Le bar tourne bien. Arty à son poste -brave Arty- les clients vont et viennent. Hope et Spouik n'ont pas fui. En plus, elles sont super copines. Ca fait plaiz de les voir ensemble comme ça.
Je crois que je peux dire que ma vie, doucement, remonte la pente.
J'ai continué d'avancer, malgré tout. Evidemment, tout n'est pas rose. J'ai encore quelques boulets au pied (alias ma grand-mère, qui ne semble ne toujours pas vraiment lâcher l'affaire et me harcèle quand elle le peut au sujet d'Asclépius).
Malgré tout, j'ai avancé. J'ai fini par sécher mes larmes. Voir les gens qui comptent et continuent d'être là. Reclasser mes priorités. Lïnwe et moi avons repris le bar à bras le corps. Pour qu'il ne coule pas après le départ de Shae. Pour qu'il continue de vivre. Ca fait si longtemps qu'il existe...
Je peux être fière de nous : ça a été un succès.
Les Trois Balais sont toujours là. Et la vie a tourné dedans.
Lïnwe qui agite son mouchoir blanc -bye bye !
Arty qui débarque après avoir foutu le feu chez les Aurors. Heureusement, il n'a pas encore incendié les Trois Balais. Je crois qu'il sait que je l'assommerais à coup de spatule s'il faisait ça. Parce que ce lieu, c'est mon bébé à moi. Que je choie comme pas possible.
Le lieu où j'ai l'impression d'avoir grandi.
De mes seize ans à aujourd'hui.
Le lieu des rencontres, des bons et des mauvais souvenirs. De l'amour fou d'adolescente -le premier baiser avec Shae, Leo à l'époque.
Bref.
3B.
Ma life.

Après m'être assurée que tout était pour le mieux, je sors prendre l'air.
Pré-au-lard. Son agitation quotidienne.
Je plonge mes mains dans les poches de mon manteau.
Avoir plus chaud.
Se sentir bien, dans ce froid qui griffe presque le visage. Revigorant hiver.

Une silhouette s'approche. Sur le coup, je ne lui prête pas grande attention. Plongée dans mes pensées.
Mais la voix.
Qui s'élève.
Qui hérisse presque le poil.
Les oreilles se tendent.
Sens aux alerte.
Et je me tourne.

Elle

Est là.
Je boude.
Moue sur les lèvres.
Elle est venue, délibérément, vers moi. Provocante, comme toujours. Qu'est-ce qu'elle veut ? La bagarre ? Elle s'ennuie tellement qu'elle a besoin de venir chercher les ennuis là où elle pourrait les trouver ?
Au lieu de partir au quart de tour comme aurait pu le faire quelqu'un d'autre, je me contente de sourire -pas franc, plus rictus sarcastique. J'ai compris, on a compris, depuis le temps, que s'assassiner par les mots est encore ce que nous faisons de mieux. Ce que nous préférons. Même si, évidemment, les poings ne sont pas mis au placard. C'est un petit plus. Un petit bonus. A l'adrénaline.

-Les blessures physiques ne sont pas grand-chose, je réponds calmement. Par contre la déception, ça doit être autre chose, non ? Pas trop déçue que coucher avec le gérant ne te permette pas d'avoir la clé des Trois Balais ?

Subtile référence à notre dernière entrevue amère. Aux 3B, justement. Lors d'une chasse aux trésors. Où elle a essayé de battre des cils et remuer des hanches pour arracher à Arty un passe-droit dans le bar.

-Deso, chérie, mais passer sous le bureau est beaucoup trop has-been, j'ajoute en croisant les bras sur ma poitrine et en la toisant de haut de ma petite taille.

