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UN NOËL ÉDIFIANT
-CONTE PERDU D'ÉCOSSE-
-CONTE PERDU D'ÉCOSSE-
ATTENTION : CONTE D'HORREUR.
LIBRE D'INTERPRÉTATION.
LIBRE D'INTERPRÉTATION.
Dix heures cinquante-neuf. Vingt-quatre décembre. Sur la place de Pré-au-Lard. Moins dix-sept degrés. Pas de soleil. Un jeune homme assis en terrasse. Le vent et des oiseaux. Un arbre. Un clochard sur un banc, des pensées noires et des pinceaux à la main. Une boisson chaude. Un journal.
Les news. Une dame et ses enfants. Des passants. Un cri. La disparition. Attroupement autour des témoins. Amalgames. Des traces dans la neige. Une étrange filature.
Sens en alerte. Le temps semble s'espacer. Marche dans les hauteurs du village. Une grotte. Le chien. Plus de baguette. Une branche de gui. Transplanage imposé. Une odeur d'épices et de vin chaud. Un écho.
Le chant est un guide lumineux pour les oreilles. Il fait encore plus froid. Obscurité quasi totale. Humidité prenante. Une lueur rouge. Une maison au bout du chemin. Le monde souterrain. Une lueur verte.
Des centaines de cadeaux. Les enfants. Un travail à la chaîne. Le cortège de Santa Trapp. Plus de gâteaux.
Un grand four et une cheminée. Le Père Noël. Le feu est vert. Des chaussettes sans étiquettes.
N.B. Les icônes de Noël ont été retournées contre l'image qu'on leur donne aujourd'hui. Le froid, l'hiver, le sapin, l'orange, les épices et le vin chaud, le gui, les lueurs rouges et vertes, le Père Noël, les enfants, les cadeaux, la cheminée, les chaussettes... C'est un conte qui va à l'encontre de l'esprit de Noël. C'est un conte d'horreur. Un conte oublié. Un conte aux valeurs de Noël inversées, où tout s'explique finalement. Un anti-conte.
- AIDE DE LECTURE :
- Le matin.
Petite bourgade.
Il fait froid.
Terriblement froid.
Le soleil est mort.
La lumière ne persiste que par les réverbères sévères de la rue. Ils flanchent par moment.
Toi. Tu es assis en terrasse. Seul et vivant. La blancheur de tes cheveux se confond si bien avec la poudreuse. Ta respiration est lente et ta peau glacée. La solitude à tes pieds. Tu as des bottes qui ne tiennent pas chaud. Tu tremblotes sur place.
Le vent gerce tes pauvres lèvres et tes joues imberbes. Il gèle les fenêtres et ralentit tes articulations douloureuses. Parfois, quelques bourrasques viennent entacher la progression des oiseaux au-dessus de ta tête ; ils essaient de fuir l'hiver morose de l'Écosse.
Ici, un arbre capricieux, craque sous la neige. Le craquement sinistre d'un os que l'on brise violemment, qu'un crayon que l'on casse capricieusement. Il n'a plus d'épines et ses rides sont innombrables. L'horreur du miroir. L'horreur du temps qui passe. Tu te contemples parmi les flocons. Qui voudrait devenir aussi hideux que ce sapin ? ce sapin en fin de vie ?
Le triste aperçu du paysage.
On pourrait s'arrêter sur un banc comme cet homme en bonnet, un moment. Contempler la toile vide avant de s'assoupir et mourir. Le pinceau planté dans le sol. La peinture qui se solidifie sur place. Une orange solitaire, à moitié épluchée, qui dort parterre. Le corps en avant et la tête penchée sur le côté. Les bras tendus, qui attendent quelque chose.
Une boisson chaude qui ne te réchauffe que les mains. Tu te brûles par trois fois l’œsophage, volontairement. Mais rien n'y fait. Tu as toujours froid. Terriblement froid.
Tu n'as pas d'endroit où aller.
Un journal à la main. On sent l'odeur du vieux papier dans la rue.
Les news. Une dame et ses enfants. Des passants. Un cri. La disparition. Attroupement autour des témoins. Amalgames. Des traces dans la neige. Une étrange filature.
