Les alinéas de la vie [Terminé]

Si même le chef des aurors savait pas ce qui s'était passé, c'est que le monde tournait plus bien rond. Ou que quelqu'un, quelque part, était en train de bien se marrer en regardant le bazar qu'il avait foutu dans le monde sorcier. Ou elle d'ailleurs. Il l'avait dit qu'il la sentait la Momo là. Avec ses airs de sainte nitouche et ses cagoules obligatoires. Je vois. C'était pratique quand même ce secret professionnel. Momo non plus elle pouvait rien leur dire quand elle leur avait confié sa mission cheloue. Secret professionnel. Il en connaissait des tas lui de secrets professionnels. C'était ça de gérer un comptoir. On en apprenait des belles sur les gens. Des fois qu'on voulait pas savoir, m'enfin bon.

J'en déduis que t'as été mis sur d'autres affaires plus intéressantes... Tu dois en voir des sacrés dans ce métier quand même. Des types les plus louches aux types les plus affligeants. T'sais je pourrais pas faire auror moi. Être un bon petit soldat comme ça, qui fait tout bien respecter la loi... ses mains font des carrés dans l'air, puis les doigts se perdent contre le verre. En fait même toi j'comprends pas que tu fasses ça. R'garde ce soir, les types on les a géré tout seul comme des grands, pas besoin d'insignes pour tirer des queues de rat mais un auror en service il fait pas ça. Un auror en service il est menotté par sa propre profession, et son pxtain de secret professionnel.

Mais le Ministère c'était pas qu'un Ministre et ses intrépides aurors. C'était aussi des liaisons avec le reste du monde magique et les fondations de son bon fonctionnement. C'était tout un tas de gratte-papiers pressés de faire leurs preuves, et aussi tout un tas de mystère dont personne ne savait jamais rien. Pour rien au monde l'Elias n'y travaillerait. Il était bien trop à son aise dans le ronflant pub des Trois-Balais, à mater le monde brailler avec la conviction de pouvoir s'en échapper dès qu'il le voulait. S'attacher à des institutions comme celle du Ministère, c'était se forger une cage solide de laquelle il serait à tout jamais impossible de s'extirper. Azaël avait bien gagné trois teintes de gris depuis qu'il y était entré.

Tu esquisses un sourire lorsqu'il remarque que tu dois en voir de sacrées dans le métier. Pour sûr qu'il y a des choses qu'un non-auror ne verra ni ne saura jamais. Enfin, il faut savoir quel genre de vie on veut vivre en se lançant dans le métier. Pour sûr que si tu l'avais su, t'aurais passé ton tour. Du moins si ta place n'était pas si importante. Au-delà d'avoir fait ça pour prouver à tous ce dont tu es réellement capable - notamment à Alhena, on va pas se le cacher - tu n'es pas là par hasard. Tu sers ta véritable Cause en civil, autant que sous le masque. Mais c'est difficile d'expliquer ça à Elias sans en dévoiler un peu trop sur toi.

T'as bien vu, la dernière fois, que les Mangemorts c'était pas trop son truc. Faudrait que tu l'interroges sur le sujet. Discrètement, pour pas te faire griller. L'Elias a beau être un copain, lorsqu'il s'agit de parler de ce genre e choses on est jamais trop prudent. Tu hausses alors distraitement les épaules lorsqu'il t'annonce que personne n'a besoin d'un badge pour gérer les abrutis qui traînent dans les ruelles sombres le soir. C'est pas faux. Mais là n'est pas la question.

- Tu sais que s'ils portent plainte c'est nous qui sommes dans la m*rde ? Les justiciers sont mal vus, peu importe l'échelle à laquelle ils agissent. Le badge, ça permet d'agir dans les règles. Et être magenmage, ça permet de s'assurer que les abrutis qu'on arrête se retrouvent bien derrière les barreaux.

En parlant de justiciers, tu parlais bien évidemment des membres de l'Ordre du Phénix. Ceux qui pensent que leur moralité est au-dessus des lois alors même qu'ils tuent et torturent aussi sûrement que l'Ordre Noir qu'ils détestent tant. A la seule différence qu'eux n'ont aucune valeur à défendre si ce n'est le fait de ne pas aimer ceux qui se baladent en noir avec un masque. Ces gars-là devraient juste s'acheter une vie. Le jour où tu mets la main sur l'un d'eux, tu te feras un plaisir de le foutre derrière les barreaux après une dérouillée en bonne et due forme.

- T'étais là, à Pré-au-Lard, quand les Mangemorts se sont pointés, pas vrai ? Tu penses que sans mon badge j'aurais pu faire en sorte qu'aucun civil ne soit blessé ? C'est p'tet' con, mais un bout de métal ça suffit pour se faire obéir. L'autorité par-delà la raison.

Elias observait le Peverell sans ciller. Il l'avait toujours vu comme un alter-ego. Un gosse avec un bagage trop gros pour lui, jeté dans la fosse aux lions qu'était cette pxtain d'existence, prêt à mordre quiconque voudrait lui barrer la route. Mais y avait une différence entre eux qui pourrait possiblement jamais s'enrayer. La solitude n'avait pas fait partie de la vie d'Azaël comme elle avait fait partie de sa vie à lui. Il avait eu des potes, des gens sur qui compter, des âmes qui l'avaient guidé vers des rails plus propres, plus ordonnés.