La rage monte, bouillonne, alors que je sens sa main tapoter ma tête. Sursaut électrique le long de l’échine, j’ai envie de lui donner un grand coup pour l’inciter à retirer sa paluche de là. D’où elle me touche, celle-là ? En plus avec son petit air condescendant. A me traiter comme une gamine. Juste parce que ses gènes lui ont offert une taille supérieure à la mienne ! Namého !
Elle insiste sur le fait qu’Arty, c’est son mec. Pas un coup intéressé. Qu’elle s’en fout, des 3B. Qu’elle n’est pas avec pour ça.
En vérité, je n’en doute pas. Et ça m’agace. Je ne suis pas jalouse. Mais Arty est mon ami. Et en tant que tel, j’aurais vraiment voulu apprécier sa copine. Seulement, c’est tout bonnement impossible. Le jour où il changera de meuf, ça sera différent. Mais là, juste... non, pas elle, quoi ! J’peux même pas faire semblant. Et elle non plus ne cherche pas à masquer les apparences. Au moins, on ne peut pas nous reprocher d’être fausse l’une envers l’autre. Nous savons ouvertement que nous ne nous aimons pas. Sans même plus savoir pourquoi.

Comme si le contact de sa main sur ma tête ne suffisait pas, la voilà qui approche ! Beaucoup trop près. Toujours cette condescendance dans sa taille plus haute. Elle me fixe dans les yeux. Pour défi et par ego, je ne détourne pas le regard et soutiens le sien. Ce n’est pas une épreuve très facile (avez-vous déjà soutenu le regard d’une personne que vous ne pouvez pas sentir ?) mais, avec un peu de volonté, j’y arrivé. Ne pouvant répondre autrement, j’affiche un rictus :

-Continue de me regarder comme ça, avec un peu de chance, tu te bloqueras le dos tellement tu te seras penchée.

Elle ne s’en laisse pas conter et poursuit. Elle écorche mon nom (si ça avait été n’importe qui d’autre, je ne lui en aurais pas voulu. Underlinden, c’est quand même compliqué, surtout quand on ne parle pas allemand et qu’on n’en saisit pas la signification). Et parle de jalousie. Tandis que sa main s’aventure, encore une fois, un peu trop proche de moi, remettant en place une mèche de cheveux.
Cette fois-ci, n’y tenant plus, je laisse ma propre main partir, fouetter l’air, à la rencontre de la sienne, comme on chercherait à chasser une mouche. Mais au lieu de la chasser, je me saisis. Mon geste se termine, éloignant l’intruse. Mais je ne me contente pas de ça. Tout en continuant de la fixer dans les yeux, je commence à enfoncer consciencieusement mes ongles dans sa peau. Cherchant à marquer le dos de sa main.

-Jalouse ? Mais pourquoi ? je réponds d’un air exagérément surpris et innocent. Tu n’as rien de plus que je puisse envier. J’ai un bar que j’aime pour lequel je me suis durement battue. Une place au chaud à Poudlard. Des amis sur qui je sais pouvoir compter en toute circonstance. Y’a même ton mec, dans cette liste d’amis, j’ajoute, cherchant à la faire tiquer, à l’agacer. Même si je regrette assez rapidement cette phrase : je ne tiens pas tellement à mêler Arty à tout ça, ce ne sont pas ses histoires, il n’a pas à en faire les frais.

Evidemment, comme on est dans la provocation et qu’il faut essayer de prendre le dessus, je ne parle pas des failles. Mon rictus et mon air sûr, bien ancré dans le sol, cachent les méandres incertains de ce qui est décrit comme un long fleuve tranquille. Evidemment, je ne parle pas de ma vie qui est un vrai amas de rien du tout depuis des mois et des mois -depuis qu’Asclépius n’est pas rentré, n’est plus jamais rentré. Je ne parle pas des doutes, des nuits blanches, des cernes. Je me contente de sourire :

-Tu te sens donc tellement complexée que tu as besoin de te persuader que quelqu’un est jaloux de toi ?

-Arty n’est pas la raison pour laquelle j’t’aime pas, tu sais.

Je sais.
Evidemment, que je sais.
Arty n'a rien à voir avec tout ça. On ne s'aimait pas bien avant qu'il puisse servir d'argument de guerre dans l'un et l'autre camp. Mais, voilà. C'est sorti comme ça. Et, évidemment, Loredana ne se laisse pas décontenancer. Ca ne l'affecte d'ailleurs pas. Ce n'est pas sur l'argument Arty que je l'aurai.
Mais au fond, est-ce que je cherche vraiment à la coincer ? Si l'une coinçait définitivement l'autre, ça signerait la fin des hostilités. Or, je trouve ça bien plus marrant de s'envoyer des vacheries en continu plutôt que revenir sur un terrain neutre à cause du K-O de l'une de nous. Pas drôle, si on doit s'arrêter.
Alors on continue, de vacherie en vacherie. Dans l'espoir secret, sans doute, que ça continue encore longtemps. Ne parle-t-on par de meilleures ennemies, ou un truc comme ça ? C'est peut-être nous, à bien y réfléchir.
Aimer ne pas s'aimer.
Voilà quelque chose qui pique mon adrénaline. Voilà pourquoi, malgré ma haine, je suis contente qu'elle existe. Mais, évidemment, je ne le dirai jamais.

