Un week-end entre amies, peut-être des retrouvailles. Theya et moi avions décidé de nous rendre en Écosse le temps de quelques jours, le temps de passer un peu de temps ensemble. L’hiver n’avait pas été très simple, je n’avais pas vraiment eu l’envie de voir du monde, de la voir elle, pour ne pas qu’elle se retrouve pour la énième fois devant une Loredana qu’elle ne penserait pas heureuse. Elle avait beau tenter de prétendre le contraire, je savais pertinemment que l’ex Poufsouffle n’avait jamais réellement accepté qu’Arty fasse partie de ma vie. À vrai dire, on ne s’était pas montrés très convaincants, entre disputes, ruptures et décisions impulsives, l’image que l’on renvoyait pouvait paraître négative aux yeux des autres. Mais après un mois de silence total, Theya avait fait le premier pas, s’était décidée à passer outre toutes ces mauvaises décisions et à simplement soutenir sa meilleure amie dans sa vie. Elle savait que je n’étais pas toujours réfléchie, elle savait que nous étions différentes sur bien des points. Alors, nous avions sauté dans un train – transplanage interdit à cinq mois de grossesse – et étions parties. Laisser Arty n’était jamais facile, surtout en ce moment, mais ce séjour m’avait semblé nécessaire.

Une nuit d’insomnie, une envie soudaine d’une balade nocturne, en solitaire, comme ça ne m’était pas arrivée depuis bien longtemps. Il fait doux, une légère brise me caresse le visage, donnant cette impression de parvenir facilement à respirer. Je ne suis pas le genre de personne à apprécier le calme, la sérénité et tout le reste. Je me suis toujours considérée comme une fille explosive, en quête d’une liberté méritée après des années de maltraitance, emprisonnée entre les quatre murs de ma chambre. Je ne veux pas de cette vie pour mon enfant et je m’étais promis de tout faire pour lui donner ce que je n’avais pas reçu. Je serai sans doute très maladroite, ferai des erreurs, mais jamais elle ne manquera de quelque chose. Ma seule réelle peur ? Mourir durant l’accouchement, comme ma mère biologique. Ce n’était pas une maladie héréditaire non, mais pourquoi elle et pas moi ? Durant ces pensées à la fois heureuses et angoissées, je m’étais arrêtée, ne voulant pas aller trop loin pour ne pas me perdre. Je n’étais pas retournée en Écosse depuis mon premier voyage avec Arty. Mais c’était loin, bien loin d’ici, dans une forêt complètement déserte où nous nous étions effacés de la population durant quelques jours.

Cependant, je n’étais pas seule. L’étrange sensation qu’une présence se tenait non loin de moi. Pas manque, en tournant la tête derrière moi, une jeune femme était assise sur un banc, tentait probablement d’observer une mer calme, un paysage que je lui avais involontairement caché. Je me décale discrètement sans dire un mot avant de plisser les yeux. Elle me disait quelque chose, je l’avais déjà rencontrée. Néanmoins, j’étais incapable de remettre un nom dessus, peut-être que je ne le savais simplement pas. Une rencontre furtive dans un bar, une rue, ou peut-être à Barjow & Beurk. Est-ce qu’on se connaît ? Ma voix vient briser le silence, je n’étais pas vraiment le genre de personne à tergiverser. Me poser des questions ne faisait que blinder mon cerveau de choses inutiles. Autant ne pas s’encombrer et risquer l’explosion, espérant simplement que si première rencontre il y avait eu, que cette dernière ne se soit pas misérablement déroulée.

Il y avait quelque chose dans sa voix, une étincelle qui donnait envie de l'écouter, de faire d'elle autre chose qu'une simple cliente rencontrée par hasard. C'était peut-être pour cela que nous étions face à face aujourd'hui. Il fallait que quelque chose se passe, arrive, une chose qui n'avait pas eu lieu lors de la première rencontre. Évidemment, il n'était pas facile de se rendre compte de que le hasard ne l'était peut-être pas toujours, d'écouter la destiné, la suivre. Nous aurions pu ne jamais nous recroiser et pourtant, la simple sorcière qu'elle était se trouvait devant moi, à raconter des histoires sur cet endroit. Et si je ne m'étais pas aventurée ici par hasard ? Et si une force invisible m'avait poussée à sortir du lit pour venir jusqu'ici.

