tout humain, son hélas soumission aux dures lois de l'affection et d'un sentimentalisme totalement involontaire n'était donc pas un mythe.

Il venait de finir son premier repas depuis deux jours ; un sandwich garni de viande de bœuf, viande apparemment communément dénommée pastrami sous cette forme et dont la vendeuse, seul rayon de soleil dans l'échoppe d'origine, implantée du côté moldu de la ville, avait souligné qu'elle était AOC ou un truc comme ça. Il n'avait rien pigé et s'en était totalement foutu. Il aurait pu bouffer n'importe quoi, pourvu qu'on ne lui dise pas que sa bouffe avait été jugée par un panel de consommateurs ou d'experts en viande séchée.
Seulement voilà, le sandwich était maintenant allègrement broyé par son estomac, aidé par une, deux, trois gorgées de café noir auparavant broyé par un moulin, et une lassitude folle s'empara de lui soudainement. Il avait fait son devoir d'être humain ; était allé pissé vingt minutes plus tôt après avoir pris un bain bouillant, s'était brossé les dents avant de déjeuner ce qui n'avait absolument aucun sens, avait présentement fini de manger. Et maintenant ?

Quelques-uns de ses travaux patientaient toujours dans son bureau. Il y songea longuement, le regard perdu dans le vide, et se rendit compte qu'il n'était ni d'humeur à lire, ni d'humeur à écrire et encore moins d'humeur à disséquer. Désabusé par ce manque évident de motivation qu'il mit sur le compte de sa digestion manifeste, en témoignait le mal de ventre qui s'était emparé de lui, il s'alluma une cigarette après une hésitation, hésitation marquée par un geste arrêté de sa main sur le briquet à essence échoué sur le plan de travail de sa cuisine de ménagère fossilisée. Il craque néanmoins trois secondes et demi plus tard, misérable et sans honte. La fumée brûlante de tabac blond glissant lentement le long de ses voies respiratoires lui rappela sans conteste que son devoir d'être humain devait également être, sans doute aucun, de décéder le plus rapidement possible. Là-dessus, il avait misérablement échoué : il avait atteint ses 50 balais.

Trois coups portés à l'entrée de sa demeure le rappelèrent à son absence d'obligations, et clope coincée à son bec, mine interrogatrice sans destinataire, il quitta la cuisine nonchalamment. Il cilla en ne reconnaissant pas la gueule qui attendait sur son pallier, son œil droit offrant toute sa confiance à son bon ami Judas.
— Je ne fais déjà pas confiance à l'utérus qui m'a propulsé dans ce monde, ce n'est donc pas aujourd'hui que je vais commencer à faire mes achats au porte-à-porte, clama-t-il assez fort pour que l'intrus soit dans la confidence.

Il savait pas tellement à quoi s'attendre. Une ouverture de porte en décéléré, un entre-regard d'une intensité zouave, une hésitation d'un quart de siècle, une conversation qui sait pas comment s'embrayer. Un silence dégénérescent peut-être, voire la réalité d'une erreur évidente et un timide au revoir et pardon de vous avoir dérangé à une vieille dame esseulée.

À la place, une voix bourrue avait filtré sous la porte pour gentiment lui demander d'aller se faire encxler.

Il reste une seconde en stand by, comme paralysé par la réalité de cette voix qui vient de parler. Ahem. Sariel Fawkes ? Il arrive à peine à maintenir une intonation normal. Il sent son coeur qui veut s'échapper de la cage thoracique. Les palpitations font trembler ses nerfs fragilisés, et c'est alors qu'il réalise.

Ce qu'il y a derrière cette porte lui importe. Il voulait pas que ça lui importe, non non non. Mais le fait était là. Il était comme un ver pris sur un hameçon. Tremblant de nervosité, d'incertitude, d'inquiétude même. Sans aucun contrôle sur ce qui allait suivre.

Et il détestait ça.

Il se racle la gorge de nouveau, frappe plus vigoureusement pour parler claire et brut. Z'auriez pas participé à la propulsion d'un autre utérus ces dernières années ? Un autre que celui qui vous a craché ça va sans dire... C'est que fallait dire les choses cruement, sinon il s'en sortirait pas. En plus le type avait tout l'air d'un indélicat. Il pouvait faire dans l'indélicat.