Adieu cheveux plaqués en arrière, paillettes lustrant mes muscles parfaits, et maquillage impeccable. Ne reste que boucles indisciplinées, ventre moite - plié en deux sous l'écœurement, et mascara noyé. Impossible de tituber, les chevilles jointes par le lien magique s'effondrent avant qu'on me redresse à nouveau. Je tousse lamentablement, crache, aussi. Les paroles ne parviennent pas tout de suite à mon cerveau piqueté d'encore quelques rires hystériques. On est où ? C'est quoi ce décor trop carré ? Odeur de paperasse, résonance du vide et le sol, dur, contre ma joue. Aaoutch. Soudain les veines arrêtent de cartographier mon torse, libérées de leurs entraves, comme mes mollets. Impossible de rassembler mes idées, j'ai du mal à savoir pourquoi j'suis ici. M'asseyant difficilement, une voix m'interpelle derrière. P'tit Bro ? Ouais, ce surnom me parle, et pas qu'un peu. Monsieur Jace Becker ! Que j'articule lentement, avant de ricaner, toujours dos à l'agent. Les paumes passent sur le relief que les cordes ont empreint sur ma peau, et mon regard balaye la cellule austère. Un frisson descend ma démente colonne d'acanthe quand j'amorce une ascension, m'aidant du mur, puis des barreaux, en faisant demi-tour pour te fixer.

— Nan. Nan, pas d'avocat, pas besoin. Vous voulez jouer avec moi ? Amusez-vous alors. Essayez, seuls, de sortir du labyrinthe dans lequel je vais vous entraîner - sans même le vouloir, enfant spectaculaire, homme de divertissement, pirate à la conscience insouciante. Accroché aux barres métalliques, mon sourire tortueux. Bro... T'es beau en uniforme. Si j'réalise ce qu'il se passe ? Pas du tout ! Une excitante contre-soirée sûrement. Les surprises m'effraient peu. Celles menées par mon ancien pote de l'équipe Préfectorale, encore moins. D'ailleurs, j'entreprends de me recoiffer un minimum, entamant deux ou trois tours au centre de la loge à la manière d'un artiste se préparant à entrer en scène. Ça fait du bien de délier les jambes trop longtemps attachées, passer un coup d'index sous les yeux noircis et remettre correctement mon pantacourt blanc. Les Dr. Martens, elles, n'ont pas bougé. L'illusion d'une remise en beauté est presque là au moment où je sens à nouveau mes bras tordus vers l'arrière. C'était mieux avec la cravate, nan ? Mais tu ne réponds pas à la provocation. On avance dans les couloirs sombres d'un endroit que je ne connais pas.

— On est où ? Pourquoi tu dis rien ? L'immensité d'une salle d'audience cloue brusquement mon bec et écarquille mes pupilles dilatées. Ça c'est un théâtre mon gars ! Il y a deux sorciers à l'entrée et le vieux Romain rhabillé qui trône face à moi. Évidemment, je minaude, fais le beau, puis m'assoie, forcé par le brave Serpentard. T'as changé Bro. À mes oreilles distraites arrivent un flot de mots, début du show. Directeur de la quoi ? Justice Magique anwé. Voilà un programme ch*ant, si vous voulez mon avis. On est au Ministère en fait ? Bravo les cachotteries ! J'applaudirais l'embuscade, seulement, mes poignets sont liés. Ce sera donc un éclat d'hilarité insensé, faisant rouler ma nuque contre le dossier tandis que les semelles sombres piétinent le parquet. Sérieux ? Bondissant de la chaise pour me mettre debout, j'entame une révérence sans bras, me relève et vous contemple, Ravental, brutalement objet de mon intérêt. Sous mon sourcil arqué, une bouche tout aussi cintrée. Et que me vaut l'honneur d'un tel traitement ? Oh, n'y voyez pas du respect. Un gros foutage de g*eule, à la limite. Enfin, la vérité c'est surtout que j'ai pas encore saisi le sérieux de la comparution.

On m'a pourtant appris à réciter des textes de théâtre depuis qu'je sais parler, mais son baratin, ça veut rien dire là. Sérieusement, faudra lui expliquer, au vieux Monsieur, qu'il existe d'autres endroits pour ranger les balais maintenant. Le sien remonte jusqu'à sa gorge visiblement. Fixant l'homme, mon corps s’avachit contre la chaise à mesure que ses mots défilent - minables. Y'avait tellement de raisons de m'arrêter. Ils ont choisi la métamorphomagie. C'est une blague ?! Même les criminels avec qui j'ai grandi se foutraient de moi. Évidemment, Père avait prévenu Maman : "ton fils restera cloué sur scène si tu l'encourages encore à danser. Il fera rien d'sa vie, comme toi." C'était un bon chasseur de Moldus, un excellent tavernier, il était comédien aussi - pendant les reconstitutions, mais définitivement, mon Père n'avait aucune fibre artistique. Un fin ricanement secoue ma silhouette restée immobile pendant quelques secondes et chasse mes pensées. J'ai quoi à déclarer ? Me redressant, le sourire apostrophé par deux fossettes narquoises, je détaille un moment le Directeur de la Justice Magique. Ravental hein ? Jamais entendu. Normalement, les grands noms circulent vite au Petit Pays Sorcier, monde d'apparences & d'Ego Mal Placé. Si t'avais de l'influence ici, ça se saurait - ou alors c'est complètement gratuit, juste pour le plaisir de t'enfoncer. Vous sortez d'où Ravental ? Un endroit chi*nt, à n'en pas douter, sûrement rempli de paperasse, dépourvu de paillettes et de fantaisie. À trop racler le grain usé de ton teint avec mes pupilles, il va finir labouré. Ouais, tu peux penser qu'j'ai sorti ma meilleure tête à claques, elle est à toi bébé. Tiens, contemple le spectacle, quand j'prends ton apparence en moins d'une minute, sans sourciller, imitation parfaite :

