Bonus Pater Familias [en cours]

Saison 31 ; Printemps
Ministère de la Magie
Alhena Peverell & Antonius R. De Lanxorre
LA Mutuels

Encore une journée au paradis. Je sortais de mon bureau, canne à pommeau magique en main. Une nouvelle réunion. De nouveaux visages. De nouvelles décisions à prendre. Un cas de conscience soudain en refermant la porte. Depuis combien d’années maintenant mon quotidien consistait à impacter de manière fulgurante celui des individus ? Des inconnus, pour l’écrasante majorité ? Des décennies, des siècles ? Je n’en avais pas la moindre idée. Mais qu’importe, au fond. Je secouais légèrement la tête pour chasser cette idée inutile et m’engouffrais dans un long couloir sinueux. Les étoffes de mon costume noir finement rayé de gris, de ma chemise blanche, de mon veston et de ma cravate Bleu de Prusse adoptaient le mouvement de mon corps. La lumière artificielle des lieux se reflétait sur le cuir impeccablement ciré de mes chaussures. Les âmes vagabondes s’écartaient sur mon passage, inclinaient la tête, ajoutaient pour les plus fanatiques un « Monsieur le Directeur » bien trop déférent pour être honnête. Pas une seule émotion ne filtrait sur mon visage taillé par le temps.

Le pouvoir, notamment au Ministère, était chose étrange. C’était d’ailleurs là le seul démon que nous partagions totalement avec les moldus. Une citation du philosophe Alain me revint à la mémoire : « La tentation d’être un chef juste et humain est naturelle dans un homme instruit ; mais il faut savoir que le pouvoir change profondément celui qui l’exerce ; et cela ne tient pas seulement à une contagion de société : la raison en est dans les nécessités du commandement, qui sont inflexibles ». Cet homme avait tout dit. Le rôle de chef était et demeurera intrinsèquement lié à des lois d’Airain auxquelles on ne peut se soustraire. Ce fardeau, je ne le souhaitais pas à un autre. La rançon du pouvoir obtenu après tant d’efforts n’était définitivement pas à la hauteur.

Alors que je m’apprêtais à dépasser l’ultime corridor, une apparition des plus inattendues se matérialisa. La Directrice du Département des Mystères, Alhena Peverell. Quoi qu’il aurait été plus réaliste de préciser qu’une étrange aura de malaise et de mal-être se dégageait de sa personne. L’espace d’une seconde imperceptible, mes sourcils se froncèrent. Un simple hochement de la tête au moment de la dépasser accompagna mes salutations d’usage.

- Madame la Directrice.

LA mutuels ft Antonius
Saison 31 - Mai 2178

Elle marchait dans les couloirs, le cœur lourd. Elle était perdue dans ses pensées. La brune trouvait ça drôle à quel point le destin s'amusait à s'acharnait avec elle. C'était d'une ironie absolue. Elle était amère envers ce que la vie lui offrait. Elle n'avait clairement pas le temps, elle était submergée, elle avait l'impression de se noyer au milieu de tout ça. Alhena avait clairement du mal à dormir en ce moment, elle mangeait peu, elle était perdue. Elle était en deuil de son enfant, préoccupée par une faille, haïssait le petit être qui grandissait dans son ventre. Elle avait envie de crier tellement son histoire n'était qu'une plaisanterie. Si sarcastique.

Elle s'arrêta un instant, prenant un grand bol d'air ~~impur~~. La brune n'était pas au meilleur de sa forme, c'était certain. Tous ses problèmes accumulés se voyaient sur son visage, dans ses cernes, son regard, ses sourcils froncés. Elle gardait sa beauté glaciale, sa dignité, mais si on s'arrêtait un instant, on pouvait voir qu'il y avait quelque chose de sombre qui tournait autour d'elle. Elle était fatiguée. Son cœur battait à cent à l'heure. Il n'y avait personne dans le couloir, alors elle pouvait pendant un instant laisser tomber ce masque de dureté qu'elle portait en permanence. C'était fou comme ça pouvait la protéger, alors qu'en fait, ça ne faisait que l'éloigner plus que jamais des autres, de ceux qu'elle aimait.

En entendant des pas, la brune se releva. Hors de question que quelqu'un la contemple dans cet état-là. Elle se releva, reprit ses esprits mais c'est comme si ses jambes ne pouvaient plus la porter. Il s'adressa à elle, elle rétorqua comme à son habitude, Monsieur le Directeur. Elle ne le connaissait pas plus, elle le trouvait légèrement détestable de surcroît. Alors elle se contenterait de le saluer. Elle continua son chemin lentement, mais elle avait l'impression que quelque chose n'allait vraiment pas. Son pas était si lourd, elle porta une main à son ventre alors que l'autre se posa sur le mur, pour la soutenir. Elle avait la tête qui tournait. Avait-elle mangé ? Quand avait-elle bu la dernière fois aussi ?

