J'étais persuadée que la lettre venait de lui. La typographie était différente, bien sûr, mais je savais à quel point il pouvait être tordu pour conserver l'Anonymat. Je ne savais pas ce qu'il avait en tête, mais j'avais replié la lettre avec soin, conservée dans le tiroir de ma table de nuit. Une lettre pleine de poésie et de références aux rêves et à la nuit. On aurait même pu y voir une petite dose de romantisme. Tout ce qu'il aimait. Et je me souvenais du thème qu'il m'avait donné lors de la soirée dans le Dirigeable il y a des années : L'amour brille sous les étoiles. Ne serait-ce pas là un clin d'oeil aux prémisses de notre couple ? Au commencement ? Se souvenait-il de tout cela ?
Le soir venu, les cheveux bleu nuit, je m'étais rendue sur le lieu de rendez-vous, entamant une marche lente dans Londres à la sortie du travail. Profiter quelques instants du calme et de la douceur printanière. Les lumières des réverbères se mélangeaient à celles des étoiles, les rares passants se dépêchaient de rentrer chez eux. Je ne perdais pas de temps à observer. Le pas un peu plus rapide, l'empressement dans le souffle et un coeur accéléré, pressé de savoir ce qui m'attendait là-haut.

Dans un souffle de vent, mes pieds s'arrêtent à quelques mètres de la silhouette que je peine à distinguer dans cette obscurité. Je m'avance lentement en plissant les yeux, désormais certaine que cette personne-là n'était pas Arty, ni même Cinquante-Deux, mais bien d'une personne dont j'ignorais l'existence. Comment connaissait-elle la mienne ? Deux solutions s'offraient alors à moi : La première, tourner simplement les talons et repartir dans le sens inverse en direction de la maison, la seconde, laisser la curiosité faire son chemin et simplement attendre la raison de tout cela. C'était prendre un risque, mais il m'était impossible de repartir bredouille, des questions plein la tête. Alors je décide de m'avancer, les bras croisés. Auriez-vous fait une erreur ? Après tout, la lettre ne mentionnait aucunement Loredana Wildsmith, ni même Sparks, je ne m'attendais pas vraiment à tomber sur une personne inconnue au vu du contenue de la lettre. Ma voix était sereine, je n'avais pas l'habitude de craindre, ni d'avoir peur, c'était toujours une force qui me permettait de garder les pieds sur terre : ne jamais se laisser envahir de sentiments négatifs. Et la peur avait été bien trop refoulée durant des années, je n'étais plus habituée à la laisser m'habiter. Tout en m'adressant à elle, je suis son regard rivée sur la lune. Que cherche-t-elle ainsi ? Alors je m'approche encore jusqu'à me retrouver à sa hauteur, cherchant désormais à accrocher mes yeux dans les siens, parce qu'il n'était pas question de tergiverser.

Il y avait quelque chose d’étrange, une atmosphère à la fois tendue et détendue, un comportement qui contrastait avec le contenu de la lettre. Le piège par excellence qui aurait pu me mettre en rogne. Il n’en est rien ou plutôt, je n’en ai pas vraiment le temps. En une fraction de seconde, ma ligne de vie s’était fragilisée, sur le point de se briser, entre les mains de l’inconnue qui s’identifiait comme étant Trente-Trois. Une inspiration de surprise s’était échappée malgré moi, rapidement remplacée par de l’extase, bien plus efficace qu’une drogue. Nourrie d’un sentiment qui me manquait terriblement.
La sensation du vide tout proche provoquait en moi une ribambelle de frissons, de décharges, de ressentis différents. Ce n’était pas une bonne méthode de torture, ce n’était pas quelque chose qui m’effrayait, me déplaisait. À l’inverse, je jubilais de l’intérieur et cette satisfaction devait se lire sur un visage sur lequel s’était dessiné un sourire amusé. Pas une once de peur, pas de tremblements désagréables. Parce que la mort ne m’avait jamais effrayée et parce que le vide et moi vivions une histoire souvent incomprise. L’adrénaline remplace le sang chaud et circule dans mes veines jusqu’à ce que je la sente cogner contre mes tempes.

