Certes, il y avait des toilettes à son étage, mais Artemis mettait un point d’honneur à être vu, aperçu, reconnu et connu à chaque maudit étage du Ministère de la Magie. La célébrité s’inscrivait dans les banals moments du quotidien, même s’il s’agissait seulement d’un salut poli et souriant au détour d’un couloir, ou, ici, en entrant/sortant des toilettes. D’insignifiants moments mais qui incrustaient dans le cerveau des ennuyants employés l’image du Fripon – partout, tout le temps – et c’était ce qui était important.
Secouer joyeusement la masculinité ayant terminé sa petite affaire pour l’enfermer aussitôt dans le pantalon de costume luxueux – pour lequel il n’avait versé un seul gallion, cela s’entend. Il soupire alors, comme ravi et soulagé d’avoir accompli tel événement dans sa journée, uriner avait adouci sa matinée submergée par moult dossiers administratifs, ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait explorer le terrain pour sévir devant une utilisation non conforme de la magie devant des moldus, tant pis.
Presque en sautillant, les boucles rejoignent le lavabo de marbre où un filet d’eau chaude ne tarde pas à s’écouler – l’hygiène, comme une nécessité essentiellement absolue sur l’épiderme du Fripon. Égoutter consciencieusement les mains savonnées et surtout, maintenant, s’attarder sur le reflet que lui rendait un miroir absolument charmé.

Comment ne pas l’être devant cette enjôleuse frimousse et la coiffure qu’Arty remet nonchalamment en place, ses belles mèches brunes scrupuleusement décoiffées, un air adorable et indocile à la fois. Oui, il se trouvait suffisamment séduisant pour aller de nouveau flâner dans les couloirs adjacents, aller écouter discrètement aux portes afin de cueillir des informations propices à de potentiels futurs chantages – ne pas perdre de vue le pourquoi de sa présence ici. La main satisfaite quitte les boucles parfaites. Tirer sur la veste de costume reboutonnée et s’apprêter à se retourner pour quitter les toilettes du deuxième étage.

Refuge clandestin où je peux m’adonner sans crainte à mon activité préférée ; me rincer la dalle. Cloisonné, donc à l’abri de regards réprobateurs, le couvercle immaculé des toilettes comme trône provisoire. Une bouteille de liqueur à peine plus grande que ma main encerclée par mes doigts noueux. Rien de tel pour me revigorer. La bouche en ovale et ma nuque tombant lourdement sur mes épaules carrées, j’amorce un premier geste jusqu’à l’orée de mes lèvres assoiffées, précautionneux toujours. Après avoir pris soin d’ôter le bouchon de l’évasure ; Inclinez la bouteille avec toute la douceur du monde, une goutte après l’autre, la langue s’attelle à glaner l’accoutumance. Humectez enfin et savourez.

C’en était presque devenu un rituel. Il y avait des jours où je m’abstenais pour ne pas éveiller les soupçons. Boire sagement était primordial. Certes, Jace me demandait souvent pourquoi je me rendais si souvent aux cabinets. Ce serait louche pour n’importe qui vous en conviendrez. Officiellement, la faute à un mauvais transit. Officieusement, une dépendance démesurée à l’eau-de-vie. Comprenez que je préfère la première version. Il en va de mon grade après tout. À présent un second geste, enfonçant et enrobant le goulot de mon appétence jusqu’aux prémisses du col en verre, soutenu par la pulpe de mes doigts au niveau du jable.

Ma bouche prend la relève, le cou toujours penché en arrière, laissant la main retomber le long des latrines – périlleuse acrobatie que de ne pas s’étouffer par l’abondance déferlant dans ma gorge. Le liquide disparaît à vue d’oeil et bientôt plus rien. Signe alors la fin de mon échappée. L’arme du crime plongée instinctivement dans l’obscurité de ma poche. Se relever dans un bond. Je ressors comme si de rien était mais c’était sans compter la présence inopinée d’un jeune homme dont la chevelure mordorée ferait jalouser bien des chauves. Signifier la mienne d’une quinte de toux dans le creux de mon bras. J’accours jusqu’au lavabo de marbre pour y plonger mes mains dans sa cavité, l’eau s’écoule d’elle-même. Nul besoin de me fatiguer. La magie fait bien les choses.

