Amicale convocation [Terminé]

Saison 30 - Hiver
Avec Antonius Ravental et Azael Peverell

J'étais bien évidemment en avance. La salle de réunion numéro trois, en comparaison à ses consœurs, était plus intimiste. Une table ronde, quatre chaises, des murs ovales. Étonnamment haute de plafond, sept imposantes colonnes entouraient l'espace. Le plafond en coupole laissait pendre un grand lustre en cristal bleuté. L'ensemble ressemblait à une chapelle macabre carrelée vert mousse.

Assis sur la chaise faisant face à la porte, une tasse de thé fumante à mes côtés, j'attendais mon illustre convoqué. Mon costume noir et ma cravate bleu nuit faisait ressortir la blancheur de mes cheveux et mes traits tirés par la fatigue et le temps. Un dossier prêt à craquer trônait magistralement au milieu de la table. On pouvait y lire "AZAEL PEVERELL - BUREAU DES AURORS". Une fiche de renseignement comprenant une photo peu flatteuse de l'individu était attachée à la couverture par un trombone usé.

Devant la porte, tel un Cerbère des temps modernes, patientait mon assistant. Il était chargé de noter l'heure d'arrivée du second protagoniste de cette pièce éphémère. Mains jointes dans le dos, posture militaire, son visage fermé nous invitait à penser qu'il portait seul tout le poids de la Justice Magique sur ses frêles épaules.

Raclant ma gorge, je me mis à observer la photo animée plus en détails. Ironie du sort, ce personnage ô combien agaçant et contrariant toutes mes valeurs fondamentales me fit ressentir une pointe de compassion et de sensibilité. Un sourire en coin se dessina fugacement sur mon visage avant de disparaître immédiatement. Qu'étais-je en train de faire ? Je secoue la tête, chassant la moindre idée saugrenue de mon esprit. Patienter, maintenant.

Tu détestes les convocations. Parce qu'elles ne laissent aucun autre choix que celui de se montrer. Et du détestes ne pas avoir le choix. Surtout vu le motif particulier de celle-ci. T'as l'impression d'être redevenu un gamin devant justifier le moindre de ses actes. Si t'as été nommé Auror, il y a une raison, pourquoi ressasser ainsi ton passé ? Tu ne regrettes rien de ce que tu as fait. Aucun acte. Tu as toujours agi en pleine acceptation de tes valeurs. Mais ce n'est pas pour autant que tu agirais aujourd'hui comme tu l'as fait hier. Tu pousses un soupir. T'as la flemme d'y aller.

La lettre dit que tu seras en retard. Tu t'en voudrais de lui donner tort. D'ailleurs, tu vas même mettre un point d'honneur à gratifier ce nouveau directeur qui a décidé de te les briser de ton plus beau retard. C'est sans doute un peu puéril, mais sa convocation te déplaît fortement, et la façon qu'il avait eu de s'adresser à toi lors de la réunion ne t'a guère davantage plu. C'est donc vêtu d'un trois pièces gris parfaitement taillé que tu te pointes devant la salle de réunion numéro trois avec une bonne vingtaine de minutes de retard.

Tu t'arrêtes devant l'assistant du directeur en plantant ton regard dans le sien tandis qu'il regarde l'heure avant de te faire savoir que ton retard n'est pas des mieux vus avec un bruit de bouche des plus étranges. Tu te contentes d'un sourire insolent avant d'entrer dans la pièce sans plus de cérémonie pour te diriger vers ton directeur. Tu restes de l'autre côté de la table, debout, sourire désinvolte toujours sur les lèvres, le temps de le saluer comme il se doit.

- Monsieur, j'espère que mon évident retard répond à vos espérances.

Aucune honte, juste une très grande fierté. C'est que t'es passé pro dans l'art de faire ch*er le monde il y a de cela quelques années, et si tu t'es calmé, les bonnes vieilles habitudes reviennent très facilement.

Je demeure parfaitement immobile. Quelques secondes de silence s'écoulent. Je me saisis lentement de ma tasse et de sa sous-tasse. Une gorgée du liquide chaud. La déguster. Il était parfait. Tant l'infusion que la température. 85 degrés, quatre minutes. Splendide. Je repose l'ensemble dans un bruit de porcelaine et vient fixer Azael Peverell. Joignant mes mains face à moi, je réponds sans attendre davantage.

