Le printemps touchait bientôt à sa fin, laissant place dans quelques jours à l'été. Saison marquant le clôture de l'année scolaire et le commencement des vacances. Saison des grands voyages et des nouvelles découvertes. Saison dédiée au soleil et à la chaleur. Gabin jugeait cette période la plus importante de son année. Il pouvait enfin partir de la prison qu'était Poudlard pour retrouver sa famille et la librairie familiale. Et comme tous les ans, cela signifiait aussi que le voyage familiale des Šprajc allait bientôt débuter. Sa famille, descente directe de deux grands noms d'explorateurs dans la monde, était attirée par la découverte de culture nouvelle ainsi que des lieux isolés. Les propres parents du franco-slovène avaient participé et dirigé de nombreuses explorations, autant sur des territoires moldus que sorciers.

Habituellement, Gabin était enchanté. Enchanté de quitter le château pour partir à l'exploration. Et cette année devait être particulière, car elle marquait notamment la fin de ses études. A lui le monde adulte. A lui les responsabilités. Le brun n'avait aucune idée encore très précise de la direction que son avenir devait prendre. Aucun métier en tête, aucune fonction qui l'attirait. Mais il était soulagé. Soulagé de sortir de l'adolescence pour enfin rentrer dans le monde des grands. Etait-il prêt ? Seul le futur pouvait le dire.

Habituellement. Habituellement, l'Aiglon aurait dû être heureux et euphorique. Habituellement.

Quelques nuages grisâtres ainsi qu'une fine pluie avaient décidé de déjouer les prévions météorologiques. Les pavés de la capitale anglaise avaient naturellement perdu de leur éclat. Mais Gabin ne ressentait pas les morsures des goulettes d'eau qui tombaient sur son visage, se mêlant aux larmes qui venaient de fissurer son habituel masque de gaieté. Immobile au milieu du trottoir, un magasin de vêtements à la devanture marquée "Purge & Pionce Ltd" dans son dos, le brun se laissait chahuter par la foule présente dans ce quartier populaire moldu. Ses jambes ne souhaitaient plus avancer. Son corps entier se refusait à continuer vers un avenir. Car l'avenir venait de disparaître.

Ses doigts enserraient une feuille de papier devenue brunâtre à cause de la pluie. Une simple feuille marquée par le sceau de l'hôpital des sorciers Sainte-Mangouste. Gabin n'avait pas les larmes faciles. Pourtant quelques mots avaient suffi à le renvoyer au même état que lors de son premier chagrin d'amour. Des paroles devenues des lames, qui au fil de l'entretien s'étaient plantées dans son âme et son esprit. Ce n'était pas physique mais bien psychologique. On pouvait détruire des Hommes aguerris seulement en réduisant leur état mental au néant. Le brun n'avait rien d'une personne aguerrie. Derrières ses grands airs, il restait un adolescent. Un sorcier de septième année à Poudlard à la pensée enfantine de vouloir vivre sa vie sans aucun regret.

Habituellement. Habituellement, l'Aiglon aurait dû être avec sa famille, à rire aux larmes et à enlacer sa jeune soeur.

Sa respiration était toujours autant irrégulière. Son corps vibrait au rythme des plaintes inaudibles que sa voix n'arrivait pas à exprimer, ses sanglots les rendant incompréhensibles. Un avenir. Une fin de jeunesse. On venait de lui voler une part entière de son âme. On venait de lui dérober des moments précieux à ses yeux. C'était ironique de pleurer. Vivre plus longtemps. Vivre toujours jeune. Vivre dans un corps au vieillissement ralenti. Repousser les rhumatismes et tous les tracas des personnes âgées. C'était cruel de lui en vouloir. Rester bloqué à sa septième année. Rester pour des années à Poudlard. Rester en voyant ses amis partir. Rester en sachant pertinemment que son avenir n'existe plus. Comment un gamin de 17 ans pouvait encaisser ça ?

Des questionnements, évidement. L'inquiétude de ses parents lorsqu'ils apprendraient la tragique nouvelle. Son futur au sein de l'école de sorcellerie. Eternelle septième année ? Eternelle redoublement ? Et ce jour funeste, était-ce un sort qui l'avait atteint ? Une maladie incurable ? Des sorciers étaient devenus des personnes âgées en quelques secondes. Des adultes étaient devenus des bambins. Et les autres. Eux. Eux qui avaient vieilli jusqu'à ce que leur coeur les abandonne. Dans son malheur, une semblant de chance était intervenu. Il aurait pu devenir tas d'os ou un enfant ne maitrisant pas ses besoins.

Habituellement. Habituellement, l'Aiglon aurait dû être entrain de préparer ses bagages et de célébrer l'obtention de son diplôme.

Le plus dur n'était pas encore arrivé. Supporter le regard des autres. Supporter les reproches. Supporter les blagues douteuses sur le seul Serdaigle redoublant de l'histoire. Gabin espérait que personne mis à part la direction de Poudlard serait au courant ce qui venait de lui arriver. Jamais il n'avait eu honte. Jamais. Et quelle étrange sensation lorsqu'elle lui comprima le ventre pour s'allier à sa peur. Le tunnel était sombre. Il n'y voyait aucune lumière. Aucun moyen de s'élever. L'aigle avait-il perdu ses ailes ?

Triste sensation. Se rendre compte qu'on ne pourra rien fonder. Plus rien entreprendre. Comme beaucoup, le brun rêvait de fonder une famille. Une descendance. Une croix sur cet avenir. A quoi bon ? S'attacher à une femme qu'il verra vieillir plus vite pour ensuite mourir dans ses bras. Voir ses enfants le dépasser en âge. Devoir les enterrer avant lui. Impensable. Mentalement. Physiquement. Il n'avait plus rien. Plus d'envie. Plus de sifflotement. Plus de sourire.

Habituellement. Habituellement. Habituellement. Habituellement. Habituellement.

Le rire est franc. Cruel. Sauvage. Brutal. Le Šprajc ne peut s'en empêcher. Quelle étrange situation pour les passants. Voir cette adolescent, ce gamin, immobile sous la pluie, les larmes recueillantes sur son visage tandis qu'un rire malfaisant sort de sa gorge déployée. Une scène digne des plus beaux éveils de la cruauté liée au cinéma. Un jeu d'acteur. Un jeu. Tout simplement. Les règles allaient devenir siennes. Il serait le dictateur de sa propre vie.

Pourquoi pleurer un sort incontestable ? La vie avait voulu jouer avec lui. Cruelle. Infâme. Alors il allait croquer à pleine dents dans cette pomme empoisonnée. Plus de chaines. Plus de contrainte. Juste lui et elle pour une danse infinie. Une danse. Une chorégraphie dont le brun allait dicter chaque mouvement. Il allait écrire son propre voyage. Aucune limite. Aucune frontière. Ses choix. Ses décisions. Les autres, c'est l'enfer. Il n'y avait que lui. Seulement lui et lui seul. L'aigle n'avait pas perdu ses ailes. Loin de là. Elles venaient seulement d'atteindre l'âge adulte. L'âge qui lui serait refuser encore et encore durant quelques années.