- Considérant l'absence totale d'activité dans mes corps caverneux, je vous demanderai de bien vouloir requérir ma présence usurpatoire au poste de Directeur de la Justice Magique. Ponctué d'un rire et mon visage d'ange qui reflue et te toise toujours plus. En vrai, ça fait combien de temps qu't'as pas b*ndé ? J'me lève, avance les Dr. Martens jusqu'au bord du bureau pour scruter tes papiers en désignant le premier du menton. Pauvre existence, hein ; planté toute la journée face à des fiches qu'il faut remplir. Si l'accent vulgaire de Bristol revient rapidement, ma voix reste douce, presque enrobée. Écrivez sur vot'tableau que j'suis méta, s'il vous reste que ça pour être excité ; mettre les gens dans des cases. Ces lois rendent dinguent. Ceux qui s'évertuent à les faire appliquer méritent pas mon estime. Penchant mon visage pile au dessus de la feuille, j'y laisse couler un étroit filet de salive. Le ploc distinctif résonne au milieu du silence religieux et la bave commence à s'étaler lentement. Tiens, mon adn aussi. Ça glissera mieux pour ta br*nlette Ravental. Mes lèvres humides s'étirent délicatement avant que je n'ajoute tranquillement qu'il faudra m'ramener à la soirée, j'ai soif. Mes invités m'attendent sûrement. Cara doit pleurer. Tresor encore plus, lui qu'avait préparé le terrain pour - Ohw. Meh.

De la Russie, on m'a rapporté quelques mots, le sourire triste de Maman et l'odeur des Médoviks à la crème. Durakom : l'imbécile. Autrement dit, fais-pas l'idiot, joue pas au con. Déjà entendu, évidemment ; faiblement susurré entre ses lèvres hésitantes de Mère bien trop aimante. Mais jamais aussi sérieusement qu'aujourd'hui. Mes yeux clairs s'accrochent une seconde à tes sévères émeraudes, puis fixent la main dure que tu poses sur moi. Comme si ça allait suffire. Toujours attaché par les poignets, ton soupir ne m'échappe pas, accompagné de quelques enjambées en arrière ; désolante métaphore de ta lâcheté. Et ça donne du Monsieur Askin, du vouvoiement. C'est quoi c'délire ? Un nouveau rôle Bro ? Parce qu'il est mauvais. Nan, en aucun cas tu jouerais les comédiens. Est-ce que les Russes t'ont fait vriller ? L'incompréhension envahit ce regard plutôt lucide qui s'arrime à tes paroles. Prison ? Vraiment ? Je crache le terme, à la manière d'un glaviot. Vous avez craqué. Depuis quand on enferme les gens pour quelques minuscules insultes et trois fois rien d'insolence ? Mon ventre recommence à trembler. Chaque paillette frémit, emportée par le rire frénétique soulevant mes entrailles malades. Silencieusement, j'ai le diaphragme qui se décompose, se décroche, morceau après morceau. Une folie douce ne couvrant pas la tirade à venir.

Même si les phrases compliquées du vieux se coincent dans mes rouages rouillés, l'idée principale est là ; elle tient en trois syllabes faciles à retenir : Azkaban. Azkaban, moi ? Risible. Les deux agents arrivent depuis la porte pour me faire lever. Alors voilà, à peine le temps de réaliser. Ma bouche n'a pas fondu pourtant, très loin du U inversé. Sursautant entre deux ricanements, elle fini par se délier, encore, inlassablement. Tes c*uilles doivent être vraiment pleines Ravental, trouve quelqu'un pour - seulement ma poésie est interrompue d'une main autoritaire. Ancien Préfet de Serpentard, hein ? Tu mérites que j'te vire de la Maison tiens. Traîné en arrière, je vous observe rétrécir tous les deux. Vous savez pas qui j'suis ! L'interjection paraît presque victorieuse, prétentieuse, sans doute. La vanité gorge chacun de mes membres tirés vers l'extérieur. J'étouffe tellement je rigole, sortant ma langue folle à en mimer d'autres obscénités, escortées par des mèches, arc-en-ciel d'excitation. Moi, j'suis libre à l'intérieur, Raven - jusqu'à mon dernier éclat, coupé - lorsque les deux grandes portes claquent et font disparaître ma silhouette aliénée.