Saison 32, Été
Arrivée par l’entrée des visiteurs au Ministère de la Magie

Ne voulant passer pour une provinciale, le dos obstinément droit, j’évitai de regarder autour de moi, même si l’envie m’en démangeait. Un coup d’oeil discret toutefois révélait un décor fastueux quoique ancien et délicat. Ancienne aussi sans être toujours délicate était la foule, qui se composait en majorité, selon mes estimations, de fonctionnaires bedonnants et de bureaucrates impatients. Des notes de services venaient également régulièrement obstruer mon champ de vision ; de toutes les couleurs, elles détonnaient sur le parquet et le lambris sombres de l’atrium.

Briseuse de sort. Apprentie. J’y étais arrivée, au Ministère. En bas de l’échelle pour le moment, inexpérimentée comme l’oisillon à la sortie du nid. Pourtant aujourd’hui serait le jour de mon envol, j’y croyais sincèrement. Tout ici rayonnait la puissance, l’autorité, la soumission. On se sentait petit parmi les colonnades, comme dans une fourmilière. Et il me tardait de voir ce monde d’en haut... bien plus haut.

Fort heureusement, l’imposante statue qui trônait au centre du hall à peine atteinte, je me sentis soudainement observée, de la pointe de mes chaussures plates jusqu’au chignon élégamment relevé sur ma nuque pâle. Lorsque cela arrivait, mes sens me le signalaient aussitôt, aussi pris-je le soin de ne pas paraître étonnée lorsqu’un homme aux traits tirés m’aborda :

- Oh, bonjour. J’attends les agents … Felagünd et Callaghan. S’agit-il de vous ?

Un « Oui Callaghan... » fila de mes lèvres, bien que légèrement traînant lorsque l’ensemble de ses propos heurtèrent mes pensées.

- Attendez, attendez... quel est l’autre nom que vous avez cité ? Je rétorquai, un poing sur la hanche, le menton légèrement incliné.

Nom d’une chouette, j’avais du mal entendre. Mon cousin me hante tellement qu’il irait même jusqu’à gâcher mon premier jour au Ministère. Une hallucination auditive fâcheuse si vous voulez mon avis, même si révélatrice de la place qu’il occupait quotidiennement dans mes pensées. Poudlard appartenait au passé, mais lui... Difficile de l’oublier. Enfin, il serait vraiment de mauvais goût de me faire une telle farce aujourd’hui, alors que mon avenir se dessinait enfin clairement.

- Felagünd, madame. Nous l’attendons lui aussi pour son entrée en fonction au sein du Ministère de la Magie, répondit-il le plus sérieusement du monde.

Son air était solennel, cérémonieux, et son regard fixe ; non décidément, les lèvres de l’agent et mon ouïe ne me mentaient pas. Je les maudissais presque, toutes les deux.

- C’est impossible...

Saison 32
Été

- Felagünd c’est moi.

Je me tourne au ralenti, visage figé.

- Cousin...

Démon de mes démons, dans mon arène le Lion avait jailli par derrière. Sournoisement. Une autre personnification valable pour lui, celle du Diable sur mon épaule - jamais l’Ange, ça non ! Ne vous y trompez pas, il n’en a que les cheveux, blancs comme le coton. Du reste, il faut être fou ou aveugle pour le croire sain(t).

- Me dis pas que tu veux être Briseur de Sorts ?

Aucune répartie ne me vient, je suis sciée, stoppée net à ses côtés alors que l’agent se met à déblatérer une brochure du Ministère qu’il a du apprendre par cœur. Pourtant il faudra bien vite que je me reprenne, que je cesse de le fixer avec mon air stupéfait-outré. L’agent du Ministère n’allait pas attendre la fin de notre mini-drame familial pour nous pousser un peu plus dans la gueule du lion... Non, mauvaise métaphore, oublions ça. Bref. Lïnwe tu m’emmerdes.

