Il était une fois, l’odeur torréfiée des marrons chatouillant mon nez à travers l’épaisse écharpe tricotée par Maman. Sa main, bien agrippée à la mienne, était mon seul guide parmi la foule pressée entre les chalets de Noël. Nous étions venus chercher trois portions d’une délicieuse shepherd’s pie* que vendait chaque année la dame aux joues rouges. Partout, les longues capes des adultes se rencontraient, tentaient de se frayer un chemin au milieu des discussions animées sans faire attention à mes bottines fourrées. Des rires, des vœux échangés et quelques inquiétudes aussi empiétaient sur les chants traditionnels. Je n’ai pas croisé beaucoup d’enfants ce jour là au marché de Pré-au-Lard, à peine deux ou trois adolescents et leur regard blasé.

Mes gants se posaient sur la vitrine du stand quand la dame aux joues rouges me tendit joyeusement un plateau de pigs in blanket** tranchés. Cinq petits doigts potelés affrontèrent aussitôt le froid mordant pour saisir l’un des rouleaux luisants. C’est à ce moment qu’un tintement distinctif attira mon attention ; le Père Noël venait d’arriver sur la place ! Les joues encore pleines de saucisse et un filet de gras dégoulinant sur mon menton, je me précipitai en direction du son des clochettes. Mais il fut soudain impossible d’avancer jusqu’au traineau magique, et même de faire le moindre pas. Tout mes muscles semblaient figés lorsque qu’un poids tomba sur moi. Les passants ne semblaient pas remarquer ma paralysie et continuaient de bourdonner dans l'allée, puis je vis ma mère passer.

Son visage affolé balayait chaque recoin sans qu'elle ne me vît. Essayer de crier était vain, l'air sortait de mes poumons faiblement ; un oisillon aurait mieux fait. Son troisième passage suscita une panique muette mais ce fut son hurlement qui déclencha mes pleurs tout aussi silencieux. Comme s'ils étaient préparés, les sorciers sortir immédiatement leurs baguettes et commencèrent à me chercher. Le désordre était tel qu'on me bouscula avec indifférence, enfonçant un peu plus mon corps pétrifié contre le feuillage d'un sapin décoré d'où je vis des traces de pas sillonner les pavés enneigés depuis le traineau. Le Père Noël venait de quitter son siège pour disparaître derrière l'un des chalets. Seulement mon attention fut rattrapée par la vision de Maman sanglotant en serrant mon petit gant entre ses doigts.

À la graisse ruisselant dans mon écharpe, s'ajoutèrent les larmes et la morve que je ne pouvais ravaler. Bientôt, les enquêteurs du Ministère de la Magie arrivèrent et interrompirent les festivités déjà bien gâchées. Chaque commerçant fut interrogé puis prié de fermer son échoppe jusqu'à nouvel ordre. La nuit tomba, le sortilège qui me retenait s'évanouit à mesure que le gel m'engourdissait. Quand enfin je pus faire un mouvement, ce fut pour chercher une source de chaleur. Heureusement, je me souvins de la direction du Père Noël et ma confiance d'enfant me poussa à suivre ses empreintes déjà effacées. Des voix perçant le silence nocturne guidèrent ma silhouette transie vers le stand de la dame aux joues rouges. Elle semblait en grande discussion avec le Père Noël et pourrait sûrement m'aider à retourner à la maison ! Cependant mon espoir fut de courte durée...