La conversation passe du banal à une toute autre forme qui m'intrigue davantage. Une chose qui avait fait partie de ma vie à plusieurs reprises et qui réapparaissait de temps à autre : le suicide. Mes tentatives étaient multiples, parfois juste pour m'amuser, d'autres fois parce que je n'attendais plus rien de la vie. Mais à chaque fois, il y avait eu quelqu'un pour me rattraper, me tendre la main ou me gifler pour me remettre sur le droit chemin. Certaines personnes parvenaient à guérir, à aimer de nouveau la vie et à la vouloir près de soi, accrochée, jusqu'à ce que le corps ne puissent plus avancer. Pour moi, c'était quelque chose de différent, de plus complexe, parce que ça relevait d'un trouble, une maladie comme aimait le dire les Médicomages moldus (non je n'ai toujours pas retenu leur véritable nom) ou un trouble de l'humeur pour ceux qui n'aimaient pas le mot "maladie". Quand à moi, je me qualifiais juste de tarée suicidaire de temps en temps, mais qui tentait de contrer ce trouble sans l'aide des moldus - pas une mince affaire, il fallait l'accorder. J'en ai beaucoup trop pour les énumérer...je dis ça simplement, en contemplant l'horizon éclairé par un croissant de lune parfait, parfois j'ai des images qui apparaissent dont je ne connais pas la provenance, je me tourne vers Historia, étrange non ? Comme si l'on m'envoyait les sombres pensées de chaque habitant du pays. Comme si j'étais la seule à être capable de les accumuler.

Je m'avance doucement, l'endroit était plaisant. Difficile de s'imaginer qu'une personne avait - ou avait failli - mis fin à ses jours juste ici. C'était une sorcière ? Elle y est parvenue ? Moi mon truc, c'est le vide, la hauteur et le vent qui me caresse le visage. Un seul mouvement en avant pour ressentir l'air frais durant la chute. Respirer à plein poumon avant l'arrêt brutal, final, douloureux aussi peut-être. Moi je n'ai jamais réussi.

Le vent de cette nuit printanière me fait frissonner, ou peut-être est-ce seulement la tournure que prend la conversation qui me picote l'épiderme. Une sensation à la fois agréable et douloureuse. Je replonge dans ces souvenirs d'un passé inquiétant, longtemps refoulé avant d'être regardé dans les yeux. Le suicide avait fait partie de ma vie durant des années, à regarder souffrir mes proches sans réagir, à les voir tenter de me remettre les idées en place sans jamais y arriver. Parfois, les blessures sont tellement profondes qu'elle ne peuvent pas cicatriser et même la personne la plus attentionnée au monde ne saurait remonter le moral. Avant de découvrir qu'il s'agissait surtout de crises dépressives, dû à un trouble psychologique évident. Mais au fond, trouble ou pas, le résultat était le même. On le vivait peut-être différemment. Et ainsi donc la personne avait réussi à échapper à cette vie. J'avais déjà tenté de lâcher prise lorsque la Mort m'avait tendu les bras, de l'accueillir et de ne plus m'accrocher à la vie. J'avais failli abandonner et longtemps on m'en avait voulu pour ça. En fait, on m'en voulait souvent pour ça. Je n'y pouvais rien, je n'y peux toujours rien. Seule ma petite graine dans le ventre assurait que je resterais en vie. Je ne voulais pas qu'iel en paye les conséquences.

Je ne réponds pas tout de suite à sa question. Difficile de savoir exactement la manière dont je m'y étais prise. Enfin, c'est surtout qu'il y a eu plusieurs tentatives. À chaque fois quelqu'un a estimé que ce n'était pas mon heure. Je lui fais face, l'air tout de même ailleurs, dans le vague, comme si je revivais tous ses moments dans ma tête, dans le moindre détail. En réalité, il n'y avait que des bribes de souvenirs de cette époque. La première fois j'ai fait une overdose, l'on se souvient de la Loredana adolescente et de ses addictions, les autres fois j'ai voulu voler sans ailes, par la fenêtre de mon appartement, ou en tombant d'un des nombreux toits londoniens, quelqu'un est toujours arrivé avant ou pendant ma chute. Et aujourd'hui, je me rends compte qu'ils avaient peut-être eu raison. Plongée dans ce passé douloureux, je n'ai pas tout de suite assimilé les paroles que la jeune femme avait prononcés. Je me retourne alors vers elle, les sourcils froncés, comme si la réalité de ses mots venaient de pénétrer dans mon cerveau. Efficace, mais vous vous êtes loupée, ou bien c'était autre chose, ou vous êtes un fantôme, c'est vous qui êtes morte ici et vous hantez les lieux. Il y avait beaucoup de possibilités à vrai dire, laquelle était la bonne ? La nuit prenait une tournure cauchemardesque qui me plaisait bien. La nouveauté, la prise de risque étaient ma dose d'adrénaline. La peur n'était que rarement ressentie, dû à mon manque d'instinct de survie.