- Il y répond en tout point.

Je marque un temps. A croire qu'avec l'âge, j'ai pris gout à aménager les silences de la sorte. Je contourne lentement la table par la droite. J'ajuste sur mon chemin ma cravate et mon costume. J'arrive à la hauteur de l'Auror. Je ne quitte pas son regard des yeux. Mes mains sont jointes dans le bas de mon dos. Sur un ton parfaitement monocorde, je commence mon petit discours incisif.

- Vous m'emm**dez, Monsieur Peverell. Votre insolence, votre allure débonnaire, votre obséquiosité. Votre détestable tendance à remettre en cause l'autorité, la hiérarchie. Votre besoin maladif de domination, d'attention, de reconnaissance. Tout dans ce dossier me laisse à penser que vous n'avez rien à faire au Bureau des Aurors. Rien. A dire vrai, j'ai dès mon arrivée eu l'ardent désir de vous muter dans un service bien moins reluisant.

Je reste ainsi. Sans bouger. Il me faut quelques minutes pour prendre une grande inspiration et me retourner, réalisant le chemin inverse. Je me retrouve derrière ma chaise, prenant appui sur le haut de son dossier, toujours debout.

- Néanmoins. Je dois moi aussi me plier aux faits. Aux actes. Durant cette année, vous avez eu un comportement lors de vos missions digne d'un véritable Auror. Au delà de votre image, vos réflexions sont pertinentes. Je ne peux que saluer votre professionnalisme et votre soucis de l'efficacité du service. A certains égards, croyez le ou non, nous nous ressemblons. L'on vous taxe de libre penseur, d'esprit délétère. Je vois en vous le feu qui pourrait embraser ce département. En faire grâce à vous le véritable fer de lance de la Justice Magique. Je vais être parfaitement clair avec vous. Vous avez le choix. Sortez de cette pièce et je m'engage à faire de votre vie ici un enfer. Mais si vous acceptez de collaborer avec moi, si vous acceptez de mettre au service de votre ambition vos ressources incroyables, alors asseyez-vous et discutons du prix. Décidez de gagner et nous gagnerons à deux. Décidez de perdre et je gagnerai quoi qu'il arrive. Je parle à un homme, agissez en tant que tel.

Je reprends lentement place. D'un geste de ma baguette, je fais légèrement reculer la chaise face à moi. Et j'attends. A nouveau, j'attends. Que le destin s'exprime. Qu'il lance ses dés démoniaques.

Tu ne le quittes pas du regard, le temps qu'il boive son thé tranquillement. T'as un peu envie de lui dire que t'as pas que ça à faire, mais étant donné ton retard t'as surtout gagné le droit d'attendre à ton tour, et même toi tu t'en rends compte. Alors tu te contentes de garder ton air de mec insupportable sans le quitter des yeux, espérant probablement le gêner. Sa réponse ne fait qu'élargir ton sourire provocateur. Ouais, t'es fier de toi, et rien ne pourra y changer quoi que ce soit.

Nouveau silence, que tu ne brises pas. Visiblement, le jeu de patience est inversé. Habituellement, tu trépignerais, n'appréciant pas perdre ainsi ton temps. Mais tu n'as pas envie de lui faire ce plaisir. Il finit par se relever pour s'avancer vers toi, et tu gardes la tête haute. Le jeu de regard est lancé, et tu n'as pas l'intention de le perdre. Enfin, il reprend la parole, et les mots qui sortent de sa bouche ne te plaisent pas des masses. Tu perds presque immédiatement ton petit sourire, pour garder les lèvres pincées afin de retenir toute réponse cinglante.

Comment ose-t-il te parler ainsi ? Penser te connaître alors même qu'il n'est qu'un politicien arriviste... Le pire là-dedans étant probablement qu'il vise juste, ce qui t'énerve d'autant plus. Ton poing droit se serre, t'as presque envie de te saisir de ta baguette pour lui coller sous la gorge, lui faire comprendre ce qu'il advient à ceux qui osent te parler de la sorte. Mais tu prends sur toi, garde le silence tandis qu'il repart en sens inverse. Tu retiens tes mots, tes gestes, ton agacement, mais ton regard noir en dit long sur ce que tu penses.

