Pour une conclusion. Avec Adonys
Nous vivons un désenchantement du monde, aurait dit Max Weber.
Perte de la magie, de l’émerveillement, de la croyance.
Perte du tout est possible.
On pourrait voir cette perte comme synonyme d’un étriquement, d’un renfermement. Angoisse indicible de ne plus être comme avant. De voir sa vie chamboulée à jamais. Anxiété inaudible face à la perte de contrôle. Le train qui déraille. On pourrait vouloir fermer les yeux -pour toujours. Pour ne pas constater l’effondrement de tout ce qui nous constituait.
Mais moi
Moi, j’y vois une opportunité.
Je veux y voir une possibilité -de tout recommencer.
J’ai survécu à tellement de choses.
J’ai accepté le passé, affronté les cauchemars aux regards hagards, combattu les démons aux crocs furibonds.
J’ai eu la possibilité de rebondir, réagir.
J’ai créé du neuf, me suis inclinée face au renouveau. J’ai souri, j’ai ri, j’ai enfin peint ma propre vie d’une couleur arc-en-ciel.
Je ne peux pas tout laisser maintenant.
Je refuse.
Je refuse.
Je ne fuirai pas le changement.
Je ne fermerai pas les yeux lâchement.
Comme je l’ai toujours fait, je me dresserai, j’affronterai, j’adapterai. La tête haute.
La nuit est tombée depuis un moment. Tout est calme. Les enfants dorment. Sumia a mis du temps avant de se calmer et accepter les bras de Morphée. C’est fou ce que ça peut être épuisant, un gosse. Je le savais. Je l’ai vécu -bon, seulement deux mois, mais c’était déjà beaucoup, Tim et Enzo étaient de vraies tornades dans nos vies. Mais on ne s’en rappelle jamais assez avant de le revivre. Les enfants de Lizzie ont, eux aussi, trouvé le sommeil. Ca ne doit pas être toujours facile pour eux. Même si, avec Adonys, on fait de notre mieux. Pour alléger le poids de la perte d’une mère.
Assise sur une chaise, dehors, je profite de l’air frais nocturne.
Les étoiles brillent. Scintillent, chantonnent.
Je souris.
Elles sont belles. Rassurantes.
Qu’importe ce que deviendra le monde, elles seront toujours là. Je pourrai toujours m’y accrocher.
D’une façon mécanique, je fais tourner mon anneau autour de mon doigt. Cette bague, que je continue de porter alors qu’elle ne signifie plus rien. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas encore eu le courage de m’en séparer.
Mon regard passe des soeurs étoiles à l’alliance.
Inspire. L’air frais.
Le monde change.
Expire. Exhale.
Moi aussi.
J’ai décidé.
De changer.
Penser aux présents plutôt qu’aux absents. M’ancrer à nouveau dans la réalité du moment.
Je songe à Adonys. Qui est toujours là. Avec qui j’ai fait un bout de chemin. Avec qui j’espère aller encore loin.
Je ferme les yeux. Un instant.
J’entends mon coeur battre, résonner dans ma tête.
Demain, dès l’aube
Nouvelle journée, nouvelle destinée.
Nouer le renouveau. Dire oui au futur. Saluer les fantômes. Les laisser derrière soi.
Je ne les hais pas, ne les méprise pas.
Ils m’ont beaucoup accompagnée. M’ont servie autant que desservie. J’ai, pour eux, une profonde affection. Mais il est temps de tourner la page. Et regarder pleinement devant moi.
Je suis en train de trouver une nouvelle stabilité. Je ne peux m’y accrocher si je continue de faire quelques pas en arrière pour regarder les spectres.
Je ne pourrai apporter le meilleure à ma fille si je suis toujours hantée par mes regrets.
Je me lève.
Fais quelques pas dans le jardin.
Me tourne vers la maison, plongée dans le noir.
Ce terrain, ce toit, acquis ensemble avec Adonys. Premières pierres de l’édifice de notre nouvelle vie. Je veux vivre ici. Avec lui. Avec eux. A jamais.
Je tourne le dos à la maison, scrute l’obscurité du jardin. Des arbres, dont les feuilles bruissent sous la douce caresse du vent. D’un côté, la route de campagne, peu fréquentée. De l’autre côté, une pente légère qui mène à une rivière. D’un pas assuré, je vais dans cette direction.
Les étoiles se reflètent dans l’eau mouvante. On pourrait les toucher, les pêcher.
Je retire la bague de mon annulaire gauche.
Inspire. Expire.
Les images défilent. Les noms s’empilent.
Fantômes du passé.
D’un geste précis et déterminé, je jette l’alliance dans le cours d’eau. Avec l’obscurité, je la vois à peine rencontrer les flots.
Asclépius Lizzie Malena Peter Rachel Ellana Leo Super-Carotte Frère Etoilé Arty Elias-Mokeur
Tant d’autres encore.
Les âmes que j’ai croisées. Avec qui j’ai dansé sur le fil de la vie. Je les ai aimées. Certaines se sont évaporées. D’autres, peut-être, recroiseront ma destinée. Fantômes du passé.
Tout en contemplant la rivière qui a emporté mon anneau -et, avec lui, les promesses passées non-tenues- je songe à ma vie, à la Cause que j’ai défendue pendant tant d’années. Les Mangemorts, avec lesquels je me suis alliée.
Désenchantement du monde veut dire plus besoin de se cacher. Certes, s’adapter. Mais plus différenciés. Libérés. Etre comme les autres. Apprendre à vivre ensemble. Peut-être qu’elle était là, la solution. Que la magie s’évapore, peu à peu. Les premiers temps seront difficiles. Mais. On y fera face.
Sourire aux lèvres, je me laisse tomber dans l’herbe humide de nuit. Bras en croix, jambes écartée, étoile de mer de jardin.
-On va rebondir. Et tout ira mieux.
Je prononce ces phrases pour moi, pour eux, pour la nuit.
J’ai envie de dire à Adonys : je suis pleinement prête. Entièrement prête. A tourner toutes ces nouvelles pages avec toi. Sans nous interrompre à chaque fois pour regarder vers le passé.
-Je suis prête à vivre le présent avec toi.