Le Baxter Boy trainait toujours en lui cette marque indélébile d'un désert social voulu et assumé. Il avait fait des rencontres, mais ne s'était pas attaché. Toujours ce rappel dans le fond de son crâne, cette assurance au creux de l'esprit que quoi qu'il se passe on est tout seul au bout du compte. Il avait pas les mêmes a-priori quant à la sécurité des civils, ou l'importance de l'autorité pour assurer la sécurité. Parce que la justice il se l'était toujours fait tout seul, tout simplement. Sans insigne, sans procès, sans témoin. Il n'avait aucune confiance en autrui pour assurer des valeurs qui lui tenaient à coeur, et ne patienterait jamais des années durant dans l'ombre d'un bureau quelconque pour obtenir quelque chose qu'il souhaitait. Jamais. La vie était trop courte pour ça. Il préférait son indépendance, et sa propre vérité.

Ouais j'étais là. Un silence bref, une rasade d'hydromel qui file se caler dans le fond de l'estomac. C'était un peu ridicule non ? Un demi-sourire qui étire les lèvres malicieuses. J'veux dire on avait pas fini de discuter que BAM tu débarque pour lancer des sorts et leur donner raison... Parce que c'était ce qu'ils étaient venu faire apparemment. Discuter. Les aurors avaient débarqué et attaqué sans attendre pour la sécurité des gens. Résultat, la population ne retenait qu'une seule et unique chose : un Ministère prompt à la violence face à des masqués qui tente de relancer de vieux débats. Ou comment donner une bien mauvaise image de l'insigne qu'il défendait tant. J'suis pas sûr qu'on était en danger tu sais... nous les civils... en tous cas pas jusqu'à ce que les autorités se pointent.

Tu retiens un sourire en entendant Elias taxer ton intervention ministérielle musclée de ridicule. S'il savait, à quel point tout cela était fait justement pour que les gens se rendent compte que les méthodes du Ministère ne sont pas les bonnes... Donner raison aux détracteurs, tout en obéissant bien sagement aux ordres de ceux qui gardent leur cul bien sagement assis sur une chaise, enfermés dans un bureau, sans la moindre idée de ce qu'il peut bien se passer dans le monde réel et dans la tête de ceux qui travaillent loin des grandes instances...

Ce coup était parfaitement réussi. Il suffisait de voir la réaction de cette gosse qui t'a pris à partie, ou même la réflexion d'Elias aujourd'hui. Mais tu ne peux malheureusement pas laisser montrer ta joie. Toi, t'es juste un bon petit soldat du Ministère, qui obéit aux ordres qu'on lui donne, aussi stupides soient-ils. Après tout, t'es payé pour ça. Quoi que, dernièrement, les ordres, t'as plutôt tendance à les donner étant donné ton rôle de chef du bureau des Aurors. Mais t'as aucun droit de passer outre les règles de base du Ministère en discutant tranquillement avec des terroristes, et le tout devant témoins.

- J'avais pas vraiment le choix. Si là ils n'attaquaient pas, qu'en est-il de la destruction du pont il y a quelques années ? Des Inferis relâchés dans les rues ? De l'attaque de Poudlard ? Je devais au moins essayer de les arrêter pour qu'ils répondent de leur crime.

Ce discours pourrait presque te donner la gerbe. Heureusement, tu peux cacher le malaise qui te prend en avalant une bonne gorgée brûlante de Pur Feu. Ce double-jeu que tu joues commence doucement à t'agacer. Qu'est-ce que tu aimerais, pouvoir enfin crier sur tous les toits ce que tu penses réellement de l'Ordre Noir et du Ministère. Dire haut et fort où va réellement ta loyauté. Mais ce serait un aller simple pour Azkaban pour toi, mais aussi pour tes camarades masqués. Tu finis par hausser légèrement les épaules.

- Ce n'était qu'une question de temps avant que tout dégénère. Tout finit toujours par dégénérer.

Et du temps, t'as fait ce que t'as pu pour en donner à tes camarades Mangemorts.

La bouche parlait, mais les yeux racontaient une autre histoire. Il était pas dedans l'Azaël, sûr que non. Il avait clairement pas la conviction qui donnait de la saveur aux mots et enflammait les opinions. Mais soit. Elias était prêt à entendre le discours du parfait petit auror si c'était ça dont il avait besoin. Du moment qu'il sentait que le copain était pas devenu complètement cxn, c'était bien le principal. Et moi j'pense que c'est typiquement le genre d'action qui fait que ça fini par dégénérer. Mais peut-être que dans le fond c'est ça que tu veux, faire tout péter ? Il avait dit ça sur le ton de la conversation, avec un soupçon d'amusement derrière les pupilles.

