D’abord, elle l’entendit descendre, pas lourds qui tentaient d’être discrets, petite pause à chaque marche de l’escalier en bois, comme pour espérer que la prochaine n’allait pas craquer sous ses pas. Le jour ne s’était pas encore levé, en ce froid matin de Noël. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait pas le voir, mais elle le sentait. La nuit était encore noire.

Il approcha, d’un pas trainant, ses pantoufles glissant sur le sol froid. Elle savait qu’il venait pour elle. Comme un moment privilégié, tant que tout était encore calme. Elle senti sa main se poser sur son dos, la tirant vers lui. Et enfin, elle le vit, elle qui ne vivait que pour ces moments en sa compagnie. Il était encore dans cette même robe de chambre bleue nuit, nouée à la taille, ses lunettes sur le nez, sa barbe déjà blanche. Il la regardait, d’un regard si tendre, affectueux. Elle savait ce qui allait suivre, et elle ne put s’empêcher de frissonner de plaisir à cette idée.

Il la toucha du bout des doigts, doucement, son index parcourant son corps. Immobile, elle se laissait aller à ses caresses. Leur rituel commençait toujours de la sorte. Il avait besoin de la sentir sous ses doigts, et elle de le sentir sur sa peau. Il la serra contre son cœur, et elle entendit les battements réguliers derrière sa robe de chambre, qui s’intensifiaient, de plus en plus vite. Elle non plus ne pouvait plus attendre. Elle avait déjà trop attendu. Chaque seconde sans lui paraissait inutile.

Et alors qu’il la décollait de son cœur, elle s’ouvrit à lui. Sa seule existence avait ce but. Elle ne vivait que pour se dévoiler à lui. Elle le laissa la regarder, de ses yeux voraces, explorant chaque recoin de son corps mis à nu. Il la connaissait par cœur, il pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert, et pourtant, c’était, à chaque rencontre, comme s’il la voyait pour la première fois. Elle frissonna lorsque ses doigts vinrent de nouveau se poser sur sa peau nue. Elle était prête à se livrer à lui tout en entier, à le happer dans son monde.
   Et il le compris, car il plongea soudainement en elle. Elle senti son souffle chaud près de son corps, elle le senti respirer son odeur, niché contre elle, inhalant ce parfum qu’il aimait tant. Ses lèvres parcouraient sa peau glacée. Ils étaient à la fois là, et ailleurs. Elle était cent femmes, elle était unique. Chaque caresse était comme une promesse.

Mais pourtant, il s’écarta soudainement. Elle arrêta de tournoyer près de lui, revenant brutalement à la réalité. Quelque chose semblait avoir changé. Il la hissa sans ménagement sur la table, s’échappa un instant, durant laquelle elle l’attendit, allongée là, offerte. Il revint, l’habilla, d’un vêtement qu’elle ne connaissait pas, qui ne lui allait pas. Elle était comme prisonnière, aveuglée, camisolée. Elle le senti la soulever, mais son nouvel habit l’empêchait de le voir, de créer ce lien si particulier entre eux. Il l’embrassa, une ultime fois. Elle s’aperçue qu’il l’emmenait à l’étage, où ils se retrouvaient de temps à autre. Il poussa une porte, parla doucement à une personne qu’elle ne pouvait voir. Une voix de femme lui répondit. Elle l’avait déjà entendue, mais ne s’en était jamais méfiée, comme si elles ne jouaient pas dans la même cour. Comme si elle avait déjà gagné le cœur de cet homme qu'elles partageaient.

Elle compris que les doigts de son amant la lâchaient. Des mains chaudes l’agrippèrent, arrachant son déguisement. Elle senti le regard de cette jeune femme, qui l’observait avec intérêt, tandis que derrière elle, elle entendit la voix de l’homme qu’elle aimait, et qui l’avait abandonnée :

- Joyeux Noël, ma fille chérie. Je te lègue mon ouvrage préféré, je l’ai lu des dizaines de fois, et je n’ai jamais été autant emporté par un simple livre.  Et l’héroïne – ma favorite –, semble si réelle... Presque vivante.