C'était assez flou dans sa tête. Il était clair qu'elle n'avait pas envie de prendre soin d'elle. Mais était-ce parce qu'elle ne voulait pas s'occuper d'elle-même ? Parce qu'elle était trop occupée ? Ou tout simplement parce qu'elle ne voulait pas se préoccuper de celui qui n'avait pas encore vu le jour ? Elle prit une énorme respiration, elle avait chaud. Il fallait qu'elle reprenne sans attendre son chemin. Si l'autre derrière se retournait, il verrait une de ses faiblesses. Ils jouaient dans la cour des grands, elle ne pouvait pas de faux pas. Elle ne pouvait pas...

Mon corps s’immobilisa à l’ombre d’un pan de mur. Un important dossier devait être traité prochainement par les départements de la Justice et celui des Mystères. Un éclaircissement manquait. L’occasion d’interroger ma consœur ne se représenterait certainement pas avant plusieurs jours. Je devais savoir. Au plus tôt. Je fis volte-face en accompagnant mon mouvement d’un rapide soliloque.

- Excusez-moi, Madame la Directrice … J’aurais aimé vous toucher deux mots au sujet …

Ma phrase s’interrompit, comme happée par l’incongruité du moment. Jamais Peverell n’avait été vue en pareille situation de soumission, de détresse. Papesse ou Impératrice, je n’avais jamais su me décider. Que faire ? L’occasion était rêvée pour ameuter les secours ; faire courir la nouvelle par les bons soins du service infirmier sur l’état de faiblesse d’une des clef de voute des pyramides hiérarchiques du Ministère. L’abandonner à son triste sort était aussi une possibilité envisageable, quoique risquée. Non, il me fallait trouver une solution plus élégante et plus enrichissante. Je fronçais une seconde les sourcils, soupesant avec précaution ce que je m’apprêtais à faire. J’étais à présent au niveau d’Alhena Peverell. Mes mains étaient jointes sur le pommeau de ma canne. Mon regard figé sur le fond du couloir, je m’adressais à elle sur le ton de la confidence, à mi-voix seulement. A la différence de mes prises de parole habituelles lors des réunions du gouvernement, mon propos était plus léger, presque compatissant et conciliant.

- Traverser les niveaux dans cet état est un pari risqué, Madame. Nous ne pouvons tous les deux pas nous le permettre.

Un regard à gauche, un regard à droite. Personne. Le couloir était pour l’heure vide de toute tierce présence. Pour combien de temps encore ? Il y avait fort à parier que la présence de deux des Directeurs les plus importants de l’institution en état stationnaire dans un couloir finirait par attirait l’attention. Ce n’était qu’une question de minutes. Penchant mon visage vers le corps courbé de la Directrice, je glissais ces quelques mots dans un souffle, on ne peut plus sérieux.

- Venez avec moi, mon bureau est à deux pas. Vous pourrez y utiliser ma cheminée pour vous retirer discrètement, si vous le désirez.

Nous savions tous les deux à la perfection ce que ces quelques mots sous entendaient. Ils existaient des règles. Des règles immuables codifiant les rapports et les coutumes dans les hautes sphères du pouvoir. La balle était dorénavant dans le camps d’Alhena Peverell.

La nausée. Elle respirait assez fort alors qu'elle tentait de reprendre pied. La brune savait très bien qu'elle faisait n'importe quoi en ce moment, qu'elle trouvait des millions d'excuses, comme si elle essayait de se punir, de le punir. Petit être qui n'a encore jamais vu le jour. Elle lui en voulait si fort, il était arrivé comme un coup de poing dans les dents. La vie était une si belle ironie comme elle n'en avait jamais vu. Elle la faisait se perdre, danser sans le vouloir. Elle lui imposait des situations qu'elle ne pouvait nier.

Une vie contre une vie

Peut-être que ça aurait dû être ça la devise des Peverell en fin de compte. Ils étaient un concentré d'amertume, enroulé dans les bras de la mort et personne n'arrivait vraiment à s'en défaire. Tuer ou être tué. Jamais vivre, seulement survivre. Sa main s'accrochait un peu trop fort à son haut, alors qu'elle commençait à se sentir encore plus défaillir. Il ne fallait pas qu'elle reste là, si elle s'écroulait dans le couloir, sa réputation pourrait en prendre un coup. Excusez-moi, Madame la Directrice. Elle se releva aussi sec, presque trop vite pour faire face à Antonius. Elle vacillait légèrement, qu'est-ce qu'il disait ?