Parlementer, c'était bon pour les diplomates. Les aurors étaient pas connu pour être diplomates. En tous cas dans l'affaire qu'il avait lu sur ce type là, Askin, le chef du département de la justice avait tout fait sauf agir avec diplomatie. Non, c'était du rentre-dedans, de la provoque. Le meilleur moyen de tout faire flamber. Il se passait quoi si tout flambait ? Probablement qu'on reconstruisait. Comme lui s'était reconstruit quand toute sa mémoire était partie à volo. Mais ça n'arriverait plus, parce qu'il s'était armé en conséquence. Il n'allait pas tarder à aller passer son examen de manumagie. Quelques semaines d'entrainement encore et il serait prêt.

Observer les dernières gouttes d'hydromel dans le fond du verre, se remémorer le visage des deux types plus tôt dans la soirée. Il arrivait même pas à se sentir mal pour eux. Sûr que pour cette paire là, les choses avaient un peu dégénérées. Ça l'avait boosté Elias. Il s'était sentit comme un héros quelques brèves secondes. Un héros, ou un vengeur masqué. Enfin, pas masqué pour de vrai, mais l'idée était là. Peut-être bien qu'il le referait à l'occasion...

Un petit sourire se dessine sur tes lèvres lorsqu'Elias annonce que, dans le fond, tu peux peut-être juste tout faire péter. Il ne croit pas si bien dire. Ton tempérament explosif, il le connaît. Et il sait ce que tu donnes une fois couplé à Arty. T'as la baguette dangereuse, et ça te démange sévère de montrer tout ce que tu peux faire avec. Des trucs impressionnants, explosifs. Ta magie ne fait que gagner en puissance avec les années et les entraînements. Tu découvres toujours plus de nouvelles façons d'utiliser tes sorts préférés, tu parviens à les rendre plus puissants, plus précis. Avec Moloch en main, ton pouvoir destructeur est presque effrayant, même pour toi. Mais tu dois te canaliser au Ministère. Sous le masque cependant...

- Si seulement je pouvais... C'est fini Poudlard.

Là-bas, tout faire exploser, c'était monnaie courante. Foutre le bordel, foutre le feu, se marrer, se faire engueuler, et recommencer. Aucune conséquence, rien qui ne peut arriver. Simplement de l'amusement, un besoin de tout foutre en l'air, encore et toujours, de montrer ce que tu peux faire, que tu contrôles ou non. Montrer ce qu'il y a en toi, cette puissance qui dort. Aujourd'hui, tu apprends à la maîtriser pour l'utiliser à bon escient. Aujourd'hui, si tu refais le quart de ce que tu faisais à l'époque, Azkaban t'ouvrirait ses portes. Tu termines ton verre d'une traite en poussant un soupir désabusé.

- Ce serait mentir que de dire que j'ai pas aimé, m'occuper de ces deux abrutis sans mon badge. Mais en étant Auror... J'peux avoir de vrais adversaires qui tiennent la route. Je peux voir ce que je vaux vraiment. Et non seulement j'ai le droit de m'y frotter, mais en plus c'est mon boulot et on me félicite pour ça. J'aurais jamais cru finir au Ministère. Mais j'crois que c'est pas si mal. Enfin, si on oublie Ravental.

T'as toujours eu ce besoin d'être utile. Et si ton poste de chef des Aurors n'est qu'une mascarade pour mieux servir la Cause, tu ne t'y sens pas si mal que ça dans ce service. Au contraire. Il te permet de continuer un entraînement digne de ce nom chaque jour qui passe. Et tu peux t'occuper de malmener légalement quelques trous du cul qui ne méritent pas de fouler la terre de leurs pieds. Et ça, ça n'a pas de prix.

L'Azaël bouillonnant est toujours bien présent, sous le masque impassible de l'auror. Ça paraissait évident, mais c'était bon à voir. Elias termine l'hydromel, écoute les élucubrations de l'ami, qui finalement quelque part se tiennent. J'comprends. Enfin je crois. J'aimerais bien être payé à botter le derrière de quelques trous de balle moi aussi parfois. Y avait clairement pire comme situation.

N'en reste que la liberté était un prix fort, et qu'elle était inhérente au Baxter. Jamais il porterait un uniforme, ou un badge. Trop de comptes à rendre, de règles à respecter, de procédures, de cxnneries de trous de balle à faussement respecter. Comme ce Ravental justement. Mais l'Azaël il avait les épaules pour ce genre de taff. Plus qu'Elias. Plus que beaucoup de gens. Faire de grands sourires, faire semblant, et puis finalement, faire voler en éclats les faux-semblants. C'était un peu un espion le copain, et Elias ça le rendait fier.

Bon, camarade, il lève son verre vide, désigne d'un geste du bras le bar vide de tout occupant je vais fermer boutique. Mais repasse me voir à l'occasion. C'est que y avait moins de chance que lui se bouge le popotin jusqu'au sacrosaint Ministère. L'endroit lui foutait autant le bourdon que Ste Mangouste. Trop grand, trop carré. Il se lève adroitement, récupère la vaisselle pour la ramener derrière son comptoir. Si t'as d'autres gens à tabasser j'suis partant aussi. On fait une bonne équipe.