Cinquante-Deux ne t’a probablement rien appris sur moi, sinon tu saurais, la bipolarité, l’attirance pour le vide, l’absence d’instinct de survie… Me rapprocher de la mort ne m’arrêtait en rien. Moi en tout cas je n’ai jamais entendu parler de toi. Un petit sourire en coin qui signifiait peut-être que le Renard n’avait jamais jugé utile de l’évoquer et pourtant, il y avait quelque chose en elle qui n’avait pas été présent lors de mes précédentes rencontres mangemoresques – 52 mis à part – elle me rappelait cette nuit-là, dans l’entrepôt, après avoir ôté une vie pour la première fois. La tête explosée, les sensations décuplés et cette perte d’esprit totale. Elle avait cette folie en elle, ce grain qui m’attirait et rien que pour cela j’avais envie de l’écouter. Rien que pour cela elle m’intéressait. Je ne l’ai jamais rencontré, en parlant de Soixante-sept, mais je le connais, j’en ai beaucoup beaucoup entendu parler. Par un Mangemort engagé, dévoué et surtout terrifié. L’ex Seigneur des Ténèbres avait su s’imposer, dominer et faire frémir même les plus courageux des Mages Noirs. J’aurais tant aimé connaître la sensation de croiser sa route. Était-ce la réponse qu’elle souhaitait entendre ? Était-ce assez ?

Je la regarde, ne la quitte pas, tente de deviner ses intentions. La respiration haletante dû à un cœur déchainé, sentir ce danger me nourrissait. Alors ? l’impatience comme vilain défaut, tu vas lâcher ou pas ? J’avais déjà sauté dans le vide par pure provocation, sans la moindre hésitation. Arty alors vêtu de son masque n’avait pas hésité à sauter derrière moi pour me rattraper. Parce que lui savait.

Dommage. C'était peut-être ça oui. En réalité, ça ne m'avait jamais réellement traversé l'esprit de rencontrer celui que personne n'osait contredire. Si rejoindre la Cause m'avait déjà effleuré l'esprit lors de mes nombreuses escapades avec Cinquante-Deux, c'était plus pour l'action et les missions que pour rencontrer le Chef de l'Ordre Noir tant admiré de ces Partisans. Cette rencontre-là est rude, périlleuse et mon cœur ne cesse de cogner de plus en plus fort contre ma poitrine, les pulsations de l'adrénaline qui coule dans mes veines, le regard avide de la voir me lâcher. Mes doigts frissonnent de cette sensation, c'est une véritable combustion intérieur. Le vent me chatouille le visage en y dégageant mes cheveux, je tremble presque, mais je n'ai pas froid. Je veux me nourrir de ce qu'elle est en train de m'offrir, qu'elle me laisse goûter à nouveau au plaisir du vide. Et c'est à cette pensée que je me sens tomber dans le vide.
Je ne suis pas seule.

Celle qui se faisait appeler Trente-Trois m'avait accompagnée dans ce saut où la chute contre le bitume ne pouvait qu'être mortelle. Pourtant, c'est un sourire qui s'affiche sur mes lèvres glacées, accrochée aux bras de la Mangemort. Je sens la mort arriver, je la vois, elle me parle presque comme lorsque ma tête avait heurté ce rocher dans la forêt. Le corps qui abandonne, lâche prise, attrape la fine main qu'on lui tend pour rejoindre l'inconnu. Ce soir pourtant, j'ai simplement envie que la chute dure encore, parce qu'il n'y avait pas de sensations plus agréables. Si je venais à mourir, je voulais que ce soit ainsi. Pourtant, je savais que mon heure n'était pas venue, pas tant que mon enfant serait toujours-là, à grandir au chaud, parce que je ne pouvais pas être égoïste à ce point. Ainsi de justesse, j'attrape ma baguette et la pointe vivement vers le sol suivi d'un #Molliare. Impossible de savoir si cela avait fonctionné. À peine une seconde plus tard, nous avions la réponse.

La chute amortie n'en était pas moins brutale et le sifflement du vent dans mes oreilles était devenu un grand silence de cette nuit londonienne. J'étais celle qui avait touché le sol en premier, Trente-Trois l'avait-elle seulement effleuré ? Parce que, sans le savoir, ou instinctivement, j'avais fait en sorte de me retourner, d'être celle qui prendrait tout, celle qui se sacrifiait au cas-où le sort ne fonctionnerait pas. Pourtant, je suis en vie, haletante, le cœur allait transpercer violemment ma poitrine face à ce ressenti incroyable. Je souris, ris peut-être même un peu, un incroyable qui sort de ma bouche en un doux chuchotement. La tête dans le vague, encore sous l'emprise de l'adrénaline. Faire face à la mort me fait me sentir vivante.