James, c’était évident, connaissait bien le Ministère de la Magie. Si j’avais été seule, je n’aurais pu maintenir un tel rythme et le bon cap. James atteignit rapidement le niveau 2 du Ministère ; il emprunta des couloirs étroits camouflés dans les murs, traversa des foules au petit trot avec une agilité surprenante, escalada encore quelques marches sans effort apparent. Pourtant c’est bien la main pleine de sueur qu’il nous présenta notre destination.

- Bonne chance à vous. Vous en aurez besoin.

Stupide bonhomme. La chance n’a rien à voir là-dedans. Si j’avais un jour eu une quelconque once de chance dans ma vie, je ne me baladerais pas aujourd’hui aux côtés de mon horripilant cousin, droit vers l’antre de De Lanxorre. J’pourrais presque croire qu’on est toujours à Poudlard, Lïnwe et moi ; le même cycle qui recommence sans fin. Lui qui pense avoir tous les droits, moi qui revendique les miens, un De Lanxorre pour grand patron et la même brûlante guerre qui se déclenche dès lors qu’on se percute.

La porte s’ouvre et nous découvrons enfin la tête de serpent du Ministère. L’accueil est glacial mais il me plait, car même dans une pièce de basse qualité, le Ministre de la Justice fait son effet. Palpitant. Imposant. Angoissant. C’est ça que je veux. Mes pupilles se dilatent, le pouvoir suinte dans l’atmosphère, dégouline sur mes vêtements et sur les murs. Il nous mettait au défi, là, sans préparation aucune après le mini-séisme apporté par l’arrivée diabolique de mon cousin. J’allais devoir me recentrer rapidement, oublier sa présence pour briller sous les yeux du Ministre, réussir l’exercice imposé et surtout faire mieux que lui. Pas le choix.

Un regard de défi échangé avec Lïnwe avant que le sablier ne se tourne et nous voilà lancé. C’est parti. À l’instar de mon cousin, je commence à détailler l’étiquette devant moi. Sans bouger. Sait-on jamais que le toucher ne déclenche un maléfice. L’objet a été ensorcelé, probablement de la métamorphose. Je suis à peu près certaine que c’est le Ministre, en personne, qui s’est chargé de créer cette énigme. Personne d’autre dans la pièce, une seule entrée et un homme à l’égo surdimensionné qui s’assure lui-même de l’accueil de ses employés... Je le fixe du regard, à plusieurs reprises, le prenant pour une partie inhérente du problème - et de sa solution. Je ne fais pas attention à ce que fait mon cousin, deux mètres à côté. J’veux pas qu’on m’accuse de plagiat ou de fainéantise si par malheur nous avions eu la même idée. Mais pour sûr, la mienne sera meilleure ; plus directe et moins technique. Elle est peut-être même déconcertante de facilité, frôle la tricherie si l’on a l’esprit un peu trop cartésien. Mais c’est bien la différence entre lui et moi, j’ai tendance à prendre les problème à contre-pied.

Chaque. Détail. Compte.
Et vous, De Lanxorre, en faites partie.

- Monsieur le Directeur. Il l’a demandé, j’applique son injonction. Mais clairement, j’y vais au culot. Je sonde un instant son regard avant de poursuivre... Puis-je ?

Je désigne, paume droite ouverte vers lui, sa baguette. Je ne fais pas l’affront d’expliquer ma technique, je le suppose assez brillant pour se douter lui-même de mon projet. Je ne me dévalorise pas non plus en partant dans des explications du type « ce n’est pas exactement ce que vous nous demandez mais ça peut marcher... ». Parce que oui, je partais d’un état de fait, peut-être mauvais, selon lequel lui-même avait lancé le sortilège. C’était quitte ou double. Soit j’avais tord et j’avais mis un coup d’épée dans l’eau, soit... J’avais raison et je trouvais directement le maléfice lancé au plastron. Et n’était-ce pas tout l’objectif de l’exercice ?

J’attends alors qu’Antonius Ravental De Lanxorre hoche subrepticement le menton pour montrer son accord.