Une oeillade sur le côté pour le regarder davantage. L’attente de prononcer le moindre mot. Je persiste à frictionner l’épiderme, sans savon. Le miroir me gratifie du reflet d’une figure effilée dont les gestes s’articulent aux miens. Deux pépites noires en guise de mirettes. Tranchantes comme la lame d’une dague. Je lorgne à nouveau bouclette, une impression de déjà-vu s’empare de mon être, les sourcils se froncent. Je ne dirais rien bien que l'envie soit là.

C’est qu’il fut surpris de voir une porte s’entrouvrir brusquement, sans aucun son quelconque de chasse d’eau. Rien n’avait alerté le Wildsmith sur une autre présence au sein de ces toilettes à la décoration tristounette, et c’est mal connaître l’énergumène que de penser qu’il pouvait passer outre un tel affront – l’oubli de chasse d’eau. La bouche du Poufsouffle se tord d’une grimace exaspérée, sa vie était constamment perlée de rencontres avec des malotrus à l’hygiène douteuse. Le forçant lui, à enfiler sa tenue de moralisateur qu’il détestait – c’est faux.
Les lèvres se fendent alors, prêtes à mitrailler de provocations dédaigneuses qui rappelleraient au grand Dadais les règles fondamentales de la civilité. Mais c’était sans compter ses mains qu’il était en train de nettoyer – sans savon. Immédiatement, la main du nouvel Agent attrape le cœur pétrifié d’effroi devant un tel manque de savoir-vivre. Ah ! Comme s’il mourrait. T’es sérieux ? Vous êtes tous si dégoûtants à ce niveau-ci ? Cette adorable façon qu'il avait de saluer les gens. Il se plante, appuyé de côté au marbre du lavabo, le regard levé vers les cheveux rasés ras du Personnage – il les plaint. Est-ce que les quarante douze mille centimètres de hauteur le séparant de l’autre l’intimide ? Haha, absolument pas.

Le moralisateur est accompagné d’une redoutable arme qui n’est autre que la certitude d’avoir toujours raison, ainsi que l’insolence. Incroyable équipe qu’il offre à la silhouette qui, malgré tout, lui semblait étrangement familière. Enfin, des mufles, il en croisait tous les jours, et ce n’était pas celui-ci qui ferait trembler ses jolies bretelles. Il désigne alors d’un index sermonneur le toilette que le Paltoquet venait de quitter : chasse d’eau, puis le robinet : savon. Et attention, il était fin observateur, il ne quitterait pas la pièce carrelée sans s’être assuré que l’Homme avait obéi.  
Dans quelques instants il s’arrêterait aux raisons qui avaient fait chevroter ses narines maudites, quelque chose comme un mélange entre le piquant d’alcool et la chaleur de l’animal. Non vraiment, ce type était trop saugrenu, peut-être même était-il un gueux sorcier qui ne travaillait même pas ici.

Une bourrasque échevelée. Que je viens de me prendre de plein fouet. Alors que je me lave tranquillement les mains. Ah bon. Il se met à piailler par-dessus le marché, qu’est-ce qu’il me veut le moineau tombé du nid ? C’est la chute qui lui a fait perdre la raison pour s’adresser à moi de la sorte ? Voyez cette veine, cette toute petite veine sinueuse qui bat de tout son sang, juste là, entre l’oreille et la commissure de mon oeil. Sur la tempe ! Si ce petit indice ne lui met pas la puce à l’oreille, je ne réponds plus de rien. Ciller pour ne rien dire, alors. L’englober de mon iris assassine aussi, suffisamment pour qu’il la boucle à tout jamais.