Mâchoires crispées, t'hésites à simplement faire demi-tour en l'envoyant se faire foutre. Exactement le genre de comportement que tu aurais eu il y a quelques années. Mais il n'a pas fini, parle encore. Et au fil de son discours, tu retrouves ton calme, l'énervement redescend. Il reconnaît tout de même ton travail, ton professionnalisme, ta valeur, plus généralement. Tu vois entre ses mots une possibilité d'évolution, d'aller plus loin, plus haut dans les sphères des puissants. Et l'idée de stagner ne te plaît pas. T'en veux plus, toujours. Alors tu fais fi de sa menace première qui te donne pourtant envie de voir ce dont il est réellement capable. Tu t'assois donc sur la chaise, retirant au passage le bouton de ta veste de costume, et plantes à nouveau ton regard dans le sien.

- Bien, je vous écoute, Monsieur le Directeur.

Ton air d'insupportable tête à claques a disparu, tu es visiblement prêt à discuter sérieusement. Mais c'est lui qui t'a convoqué ici, alors autant lui laisser la parole. Tu n'as pas l'intention de lui mâcher le travail, bien que tu sois prêt à répondre à ses questions avec la sincérité qui t'a toujours caractérisée.

Azael Peverell. Vous êtes vraiment tout ce que j'attendais de vous. Je m'enfonce davantage dans mon fauteuil jaugeant le personnage plus en détail. On ne peut lui retirer le fait qu'il a un certain sens du spectacle. Je ne laisse plus de silence filtrer. Je joue mon second coup.

- J'ai une théorie assez simple concernant les personnes comme vous. En deux mots, je préfère qu'elles soient chez moi et qu'elles pissent dehors plutôt qu'elles soient dehors et qu'elles pissent chez moi. Jouons cartes sur table. Si nous ne travaillons pas l'un avec l'autre maintenant, nous finirons tôt ou tard par travailler l'un contre l'autre.

Je m'accorde une gorgée de thé. Le décor est planté.

- Maintenant que j'occupe ce fauteuil, je ne suis plus dans la cour des exécutants. Je suis un dirigeant. C'est ainsi. A cette place, les flagorneurs sont aussi nombreux à graviter que les détracteurs. Je compte demeurer en poste suffisamment longtemps pour que mes plans se déroulent de manière satisfaisante. Pour cela, j'ai besoin d'un relais à la fois émetteur et transmetteur. Quelqu'un qui inspirerait confiance aux désapprobateurs et aux comploteurs silencieux. Avec votre petit numéro lors de la réunion, je gage qu'ils vous ont désormais dans le viseur. Continuez à manifester votre avis comme vous le faites devant moi en public. Ecoutez, laissez vos oreilles traîner. Rapportez moi ce que j'ai besoin de savoir, transmettez les rumeurs que j'ai besoin de faire circuler et vous bénéficierez en retour d'une juste compensation. Qu'en pensez-vous ?

Je ne bouge pas d'un pouce, patientant. Ma main vient se poser sur l'épais dossier présent sur la table. Mes doigts le tapotent silencieusement.

Tandis qu'il commence à parler, tu t'adosses tranquillement, bras croisés sur la poitrine, regard rivé sur le sien. Tu l'écoutes avec attention et sa première tirade fait son petit effet. Il a raison, et tu le sais parfaitement. Et étant donné la facilité qu'il a de manier les mots, tu serais bien idiot de te lancer dans une guerre contre cet homme. Cependant, ce n'est pas une raison pour lui rendre les choses aussi simples. D'autant plus que la suite de ses propos n'est pas pour te plaire énormément. Alors qu'il demande ton avis, tu te penches légèrement en avant, posant tes avant bras sur la table, mains enlacées.

A ton tour de poser un silence en l'observant. Il a vraiment une haute estime de lui-même s'il pense que tout est si facile. Que tu vas accepter de tels termes alors même qu'ils vont à l'encontre de toutes tes valeurs personnelles. Tu as deux-trois petites choses à lui expliquer afin que tout soit clair entre vous.

- J'en pense que vous vous méprenez fortement sur mon compte, Monsieur Ravental. Il est vrai que j'ai de l'ambition, mais pas au point de vendre mes collègues qui ont le bon sens de ne pas se plier stupidement à une hiérarchie qui ne leur a rien prouvé en échange d'une hypothétique compensation.