Tout à coup, ses cheveux changent de couleur et virent au rouge.
Sous le coup de la surprise, je desserre mon emprise sur sa main. Et elle saisit mon poignet. Rôles inversés. Elle a l'air vraiment énervée. Non pas que j'aie peur. Mais je suis surprise de voir que ma question semble l'avoir piquée au vif. Mais, plus encore, surprise pour ses cheveux.
Evidemment, je connais la métamorphomagie. Sur la théorie. Mais je n'ai jamais eu l'occasion d'un voir un-e en pleine action. Et il semblerait qu'aujourd'hui, c'est mon jour de chance.
J'ai l'impression qu'elle siffle plus qu'elle ne parle sa réponse. Je laisse sa main refermée sur mon poignet. M'efforce de soutenir son regard.
Je sens la tension de l'atmosphère vibrer à chacun de ses mots.
Elle semble reprendre le contrôle d'elle-même, à commencer par sa couleur capilaire. Qui revient au modèle original.
Sa question suivante me pique au vif. D'un geste brusque, je dégage mon poignet de son emprise. Je serre les dents. Qu'elle s'attaque à moi, je m'en fous. Mais réduire les Trois Balais au fait d'astiquer un comptoir... Les Trois Balais c'est tellement toute ma vie, tellement plus que ça... que je ne le supporte pas.

-Tu es bien aveugle ou idiote, si tu réduis les Trois Balais à ça. En plus, je te rappelle qu'Arty aussi a travaillé là-bas.

Et voilà, encore une fois, ça m'a échappé. J'peux pas foutre la paix à Arty, moi ?!

-Je construis un monde.

Parce que oui, c'est comme ça que je vois les Trois Balais. Un monde à part. Que je construis, avec l'aide de ceux qui m'entourent, pas à pas. Doter le bar d'un âme particulière, d'un esprit de folie doucereuse, d'un coeur chaleureux pour accueillir tous ceux et celles qui le veulent.

-Et si t'es pas capable de voir au-delà... ce n'est pas mon souci, reste avec ton aveuglement.

Sa dernière remarque m'achève. Par sa puérilité. C'est presque le d'abord, tu seras pas invitée à mon anniversaire ! Sauf que c'est la version adulte, c'est-à-dire la version mariage.
Elle va vraiment se marier ? Genre... pour de vrai ? Avec Arty ?
En soi, j'm'en fous de son mariage à elle. Mais si c'est avec Arty... j'veux être au mariage d'Arty, mon ami espion violet à paillettes ! Je fais une moue, rapidement effacée par un :

-M'en fous !

Tout aussi puérile que sa provocation.

-T'étais pas invitée au mien, de toutes.

Allez, on continue dans les provocations enfantines !

-Et c'était sacrément bien.

Tout ça pour dire : t'as vraiment raté un truc mais toutes façons, t'aurais quand même pas pu y assister, t'étais pas invitée.

-Tu pourras pas faire mieux.

Et hop, petite pique de plus ! Remarque, c'est peut-être vrai. Saura-t-elle dégoter un druide chelou qui fume de l'herbe juste avant de présider la cérémonie ? Et qui, en plus, A OFFERT UN PEU DE FUMETTE A UN DES DEUX TEMOINS ?! Autant vous dire qu'Ebenezer n'était pas frais, pendant la cérémonie.

-En tout cas j'espère que pour ton mariage, tu te contrôleras mieux que ça, j'ajoute, en désignant, d'un geste, sa chevelure. Ca ferait tâche, gâcher une belle tenue de mariage avec une horrible couleur capillaire.