- AIDE DE LECTURE :
- Les gros titres annoncent quelques disparitions mystérieuses. Des photos défilent. Des photos d'enfants perdus. Il y en a cinq d'alignés sur la page de couverture. Une majorité de petits garçons. Ils sont beaux. De belles joues. De beaux yeux. De beaux cheveux.
Des disparitions quotidiennes qui hantent la région depuis quelques jours. Quelque chose d'horrible. De malsain. Les enquêteurs qui n'enquêtent pas. Les journalistes qui n'écrivent plus que sur ça. Le ministre inquiet - propose de l'argent contre n'importe quelle information. Un sourire carnivore sur ce visage angélique s'étire comme les rayons de la lune.
Tu reposes le magazine sur la table, l'air songeur et le regard ailleurs.
Il y a une petite dame et ses deux enfants de toute taille sur la place qui s'anime lentement. D'une lenteur monotone. Ils sortent d'une boutique de sucreries, le plus jeune tient deux sucettes à la main, l'autre est trop grand pour aimer les bonnes choses. Ils font un tour de manège. Il grince.
De l'autre côté, il y a un vieux monsieur qui promène son chien. Chien peu rassuré. Il s'active, s'excite sur le bas-côté. Il grogne. Un couple d'amoureux qui n'ont pas l'air de s'aimer plus que ça parcourt les vitrines à la recherche d'une recette miracle. Un sorcier est sorti fumer une roulée juste devant sa boutique. Dans l'étalage, un manège miniature. Une roue. Une roue qui tourne et qui te fascine. Tu la regardes. Tu la regardes. Et tu ne regardes plus que ça.
Une autre bourrasque qui fait trembler les pots de fleurs et les tasses.
Plissement des yeux.
L'air sec ferait s'arracher tes paupières.
Soudain : un cri.
Un sursaut. Ton regard va-et-vient de droite à gauche, comme un cheval à bascule. Un cheval de bois. La petite famille qui s'agite frénétiquement. La dame a perdu son cadet qui ne laisse que confiseries et gant derrière lui. Les passants accourent tous autour de la sorcière. Toi le premier. Une bête de foire. À côté, l'aîné de la fratrie sourit méchamment. Le regard plein de vice. Soulagé.
Peu à peu, les gens font le rapprochement. C'est le voleur d'enfants. On l'a renommé le Santa Trapp ou encore le Père Fouettard. Il les enlève de jour comme de nuit. Fouet dans une main et grand sac de jute dans l'autre.
Sur le côté, il y a des traces de neige qui disparaissent progressivement. Tant par le vent que par la magie. De grandes semelles.
Tu ne sais pas. Tu doutes. Et tu veux savoir. Tu suis tant bien que mal les pas dans la neige. Attiré tant par la curiosité que par l'avarice. Cette sensation de suivre en filature les fantômes du passé. De pourchasser l'invisible. L'indicible vérité.
Tu passes devant le banc inoccupé. Plus de mendiant. C'était ton père, ivre mort.
Sens en alerte. Le temps semble s'espacer. Marche dans les hauteurs du village. Une grotte. Le chien. Plus de baguette. Une branche de gui. Transplanage imposé. Une odeur d'épices et de vin chaud. Un écho.
- AIDE DE LECTURE :
- Le cœur s'accélère. Entre excitation et peur. Tu as les yeux hagards. Les muscles et les nerfs tendus comme des cordes. Un bourdonnement méchant qui dérange tes tympans. Tu marches.
Tu marches sans te soucier du vent, du temps. Des minutes qui passent comme des heures. Des secondes comme des jours. Et des jours comme des années. Il n'y a plus d'aiguilles dans tes rouages cérébraux - horloge biologique qui perd son sang-froid. Jouet mécanique.
Tu marches comme un aveugle dans les hauteurs du village. Un chien errant. C'est le chien qui grogne. Il te suit comme si c'était t'étais le voleur d'enfants. L'angoisse te fait claquer des sages molaires. L'angoisse et le froid. Le froid mortel. Et si t'étais le voleur d'enfants ?