Un léger sourire en coin vient étirer tes lèvres. Le type est bien trop sûr de lui. Et puis, franchement, comment a-t-il pu imaginer une seule seconde que tu accepterais ?

- Je ne suis pas une balance. Montrez que cette place est vôtre et que vous la méritez, vos détracteurs n'en seront que moins nombreux. Et peut-être qu'alors vous vaudrez la peine que je vous rapporte les propos les plus virulents si je les estime infondés. Aussi étrange que cela puisse paraître, je crois en la méritocratie. Et j'ai assez d'amour propre pour mener à bien mes projets sans bafouer les valeurs en quelles je crois.

En bref, il peut aller se faire voir s'il pense que tu vas espionner d'honnêtes fonctionnaires pour son compte si le seul tort de ces derniers est de refuser de faciliter la tâche d'un arriviste incompétent. S'il est ton directeur, et qu'il pense pouvoir faire de ta vie un enfer comme il l'a si bien dit, tes collègues sont ceux qui ont tes arrières sur le terrain. Ils n'ont pas besoin d'être tes amis, mais la confiance est primordiale lorsque l'on met sa vie en jeu chaque jour en portant un insigne.

Tout était écrit. A croire que le ciel me faisait un présent exquis. Je m'enfonce dans mon fauteuil en l'écoutant s'exprimer. Se livrer. Me confier une par une les armes de son propre trépas. Mon échine est subitement parcourue d'une tension semblable à de l'excitation sexuelle. Ma mâchoire se tend. Mes traits se tirent. Mon regard ne le quitte pas une seule seconde. Mon esprit a déjà mis Azael Peverell sur la Croix. Mes mains se serrent sur les accoudoirs en bois obscur. J'entends les trompettes célestes sonner. Et il continue. Il continue de déverser sa confession magnifique. D'exposer sa candeur parfaite. Adieu, Monsieur Peverell.

- Regardez au fond de mes yeux, Monsieur Peverell. Regardez au fond de mon âme. Vous savez que je détruirai morceau par morceau la moindre petite parcelle d'échec, de déshonneur et de trahison dans ce département. Vous savez qu'au delà de tout, c'est de moi qu'a besoin ce département. Qu'a besoin la Justice pour s'exprimer dans toute sa grandeur. Pour s'abattre sur celles et ceux la défiant quotidiennement en toute impudence. Vous croyez au mérite ? Grand bien vous fasse. Je crois au jugement. Au jugement qui attend l'homme mauvais. Qui attend l'homme qui par ses actes, ses mots et ses pensées contrarie la grandeur qui est celle de la communauté magique. Qui contrarie la Loi.

Un sourire mauvais se dessine sur mon visage. Je me redresse à nouveau, venant me placer debout derrière le dossier de mon fauteuil.

- Je ne cherche pas à vous convaincre. Je ne cherche pas à tout prix à vous compter parmi mes fidèles. Ceci est la plus pure des vérités. Ce n'est pas une prédiction. A la minute où j'ai été nommé, mes projets étaient déjà en marche. J'ai travaillé d'arrache-pied pour en arriver là. Chaque coup porté réduisait mes concurrents en cendre. Et me voilà. Face à vous. Je me méprends sur votre compte, c'est probable. Mais sachez que je ne perds jamais. Chaque seconde passée en votre compagnie est une correction de trajectoire immédiatement apportée à mon Plan.

Je me remets en marche, contournant la table. Je n'ai pas quitté mon sourire obscure et sibyllin. Je me penche près de lui. Près de cet Auror parfaitement inconscient de la toile dans laquelle il commence à s'engluer. Et il a parfaitement raison. Ma confiance est au diapason de ma stratégie. Je lui dis à voix basse, sur le ton de la confidence.

- J'en pense que vous vous méprenez fortement sur mon compte, Monsieur Peverell. La gloire n'est absolument rien pour moi. Seuls les résultats m'importent.

Je reste une seconde près de lui avant de me redresser et de sortir ma baguette. Tout en la dirigeant fermement vers le dossier, je prononce sèchement la formule #Incendio. Les documents se consument subitement, laissant les braises dévorer la petite photo animée ainsi que toutes la vie administrative passée de l'Auror. Ceci fait, je viens m'adosser au mur, non loin de la porte, croisant les bras.