La brune écoutait vaguement ce qu'il disait. Il fallait absolument qu'elle boive quelque chose, qu'elle ne mange ce serait-ce qu'un peu. Si son cerveau ne voulait pas exécuter ces ordres-là, son subconscient et son corps la mettaient toujours au pied du mur. Hum, vous avez raison. Elle s’exécuta, le suivant d'assez près. Elle tentait de garder la tête haute devant toutes les personnes qu'ils croisaient, mais son visage était si pâle qu'on aurait dit qu'elle était déjà morte. Bien plus que d'habitude. Alors, il y avait quelques murmures qui bourdonnaient dans ses oreilles.

Arrivant dans le bureau de son collègue, elle posa une main sur un des sièges. Connaissant bien ce bureau, puisqu'il avait été le sien durant un temps, elle s'excusa immédiatement avant de se précipiter dans les toilettes. Son estomac se tordait alors qu'elle vomissait. On aurait pu croire qu'elle était malade, c'était le cas, mais pas de ce genre de choses. Mentalement probablement, mais là c'était bien différent. Buvant de l'eau au robinet, nettoyant son visage, elle restait présentable malgré tout. Elle reprenait quelques couleurs même.

En sortant, elle pris place sur une des chaises sans demander vraiment l'autorisation. Il fallait qu'elle reprenne un peu ses esprits avant d'utiliser le réseau des cheminées. Veuillez m'excuser, j'ai été impolie en entrant dans votre bureau. Je suis débordée par le travail en ce moment et ma grossesse ne m'aide vraiment pas à tenir toute la journée. En général je fais attention, mais là... Il fallait qu'elle se justifie absolument, elle était une digne descendante des Peverell et c'était la meilleure excuse qu'elle avait en stock. Elle était en partie vraie certes, mais elle oubliait simplement quelques détails. Si vous pouviez ne pas en parler, ce serait très aimable de votre part. Le décès de ma fille aînée étant encore très frais, j'ai peur d'un trop-plein d'émotions pour tout le monde. Là, elle ne mentait absolument pas en revanche.

L’état dans lequel Alhena Peverell se trouvait me rappelait celui d’Elisabeth, lorsqu’elle vint trouver refuge à Saint-Emilion. Les nausées, le teint blafard, fantomatique, des femmes dévouées corps et âme à la fierté et à l’honneur familial. Le monde pouvait être sur le point de s’écrouler qu’elles resteraient rêches et rigides telles les pages d’un grimoire ancien et oublié de tous. Une gloire qui ne trouve plus son pareil, une gloire qui se ternit chaque jour un peu plus. Le temps de l’honneur n’est hélas plus. Nous en sommes les tristes illustrations.

Durant nos jeunes années, Elisabeth et moi allions nous blottir dans une grange, à l’extrémité du domaine. Un lieu hors du temps, magique de simplicité ; prosaïque. La paille emmêlée dans ses cheveux, le lit chaud et douillet qu’elle nous faisait alors. Nos sourires ; notre regard perdu dans l’immensité de l’autre. Je sentais sa main se poser tendrement sur ma joue. Je sentais son souffle ; son cœur. Aimer une femme comme j’aimais cette femme relevait de l’impossible. Nous étions un tout. Indissociable symbiose. Parfaite conjonction. Partout, elle était avec moi. Chaque jour était une nouvelle rencontre, une nouvelle découverte. Une nouvelle première fois. Mais le temps a effacé ces émotions. La Mort plane au-dessus des hommes. En permanence. Ces souvenirs heureux ne sont plus. L’heure est à la politique. L’heure est à l’étude minutieuse et attentive de la psychologie humaine. Etudier. Inlassablement. Etudier chaque circonvolution. Chaque révolution. Chaque continuation. Etudier sans jamais cesser d’apprendre. Sans jamais cesser d’adapter ses certitudes à la réalité.

Tout en faisant face à une armoire en bois obscur, je préparais une rapide collation à l’attention de ma collègue. Sans me retourner, j’écoutais patiemment ses excuses, ses explications. Ma garde s’affaissait à chacune de ses phrases. Elle était vulnérable, certes. Mais elle n’était pas en chasse. Elle était perdue. Perdue en elle-même. Perdue entre ses désirs, son devoir, son corps et son esprit. C’est là le propre des êtres doués d’une trop grande intelligence ; d’une trop grande sensibilité au monde. Posant face à elle une assiette de biscuits salés et un verre d’eau, je finis par prendre la parole en m’asseyant doucement dans mon fauteuil de bureau.

- Vous pouvez compter sur moi. Personne ne saura pour cet épisode. A une condition. Faites en sorte de vous ménager. Au nom de l’image du Gouvernement, d’une part, mais surtout pour vous. Vous avez conscience de vos capacités. De votre rang et de vos devoirs. Je ne pouvais pas vous laisser dans cet état, Alhena.