Le froid est insoutenable. Il te fait perdre les pédales. La raison. Une folie obscure qui s'insinue en toi, sous ta peau, comme la peste. Tu déglutis difficilement. Devant toi : une ouverture béante te fait face. La bouche du Monde.
Tu entres dans la grotte, main devant toi.
La main vide. Tu n'as plus ta baguette. Le chien l'a prise et l'a remplacée par une branche de gui.
Le gui blanc et ses feuilles toujours vertes, même en plein hiver. Un crochet te happe vers les entrailles de la Terre et t'absorbe tout entier. Cette impression que le bonheur est un foutu piège.
Là encore, comme dans un mauvais rêve où les mêmes scènes se répètent : tu te retrouves devant une grotte. Une grotte semblable. Il y a quelque chose en plus. Tu avances comme attiré par la mysticité des lieux, par l'odeur d'épices et de vin chaud. Tu n'as plus vraiment de maison, de toit où dormir. Tu es fatigué. Ton père est rentré se soûler une énième fois au pub et tu as affreusement froid, terriblement faim. Tu as faim. Tu as soif. La soif de la faim.
Le pouvoir de la magie.
La magie de Noël.
Il y a un chant. Un chant lointain : un hallelujah. Cet écho macabre qui résonne jusqu'à toi.
Le chant est un guide lumineux pour les oreilles. Il fait encore plus froid. Obscurité quasi totale. Humidité prenante. Une lueur rouge. Une maison au bout du chemin. Le monde souterrain. Une lueur verte.
- AIDE DE LECTURE :
- Tu te laisses bercer par le parfum des épices et le chant des sirènes. Il fait encore plus froid ici.
Tu t'habitues peu à peu à l'obscurité envahissante. Quasi totale. Perdu dans une réalité qui te dépasse.
Les stalactites s'égouttent tout autour de toi. L'humidité te pique le nez.
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Il y a cette lueur rouge au loin, qui clignote comme un gros nez de clown ou de père noël. Le nez d'un saoul. Le nez d'un reine. D'une boule de sapin.
Le monde souterrain s'ouvre à toi.
Magnifique monde.
Il y a un grand espace vierge. Qui s'étend d'un étang souterrain à quelques arbres neufs. Au milieu, une maison illuminée par la nature extérieure. Un grand tonneau de lumière qui s'abat dans ce renfoncement rocailleux secret. C'est comme si, soudainement, tout devenait plus clair à présent.
Tu n'as qu'une chose à faire. Avancer jusqu'à cette bâtisse rouge d'où émane une lumière verte, à l'intérieur. Des éclairs. Des éclairs verts.
Des centaines de cadeaux. Les enfants. Un travail à la chaîne. Le cortège de Santa Trapp. Plus de gâteaux.
- AIDE DE LECTURE :
- Un regard vers la fenêtre. Les rideaux sont tirés et des centaines de cadeaux se font la malle. Tu es happé par cette soudaine réalité. Une vision peu commune. Des étoiles dans les yeux, tu n'as jamais eu beaucoup de cadeaux jusqu'à présent.
La porte s'ouvre délicatement. Et tu rentres à l'intérieur. Un pain d'épices et du vin chaud t'attendent sur une table neutre. Tu n'attends pas davantage pour festoyer. Tu sens la nourriture te réchauffer le cœur. La température y est d'ailleurs plus élevée ici : une énorme cheminée en bas. On entend le feu crépiter. L'endroit est plus chaleureux que tout ce que l'on peut imaginer. Mais il fait chaud. Un vrai fourneau. Il fait de plus en plus chaud. Ça monte au cerveau.
Au-dessus de toi, des bruits de pas. C'est que tu en avais oublié la raison. Les pas ! Les pas dans la neige. Tout ça, toute cette histoire de disparitions. Les journaux. La place. La bourgade. Les passants et le vieux père à moitié saoul.
Tu arrives en haut des marches, la porte est entrouverte.