Ce type a un don pour t'agacer profondément, il faut bien l'admettre. Sa façon de s'exprimer te donne envie de le secouer, juste pour voir ce qu'il laisserait alors passer comme émotion véritable. T'as pas la moindre idée de comment te situer par rapport à lui, pas la moindre idée de ce qu'il veut réellement. Tu pensais que ta réponse ne lui plairait pas, mais son petit discours sonne davantage comme si elle était attendue depuis le début. Il exprime une fois de plus une confiance en lui bien trop grande. Ce type se croit au-dessus de tout et de tous.

Il parle d'actes, de jugement, de grandeur de la Justice. Mais tout cela semble bien vide à tes oreilles venant d'un homme enfermé dans un bureau. Qu'est-ce qu'il peut connaître de la vraie vie ? Les actes mauvais ne doivent pas uniquement être jugés, ils doivent être avant tout empêchés. T'es bien placé pour savoir qu'on ne naît pas mauvais, mais qu'on le devient par la force des événements. Il parle de ce qu'il ne connaît pas. Il parle de ce qu'il ne peut voir qu'à travers la vitre de sa tour d'ivoire. Rien de ce qui sort de ses lèvres ne reflète la vraie vie, celle dans laquelle avancent tous les citoyens de cette communauté.

Il parle ensuite de plan, de fidèles, de réduire ses concurrents en cendre. Tu hausses un sourcil. C'est qu'en plus d'être imbu de lui-même il serait tout simplement complètement taré ? Il revient alors vers toi, tandis que tu n'as pas bougé. Tu préfères garder le regard fixe, devant toi, lorsque son murmure te parvient. T'es de plus en plus perdu dans tous ses mots, une seule chose est sûre : tu n'as aucune confiance en lui. Tu te relèves subitement lorsqu'il met le feu à ton dossier. Ton regard passe de lui aux papiers qui brûlent, avant de revenir sur lui. Difficile de dire que ça ne t'arrange pas, étant donné tout ce qui pouvait traîner là-dedans. Mais tu ne sais toujours pas où il veut en venir.

Tu t'approches de lui, les yeux à nouveau plantés dans les siens.

- C'est encore beaucoup de mots. Beaucoup de spectacle. Quel est votre grand plan, Monsieur le Directeur ? Quels "fidèles" nécessite-t-il ? Quels changements ma présence ici apporte-t-elle ? Vous dites que la gloire vous importe peu, et pourtant, tout chez vous transpire la volonté d'être au pouvoir et d'y rester.

Tu secoues légèrement la tête de gauche à droite. Tu détestes lorsque les choses ne sont pas claires. Et elles sont loin de l'être te concernant. La question la plus importante arrive donc.

- Qu'attendez-vous de moi ? Il est clair que je ne jouerai pas aux espions pour vous. Je fais mon travail, correctement de surcroit. Que voulez-vous de plus ? Qu'est-ce que je fais ici, Monsieur Ravental ?

Car parler d'un dossier qui vient de se retrouver réduit en cendres paraît compromis.

Bien. C’est assez. J’ai vu ce que je voulais voir. J’ai entendu ce que je voulais entendre. Plus de doutes possibles maintenant. Azaël Peverell mérite sa place au sein de l’élite du Département. J’espère pouvoir penser la même chose avec autant de certitude de ses collègues. C’est après une longue inspiration par le nez que je décide de décoller mon dos du mur et de me rediriger d’un pas lent vers la table précédemment quittée. J’ajuste mon costume et je reprends place. Mon visage a retrouvé son calme initial. Mes mains sont jointes devant moi. Tout en me raclant la gorge, je reprends la parole.

- Je vous prie d’excuser toute cette mise en scène, Monsieur Peverell. A mon tour, j’avais besoin d’éléments factuels. J’avais besoin de savoir si votre place au sein du Bureau des Aurors était fondée et que votre esclandre lors de la dernière réunion n’était pas elle aussi que des mots vides de sens. Pour répondre à votre question, je vous ai convoqué pour savoir ce que vous aviez dans le ventre.

J’amménage un temps entre la fin de ma phrase et le début de la suivante. Je dois bien avouer que cette mascarade m’a donné quelques sueurs. Je n’ai définitivement plus vingt ans. Je sens mes muscles encore endoloris par la tension. Mon cœur palpite quelque peu dans ma poitrine. Je ferme les yeux une seconde. Je dois me remémorer cet entretien. Petit à petit, ma respiration reprend son cours.