Puis je la prends.
Et je tente le tout pour le tout.

- Prior Incantato !

Saison 32
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De voir la main du Ministre s'avancer, accéder à ma demande, mon cœur s'embrase comme un feu de paille sur lequel on aurait craqué une allumette. Sa flamme grandit, grandit, espère qu'aucune rafale ne vienne éteindre ses nouvelles lueurs crépitantes. L'incendie menace mes mains de trembler, le feu en moi brûle de sa victoire toute proche... Faisant alors preuve de toute la délicatesse dont je suis capable, bien que l'impatience frise avec la peur dans mon regard, je me saisis de la baguette du sorcier quinquagénaire et révèle le dernier sort lancé par celle-ci.

Audaces fortuna juvat. Le risque paie cette fois et le spectre libéré de son étui boisé montre les caractéristiques du Maléfice du Mouton. Un peu de ma tension redescend, un masque d'impassibilité retombant sur les traits de mon visage, même si à l'intérieur de moi... j'exulte. Je rends alors sa précieuse au Ministre et regagne ma place tout en adressant à mon cousin une moue arrogante et fière.

- Toutes mes félicitations pour la réussite de cette première étape...

Merci.

J'écoute bien sûr la suite de ses propos, mais je suis d'ores et déjà galvanisée, excitée par ma réussite - par ses félicitations. Quelle est la suite ? Que fait-on ? Demandez-moi ce que vous voulez, Monsieur le Directeur. Loin de moi l'envie de terminer à quatre pattes devant les deux hommes (quoique la situation en dériderait plus d'un), je recentre rapidement mon attention sur l'énigme qui m'est destinée. M*erde, ça parle de créatures magiques... Mon point faible, je l'admets difficilement. S'il y a bien un cours que j’abhorrais à Poudlard, c'était celui de Soins aux Créatures Magiques... Une vraie plaie ! Et Blanchet... n'en parlons même pas. Dès lors que le chapitre sur les Botrucs fut passé, mon intérêt ballota un moment avant de partir en un decrescendo fatal.

Et voilà le retour du bâton. Tant d'années d'études, des nuits entières passées dans les bouquins à me piquer avec mes aiguilles de couture pour garder les yeux ouverts, des heures de recopiage et de recherches dans la bibliothèque tous les jours... Tout ça pour voir aujourd'hui mon cousin s'emparer du poste de mes rêves. C'est im-pen-sable. Une véhémence folle s'empare de moi, j'pourrais littéralement sauter sur lui, gratter son nom sur l'insigne et y écrire le mien.

Le brasero dans mes veines s'éteint peu à peu alors que ma mémoire tente de s'accrocher à chaque mot de l'énigme. Je lis un mot sur cinq. Puis une lettre sur cinq. Ca ne donne rien. Non vraiment, les SACM vont me coûter mon poste. Puis je me raccroche à la première phrase en désespoir de cause ; des poivrons y'en a toujours eu, de tous temps. Et des zones incartables...

- Poudlard, Azkaban, le Chemin de Traverse, l'île de Drear... je murmure tout en énumérant une liste apprise par coeur pour mes ASPICS.

Tiens, l'île de Drear ? J'ai un vague souvenir qui m'revient, celui d'une guerre entre deux clans sorciers sur l'île. Aucun survivant. Ou du moins aucun humain. Ne sont restées sur l'île que des créatures... "5" Des Quintapeds ! Le chiffre prend tout son sens, je sens la confiance regagner mon coeur. Finalement, pas besoin de ce foutu cours de Soins Aux Créatures Magiques, je pouvais toujours me reposer sur l'Histoire de la Magie pour me sortir de situations inextricables.

- Quintaped, je lance vaillamment en posant la main sur le plastron, sûre de moi.

Que le Ministère se prépare, j'arrive.

