La soirée se passait dans un quartier mondain de Paris. Y étaient invités les dames et les sieurs les plus prisés du moment, qu'ils soient les meilleurs philosophes ayant fait parler d’eux, les artistes en vogue, les riches populaires ou toute autre personne aussi importante soit-elle possédant l’invitation de papier doré. Les hôtes n’étaient autres que le couple favori de tout Paris : Mr et Mme Longarden. Leur luxueux manoir, scintillant de milles feux pour l’occasion, était visible jusqu’au bout de la grande avenue. La lumière attirait les gens comme des papillons en quête du chemin. La voie était toute tracée, nous amenant dans une allée pavée bordée de haies parfaitement tailladées dissimulant un labyrinthe, dont la légende raconte qu’aucun invité n’ait jamais pu en trouver la fin. Les égarés se voyaient raccompagnés par des gardes en smoking lorsque le crépuscule s’abattait sur la propriété.
À l’entrée, sous un porche éclairé de par et d’autre par de longues flammes torturées, trônait dans un fauteuil de style Louis XV en tissu rouge sang, un homme plus qu’étrange. Il avait un bras robotisé et un masque en cuir qui lui cachait la moitié basse du visage. Incapable de parler, il tendit sa main métallique gantée comme pour m’inviter à danser. Envoutée par sa mécanique, j’étais sur le point de lui offrir ma main lorsque ma tante fourra les tickets d’or dans sa paume. Le muet les inspecta, plongea son regard perçant dans nos yeux innocents, et quitta son fauteuil pour se fondre dans la noirceur d’un couloir profond. Ma tante le suivit et je lui emboîtais le pas. Il nous attendait face à une lourde porte où une poignée dorée en son milieu brillait dans les ténèbres. Il posa un doigt sur l’énorme poignée sphérique et poussa la lourde porte à double battants sans effort.
Les parois se refermèrent silencieusement sur le muet, happé une fois de plus par la mystérieuse pénombre. Tournée vers l’intérieur, tandis que je faisais le tour des invités, une musique jazzy s’infiltrait dans ma conscience. La mélodie s’intensifia lorsque j’atteignis la cour circulaire intérieure, inondée par le reste des convives. Dans une main, un verre, dans l’autre, un met pour les gourmands, ou une courbe de femme pour les affamés.
Soudain, mon regard fut attiré par un mouvement rapide. Dans la blancheur des robes, une tâche noircissait ce tableau limpide. Un chat noir avait slalomé entre les tissus clairs et me fixait de ses amandes émeraudes. Invisible des autres malgré le contraste flagrant qu’il provoquait de sa présence, il s’éloignait avec grâce et agilité vers les buissons épineux. Des roses rouges ouvraient le chemin du labyrinthe. Le chat s’y aventura en me chuchotant qu’il ne valait mieux pas rester en compagnie des humains. J’approuvais son idée en dépassant les rosiers. Je n’avais pas remarqué les déchirures dans ma robe en soie. Je n’avais pas non plus remarqué les stries rouges qui ornaient le bas de ma robe couleur crème. Les épines avaient joliment teinté le tissu clair de griffures sombres. Je remarquais les décorations lorsque je perdis l’équilibre à force de courir. Le petit être était extrêmement rapide. Il filait dans les couloirs feuillus comme si le jeu consistait à le dépasser.
Je ne me rappelle plus de tout. Je me souviens d’un vieil homme agrippant un livre enflammé aux images représentant des ustensiles de potions et des rituels de sorciers. Mais le feu ne noircissait pas les pages, et le vieillard paraissait si jeune au clair de lune. Je me rappelle aussi l’avoir trouvée, la sortie. Je l’ai décrite à ma tante et aux convives penchées sur moi comme un portail spacio-temporel. Une sorte de miroir contrôleur de temps que j’ai donc traversé pour me retrouver ici. Personne ne m’a évidemment cru et l’on m’a déclaré souffrante, me proposant un remontant alcoolisé après m’avoir retrouvée inconsciente dans le jardin. Aucune des personnes présentes n’avait également aperçu de chat noir. Personne ne pouvait affirmer qu’un vieillard logeait au centre du labyrinthe, et tout le monde constatait, sous mes yeux ébahis, malgré la traversée des rosiers, l’impeccable blancheur de ma robe en soie.
Une main gantée tendue à hauteur de mes iris m’arracha à mes souvenirs oubliés. On me remit sur pieds, et je fis face à l’homme étrange de l’entrée. Le portier gardait mes mains dans les siennes et se positionna pour une valse. Le temps était comme suspendu durant cette danse, cette transe. Et dans le flou des tours et des retours, une lumière émeraude derrière ses pupilles effilées.