- Vous méritez une explication. Pour commencer, je devais attirer votre attention sur mes propos. Un discours bureaucratique n’aurait pas servi à grand-chose. Mon choix s’est porté sur des propos plus crus, plus terre à terre. Ce choix a porté ses fruits. Ensuite, les compliments. Une fois l’esprit alerte, je devais mesurer votre fierté et votre rapport à la reconnaissance. Vous n’avez pas relevé ma fausse menace et vous vous êtes assis. J’en conclus que vous savez où se trouve votre intérêt et le mien. Je vous avoue que cette possibilité n’était pas la première que j’avais envisagée. La suite n’était que batterie de tests davantage spectaculaires que fondés afin de vérifier votre réaction face à l’imprévu. Si vous aviez cédé à l'une de mes propositions totalement amorales, j’en aurais conclu que vous ne valiez pas mieux que ces lèche bottes traînant dans le couloir de mon bureau prêts à tout pour de l’avancement ou une faveur. Si vous aviez fait le choix de quitter le pièce ou de perdre votre sang-froid, j’aurais eu la certitude que votre place n’était pas dans un bureau comme celui des Aurors. Pas dans un Bureau chargé de traquer les Mages ayant un esprit bien plus noir que cela. Qui sait si ces propos, dans la bouche d’un Directeur réellement corrompu et fou, n’auraient pas été fondés ? Le risque est constant. Dans toutes les instances. Le terrain et la politique m’ont appris que les gens ne sont jamais ce qu’ils semblent être, sauf face au danger et à une réelle stimulation. Je ferai passer le même examen à vos collègues, vous vous en doutez.

Dun revers de la main, je viens balayer vaguement les cendres qui stationnent devant moi, vestiges du dossier carbonisé.

- Concernant votre dossier, ne vous inquiétez pas. Il ne s’agissait là que d’un Gémino. Mais à votre place, je ne m’en ferai pas. Vous avez toutes les qualités pour aller plus haut. Qui sait, si vos camarades ne montrent pas la même habileté que vous, vous pourrez prétendre à des postes plus élevés dans la hiérarchie du département. J’en ai terminé à présent, je vous remercie. Si vous avez des questions, je vous en prie. De vraies questions, pour de véritables réponses.

Tandis que la tension monte de plus en plus en toi, de même que l'agacement que provoque Ravental chez toi, il se rassoit tranquillement comme si rien ne s'était passé et commence à t'expliquer la situation, avec moins de folie que précédemment, il faut bien le reconnaître. Cependant, tu dois bien admettre que tout cela ne te plaît pas. Cette façon de procéder te donne la nausée, t'as l'impression de n'avoir été rien de plus qu'un pantin entre ses mains et ses mots, et ça te déplaît fortement. Ton regard ne s'adoucit pas, bien au contraire. Il devient de plus en plus mauvais.

Il a beau expliquer tout le fil de son raisonnement, annoncer que tu as réussi le test haut la main, tu ne vois qu'une seule et unique chose : la façon qu'il a eu de jouer avec toi. Tu as besoin d'avoir confiance en ceux avec qui tu travailles, du moins professionnellement parlant. Là, tu ne peux pas avoir confiance en lui. Il peut tout aussi bien être sérieux que jouer la comédie, uniquement pour voir quelles sont tes réactions. Quel directeur de département digne de ce nom agirait ainsi ? Il aurait parfaitement pu s'assurer de ta valeur autrement, moralement.

Resté debout, immobile, tu te contentes de le fixer d'un regard noir tandis qu'il termine son petit monologue en te disant que tes collègues y auront également droit, et que tu pourrais probablement aller plus haut dans la hiérarchie. Un sourire désabusé passe sur tes lèvres. Ses basses flatteries ne t'atteindront plus.

- Aucune question, Monsieur le Directeur. Simplement une affirmation : je n'aime pas votre manière de procéder. Je ne suis pas un jouet, mes collègues ne le sont pas non plus. Faire partie du département de la justice, c'est être humain. Essayez de ne pas l'oublier.

Ton regard reste planté dans le sien quelques secondes avant que tu ne fasses demi-tour pour t'en aller, sans même prendre la peine de le saluer.

Départ d'Aza !