Des enfants, des dizaines enfants qui travaillent à la chaîne. L'incroyable vérité te déchaîne. Ils emballent des cadeaux, la joie émaciée sur leur visage. Parmi eux, tu reconnais le petit brun de la photo sur le journal. Il fait partie des enfants enlevés. Il a nettement maigri.
Ils te regardent tous, tu as fait trop de bruit. Mais ils ne disent rien. On te donne un cadeau.
Une cloche sonne. Ils sortent et tu te retrouves dans la marrée d'enfants qui sortent dehors, tous en ligne, un cadeau à la main. On te souffle que c'est le cortège de Santa Trapp. Inspection des cadeaux. Une vision cauchemardesque. On entend les sabots du démon racler le sol. Un flambeau à la main, il passe devant chacun des enfants. Ses yeux sont immondes et cruels. Des cornes sur la tête. Une fourrure rouge et des cheveux blancs. Il est immense.
Quand ses yeux se posent sur toi, sur ton cadeau, l'angoisse monte. La gorge nouée comme un nœud de marin. Les jambes en coton. Le poids des épaules. Le frisson qui descend de la tête au bas du dos. Et la nuque, la nuque mouillée. Trempée de sueur froide.
Puis il passe à ton voisin, dans un grognement sourd. Un grognement de chien.
Vous restez en ligne pendant quelques minutes encore. Santa Trapp vous a séparé en deux colonnes. Ceux de gauche sont les premiers à remonter en haut. Toi et les autres vous descendez. Ce sont les enfants les plus âgés. Là où il y a la cheminée. Il n'y a plus de gâteaux sur la table.
Un grand four et une cheminée. Le Père Noël. Le feu est vert. Des chaussettes sans étiquettes.
- AIDE DE LECTURE :
- Une cheminée en brique. Il y a des pelotes de laine parterre. Rouges et blanches. Il y a une forte odeur de brûlé. Masquée par les épices au rez-de-chaussée. Certains enfants rient d'allégresse. Ils disent qu'ils vont rentrer. Rentrer à la maison. Rentrer chez eux.
De l'autre côté de la pièce : Santa Trapp qui se décoiffe de ses cornes. L'horrible monstre enfile un lourd manteau rouge et blanc. De grande botte et métamorphose son visage devenu joyeux. Le Père Noël. Le Père Noël est un travesti. Il se répète inlassablement :
« Trop d'enfants. Trop d'enfants. Trop d'enfants. »
Tu te retrouves dans un tunnel, sans trop savoir pourquoi ni comment. Tu ne fais qu'avancer. Tu piétines certains enfants au passage sans avoir le temps de t'excuser.
Le feu craque comme cet arbre mort. Craque les os.
Le feu craque sous les chandelles.
Le feu resplendit.
Le feu est vert
et reste vert quelques instants.
Il illumine la maison.
Il illumine le monde souterrain.
La grotte.
Le feu est vert.
Plus de chant. Plus de sirène.
Et tu n'as plus chaud.
Et tu n'as plus froid.
Ce soir-là, Santa Claus (ou Santa Trapp) dépose des milliers de cadeaux aux enfants du monde. Il les rend heureux. Heureux pour encore un an. Les journaux eux, décideront d'enterrer l'affaire. Plus de disparition. Pour encore un an. Sur la place de Pré-au-Lard : le clochard ivre et tout ce qu'il y a de plus mort à cette heure et un chien.
En passant dans chacune des familles brisées aux enfants perdus, Santa y accroche une chaussette rouge et blanche au-dessus de la cheminée. Pour se rappeler qu'ils ne sont jamais seuls. Jamais. Et ne pas oublier.
Des chaussettes sans étiquettes.
N.B. Les icônes de Noël ont été retournées contre l'image qu'on leur donne aujourd'hui. Le froid, l'hiver, le sapin, l'orange, les épices et le vin chaud, le gui, les lueurs rouges et vertes, le Père Noël, les enfants, les cadeaux, la cheminée, les chaussettes... C'est un conte qui va à l'encontre de l'esprit de Noël. C'est un conte d'horreur. Un conte oublié. Un conte aux valeurs de Noël inversées, où tout s'explique finalement. Un anti-conte.