Au grand dam de Boucle noire, mes lèvres demeurent cimentées l’une à l’autre, d’un flegme séditieux qui le fera sans aucun doute bondir au plafond... au pire chavirer. Qu’il crache sa bien-pensance, ça lui décrassera au moins les bronches. Jacqueter pour me donner des ordres équivaut à un frétillement de sourcil de ma part. Faire ballotter mes mains comme un chien s’ébroue ; attention aux éclaboussures ! Une lorgnade plus tard et je me saisis du savon niché non loin de son point d’appui, lui effleurer l’épiderme est un luxe que je peux m’offrir aujourd’hui, gare à où est-ce qu’il laisse traîner ses pattes, je m’empare de la tant convoitée savonnette que je fais rouler entre mes phalanges ruisselantes. Toujours confiné dans un silence qui me complait. Frotte, frotte, frotte, frotte et frotte. Propre comme un sou neuf.

Maintenant j’amarre l’oeil dans celui de Grande-gueule, sans mot dire, face à ma projection du miroir. À sa trogne déconfite j’en déduis qu’il attend de moi à ce que je tire cette satanée chasse d’eau. Toilettes exemptes de toute sorte de profanation, cela va sans dire. Je peux pas tirer la chasse par contre … Je me suis foulé le poignet en m’astiquant le poireau. Je sens mes sourcils se froncer de désolation à mesure que j’articule, bouhou ! Allô maman bobo. L’attente d’une riposte maintenant. Ce n’est pas comme si Jace avait besoin de moi.

Il n’y avait rien de plus alléchant que de sentir un visage se contracter de contrariété. L’orgueil d’avoir implanté de parfaites petites aiguilles exactement au bon endroit, l’Autre n’a rien à répondre ; tant mieux. C’est qu’il pouvait être agaçant pour un beau parleur que de devoir constamment surenchérir – avoir le dernier mot, toujours. Oh et puis regardez-moi ces adorables mirettes noires transperçantes, elles déposent sur l’épiderme parfait et facétieux du Fripon de douces et tendres caresses, il en ferait une agréable crème pour la peau – hydratante.
Tout de même, il fallait avouer que la lenteur extrême donc le Grand faisait preuve hérisserait presque les poils du Loup, prendre son temps revenait à être dissident, et encore quelques minutes, il ne pourrait plus le supporter. Il s'emparerait de la la tête de l'Irritant pour lui mettre le nez sous l'écoulement de l'eau - le nettoyer tout à fait. A croire que les employés du Ministère avait oublié que le Wildsmith régnait autrefois sur ses couloirs, et que ce Freluquet avait plutôt intérêt à marcher droit. Enfin, il fallait malgré tout savourer les bulles blanches qui ornaient la peau sombre du Sorcier.

Les boucles pirouettent alors en direction de l’insolence de l’Inconnu, qui, à son manque d’hygiène ajoute une couche de vulgarité – étonnant. Exaspéré, Arty soufflète, toujours accroché à son jeu de moralisateur. Ça m’étonne pas ! Dans un rictus moqueur, vu ta connaissance des bases de l’hygiène, que personne ne te veuille dans son lit. Un des fondements élémentaires de la relation aux autres : tu veux plaire ? sois propre. Tout simplement. Enfin, y’a intérêt à n’avoir aucune éclaboussure dans ces toilettes, sinon j’te jure, j’te les fais lécher. Il y a des années, jamais il n’aurait tenté une telle provocation en face d’une carrure comme celle de l’Autre. Mais désormais il sait, que les muscles et ribambelles de triceps biceps et autres ceps ne pouvaient rien face à la Bête déchaînée. Profiter de sa malédiction, lui ? Jamais. Pourtant, il ne bouge pas, ne s’en va pas inspecter les dits toilettes ; les iris clairs assidûment attachés à la silhouette du Dadais, tendre l’échine et être prêt à riposter, c’est qu’il en fallait bien peu pour réveiller son côté belliqueux.