Saison 32
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L'avenir sur un morceau de papier, là, entre mes doigts, et il sera bientôt, là, sur ma poitrine. Solide et fièrement luisant de son succès. J'ai le cœur gonflé, un sourire fin qui se dessine d'un angle à l'autre de mes joues et les yeux brillants. Mon travail. Ma réussite. Ma récompense. Un chatouillement délicieux répand une chaleur pétillante dans mon ventre ; je sens la fierté monter comme la lave d'un volcan dans ma gorge. Je jette un oeil à Lïnwe pour en rajouter une couche. J'serai toujours là pour te casser les pieds, j'ai envie de lui dire mais les mots du directeur interrompent mes élans supérieurs. Sa voix est bien plus importante que celle de Lïnwe, compte plus que n'importe quelle annonce qui m'a été faite depuis ma naissance.

Cher Ministère, aujourd'hui tu gagnes l'une de tes plus ferventes alliées ; plus dévouée qu'une mère, plus forte qu'un bulldozer, plus ambitieuse que tout un escadron de politiciens véreux. Tu m'as acceptée là où les autres n'ont fait que me tolérer et je compte bien honorer la confiance que tu m'as donnée. Tu as les clés d'un pouvoir qui m'attire, la lumière derrière ta porte est une tentation très forte qui fait battre mes ailes et pulser mes artères. Tu auras besoin de moi autant que j’aurai besoin de toi : cette dépendance sera le prix de notre pacte, que tu le veuilles ou non.

Je repasse ma veste d’une main distraite, attrape comme un mannequin l’ourlet qui en fait l’ouverte et regarde les lèvres du Ministre comme s’il s’agissait de la corne d’abondance. Une mission en Italie ? Et une seule place. Une seule unique place pour deux candidats surmotivés, survoltés, qui déchaîneront les enfers pour se la procurer. C’est ni plus ni moins ce que j’attends de toi, cousin, que tu te battes contre moi. Encore. Tu sais si bien le faire... Car, vois-tu, je croquerai la première dans cette pomme que tend De Lanxorre, n’y laisserait même pas le moindre pépin pour toi. Cette place est la mienne.

- Merci Monsieur De Lanxorre. Vous pouvez bien entendu compter sur moi pour cette mission, je poursuis quand la porte du bureau se referme sur mon cousin. Je saurai me montrer digne de votre service si vous me permettez de joindre ce projet en Italie.

On dit qu’il faut apprendre à marcher avant de courir, mais moi je sais déjà voler.

Saison 32
Été

Les débuts sont toujours intenses ; les souvenirs s'inscrivent facilement et semblent rayonner d'une aura quasi mystique. Ils sont parmi ceux qu'on n'oubliera jamais, ceux qui s'inscrivent à vie, comme gravés pour toujours sur les pages de notre mémoire. Aujourd'hui était un début, aujourd'hui était un souvenir ; cette main que j'observe brièvement se poser sur mon épaule, ce regard figé dans l'acier qui l'accompagne et cette suite de mots, presque sentencieuse, que délivrent les lèvres abîmées du Ministre de la Justice Magique.

Une promesse. Un pacte. Un engagement.

Si je n'ignore pas que le pouvoir se gagne difficilement, je sais qu'il peut tout aussi facilement se perdre au moindre faux-pas. S'éloigner des sentiers battus peut s'avérer judicieux comme fatal ; et la brève pression des doigts de mon supérieur sur ma chair tendre n'en est qu'un court aperçu. Sa domination m'effrite un peu d'ailleurs, je sens que je la supporte mal ; mes ambitions pourraient aisément me détruire si je n'offrais aucune concession. Mais existe-t-il un fantasme plus puissant que celui d'épouser ses rêves ? Je parviens difficilement à contenir à cet appétit, pourtant il le faudra bien. Question de survie.

J'hoche enfin la tête pour signifier que j'ai bien compris. Toute vie a une fin. La sienne, la mienne. La sienne avant la mienne. Heureusement, la patience se cache dans mes boucles, j'apprendrai, j'étudierai, jusqu'au moment où le sablier aura fini de délivrer ses derniers grains.

- Bien sûr... Bonne journée Monsieur le Directeur.