Mon regard n’était pas aussi dur que de coutume. Je me faisais sincèrement du souci pour Alhena. Elle était des notre. Elle était de cette élite qui ne se nomme pas mais qui sait se reconnaître au premier coup d’œil. Une élite qui jubile dans l’émulation. L’invitant de la main, je reprends sur un ton moins solennel.

- Par petites gorgées et par petites bouchées, surtout. Mieux vaut ne pas contrarier votre estomac plus que de raison.

Mes mains se joignent sur le cuir recouvrant mon bureau. Mon regard planté dans celui de ma jeune collègue. Prenant une longue respiration, je lui dis.

- J’ai également perdu un être cher. Très cher. J’imagine parfaitement votre douleur. Lorsque je l’ai vécu, c’est la solitude qui fut ma plus grande ennemie. Ma plus grande faiblesse. Permettez-moi de vous mettre en garde contre elle. Vous irez plus vite seule, il est vrai. Mais vous n’irez guère très loin. Soyez prudente ; c’est le seul conseil que je peux vous donner.

La brune avait les yeux fermés, le poing serrant aussi fort que possible le vide, les dents qui se cognaient les unes aux autres. Elle regarda devant elle subitement, le néant absolu. Visage vide, le masque de marbre impossible à briser était de retour. Se faire donner des leçons par celui qui avait déclenché un scandale, quelle ironie. Vous avez conscience de vos capacités. De votre rang et de vos devoirs. La leçon de sa vie, un vinyle rayé qui tournait sans jamais s'arrêter. En boucle, encore et encore. Cette cage dorée qu'elle avait voulu éloigner, mais qui l'avait toujours rattrapé. On ne fuit pas, les conventions de votre rang vous rattrapent toujours, quoi qu'il arrive, quoi que vous fassiez.

Elle se rappelle avoir fait le tour du monde, être libre un temps. Pourtant, ça avait fini par la ramener à la maison. La terre est ronde et c'est visiblement pour une bonne raison. Je connais très bien mon rang, je n'ai jamais fait de vague contrairement à certains. C'était plus amer qu'elle ne l'aurait voulu, mais elle ne s'excuserait pas. Après tout, c'était la vérité. Elle n'avait jamais fait une seule faute quand elle était Directrice de la Justice Magique, jamais une procédure manquée. Quand bien même Luke était son supérieur à l'époque, ils avaient tout fait pour être à la hauteur de ce qu'on leur demandait. L'excellence à tout prix, même si elle n'était qu'illusoire. Abominables créations.

Sans vraiment savoir pourquoi, elle écouta les conseils de son aîné. Ce n'était pas la première fois qu'elle était dans cet état, elle supportait mal ses grossesses en général. Le travail n'arrangeait rien. En fait, elle avait l'habitude, sauf qu'elle s'enfermait dans son bureau quand c'était comme ça. Seule son assistante savait que ça pouvait parfois lui arriver. Les Peverell, avaient une santé fragile dans l'ensemble de toute manière. Massant une de ses tempes, elle plante ses émeraudes dans le regard d'Antonius. Elle écoute le délicat discours de son collègue. Elle est intriguée par ce qu'il dit. C'était étrange ce calme si soudain, ce ton, celui d'un père, presque.

Un léger sourire. Merci pour votre aide. La politesse avant tout. Elle croque lentement dans un biscuit et boit une petite gorgée. Je ne suis jamais seule vous savez, il y a la voix pour commencer et puis Elle aussi, ma sœur jumelle est toujours là. Qu'importe les circonstances, nous sommes... comme une seule et même personne. Jamais on ne se quittera. Jamais on ne s'oubliera. On est née en même temps, on mourra probablement au même moment. N'est-ce pas ce qu'elles se sont toujours dit, malgré les rancœurs et les haines ? Des miroirs, qui pouvaient prendre la place de l'autre à n'importe quel moment. Si elles avaient la même couleur d'yeux, il serait impossible de les reconnaître. Elles se connaissaient par cœur : l'expression faciale, les tocs et la façon de parler. Le regard qu'elles lançaient était le même. Elles connaissaient les relations de l'autre sur le bout des doigts. Alhena était Elladora, Elladora était Alhena. Elles avaient tout prévu, jusqu'au moindre détail. C'était impossible de ne pas les confondre si elles avaient vraiment envie de le faire.

Puis-je vous demander qui était cet être cher ? Si ce n'est pas trop impoli. Il en disait trop ou pas assez. Il était évident, qu'elle finirait par poser la question. Il ne pouvait pas sortir ça comme ça, alors qu'elle traversait sa propre épreuve. Elle avait besoin de réponse, de comprendre comment avancer. Avait-il vraiment vécu la même situation qu'elle ? Elle avait perdu tellement au jeu de la vie. Mais son enfant, c'est le gros lot.

Et lui, alors ? Qu'avait-il perdu ou gagné ?