Ce n'était pas la première fois qu'on lui donnait rendez-vous ainsi et pourtant, chaque fois, la perspective de ce genre d'entrevue lui donnait des frissons. Elle ne savait jamais à quoi s'attendre, ni même à qui s'attendre. On lui passait le mot, simplement. Elle verrait un masque sans jamais connaître le visage qui s'y cachait. C'était impersonnel. Elle se sentait chaque fois scrutée, nue face à ces êtres dont elle ne connaissait rien et qui connaissait tout d'elle. C'était étrange. Mais elle était également heureuse de concrétiser par là, chaque fois un peu plus, son engagement de partisane. Elle espérait que tôt ou tard, ils lui feraient suffisamment confiance pour l'intégrer pleinement à l'Ordre. Pour lui donner une mission. Qu'ils ne se sentiraient bientôt plus obligés de tester sans cesse sa fidélité. Mais elle comprenait. Elle n'était pas fidèle depuis le début. Elle aurait aussi bien pu leur mentir. Comment pouvaient-ils savoir ? Elle comprenait qu'ils fussent prudent. Cela la rassurait, même. Ils n'avaient donc pas de traîtres en leurs rangs.

Ce rendez-vous devait avoir lieu dans un endroit qui ne lui était pas familier. Il ne s'agissait pas de Pré-Au-Lard cette fois, ni de la forêt interdite, ni même d'un quartier désert de Londres. On lui donnait rendez-vous sur une plage. En pleine nuit. Peut-être avait-on cette fois une mission à lui confiait. Elle l'espérait, et était terrifiée à la fois. Elle avait peur d'échouer. Elle ne savait pas si elle avait le courage et la force nécessaire pour réussir de telles choses. Les capacités magiques sans doute : elle était brillante et elle le savait. Mais la peur "était omniprésente. Le doute aussi. L'angoisse. Les sentiments. Autant de parasites qui venaient déranger son engagement. Il était temps qu'elle s'en débarrasse. Vite.

Elle avait transplané depuis Pré-Au-Lard. La distance n'était pas si grande, mais elle était arrivée un peu plus loin qu'elle ne l'avait voulu. Elle ne connaissait pas cette plage par coeur et n'avait su la visualiser suffisamment précisément. Elle balaya l'espace du regard. Il faisait sombre et le clapotis de la mer sonnait comme une rengaine. Elle n'avait pas imaginé qu'une plage puisse être si effrayante, recouverte par la pénombre nocturne. Elle le découvrait maintenant. Ses pieds s'enfonçaient dans le sable tandis qu'elle avançait le long de la mer, suffisamment loin pour ne pas risquer d'avoir les pieds mouillés. Elle avait l'impression d'être un sombre promeneur solitaire faisant face à l'apocalypse. Le vent se levait et faisait danser ses cheveux et claquer son manteau contre ses hanches.

Il était là. Une silhouette immobile, à quelques mètres devant elle, qu'elle avait à peine vu tant ses contours étaient difficiles à discerner dans la pénombre. Comme un réflexe, elle pressa le pas. Elle ne devait pas le faire attendre. Même s'ils avaient toujours cette manière de faire des arrivées en fanfare. Lui était là, figé et l'attendait. Elle fut bientôt à sa hauteur, ayant courbé le dos pour grimper la petite dune sur laquelle il était perché. Elle avait failli glisser. Elle avait eu du sable dans les yeux. Elle était maintenant face à lui, ou plutôt que lui, face à son masque. Lui, elle, d'ailleurs. Elle ne savait rien du visage qui se cachait derrière ce masque. Pourtant, il lui semblait reconnaître sa silhouette. Peut-être qu'elle avait déjà eu affaire à lui.

- Bonjour.

Elle ne savait que dire d'autre et attendit qu'il parle à son tour. C'était toujours eux qui menaient la danse. Elle ne faisait qu'obéir. C'était le choix qu'elle avait fait.