Opération spéciale

Je suis la mère lionne qui pousse son enfant vers l'autre pour le persuader de sa fiabilité, de la bonté de ses intentions, de l'extrémité de ses qualités. Et lui, lui il est pas réveillé. Je viens de faire les introductions, tout ce qu'il trouve à dire c'est répéter son prénom ? Sérieusement ? Mon oeil s'arrondit, mais je me reprends vite. Je ne veux pas inciter les Mangemorts à se former une mauvaise opinion de mon protégé. C'est juste le stress qui le rend moins perspicace que d'ordinaire.

Le masqué ne tique pas longtemps sur cette question ; son attention se porte rapidement sur la véritable problématique de l'entretien. Ce qu'il est capable de faire pour la cause. Il m'a assuré être prêt à se sacrifier pour elle, et je suppose que c'est un voeu qu'il renouvellera. Mais je peux attester d'une autre forme de ses capacités.

— Je crois qu'il y a peu de chose qu'il ne ferait pas pour l'Ordre. Et ses potentialités sont peu communes pour son âge…

Le Mangemort s'avance et poursuit son interrogatoire. J'ai l'impression d'avoir soumis un artefact à l'examen d'un expert, ou un enfant à un médicomage, quelque chose de ce goût-là. On sent en tout cas à la fois l'importance de l'affection et de l'attention que j'accorde à Jace et la confiance que je place en ce Mangemort en lui présentant, lui offrant le jeune homme.

Après tout, il pourrait décider de le tuer, aussi, pour des raisons qui m'échapperaient. Quand on apprécie quelqu'un, il n'est pas tout à fait fréquent de l'introduire aux Mangemorts. Mais comme je le disais tantôt, rien n'est commun quand il s'agit de Jace… J'ai foi en lui, et je ne crois pas qu'il nous décevra. Je me demande s'il répondra par les mots ou la magie pour attester de ses intentions, et mille scénarios fourmillent en mon esprit alors que j'imagine sa réponse.

Cette ombre me dit que qu'il sait déjà qui je suis, hmm... Une envie de lui dire « Je me doute bien mais je pensais que ça ce serait plus respectueux que je me présente moi-même sans intermédiaire.» Mais je me tais, je laisse le silence et cette personne continuer sur sa lancé et ses questions. Je vois sa forme humanoïde s'approcher de moi et il n'est pas nécessaire je pense à supposer qu'elle me juge du regard. Et enfin elle me demande les questions auxquelles je me suis préparé depuis deux longues années à répondre.
J'ouvre la bouche mais j'entends Lizzie parler dans mon dos, je tourne doucement la tête vers elle avec un sourire.

-Merci Lizzie, mais je peux répondre moi-même tu sais. Je vais dire exactement ce que je t'ai dis dans ton bureau il y a quelques temps.

Je tourne de nouveau ma tête pour me retrouver face à cette Ombre.

-La « Cause » est pour moi un idéal, un but et un objectif à atteindre. « Celui qui désire, mais n'agit point, engendre la peste. » Et ce n'est pas mon cas loin de là, je désire faire avancer ce pourquoi vous et vos frères et sœurs d'armes vous vous battez. Je ne désire pas rester un remplaçant, je veux être actif et ouvrir les yeux de ses sorciers aveuglés par les dogmes de notre Ministère. Nous sommes des sorciers et nous devons refuser de baisser la tête et de nous cacher quand il y a des moldus dans les parages.

Je soupir fermant un instant les yeux avant de les rouvrir.

-Concernant ce que je suis prêt à faire pour elle. Eh bien je dirais que je ferais tout, tout ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la Cause. Et ceux qui ne sont pas avec vous alors ils sont contre vous... Et qu'importe ce qui leurs arrive ils auront choisi le mauvais camps à défendre. Mais aussi l'un de vos confrères m'a dit un jour : « Le doute, c'est le pire ennemi des convictions. Cela n'a pas sa place au moment de brandir ses idéaux. » Je m’efforce d’exécuter ce qu'il m'a dit ce jour-là et je ne perdrais certainement pas ma foi en cette cause.

C’est d’abord Bennet qui s’exprime. Et tu la laisses faire, puisqu’il s’agit d’elle. Comme si, lorsque cela émanait d’elle il y avait une sorte de silence religieux qui s’inscrivait. Pour lui permettre de s’exprimer. N’importe qui aurait répondu à la place du gamin se serait fait remettre à sa place. Mais l s’agissait d’une partisane comme tu en avais rarement vu auparavant. Elle avait donc tout à fait mérité le droit de parler. Surtout que tu étais là sur sa demande. Alors tu écoutes mais ne réponds rien. C’est le gamin désormais, qui s’exprime. Et lui se permet de reprendre Bennet sur sa capacité à répondre par lui-même. Un sifflement courroucé s’extirpe du masque. Pour qui se prend-t-il pour la remettre ainsi en place ? Tu trouves cela irrespectueux mais tu t’obliges à écouter la suite de son discours.

Des mots trop de fois entendus, tu avais besoin d’autre chose. Il fallait voir plus loin. Quelques propos qui te font tiquer. Tu lèves la main, symbole d’un « Ca suffit » qui ne sortira pourtant pas du masque. Des citations d’autres Mangemorts, des propos récupérés ça et là, rien qui ne vienne de ses tripes au final. Soupir déçu alors que ton regard se tourne vers Bennet « Est-ce vraiment pour lui que vous m’avez demandé de venir Miss Bennet ? ». Voix froide et blanche, loin de celle que tu lui réserves habituellement.

Le regard retombe sur le garçonnet, à peine né et il voudrait déjà marché dans les pas des plus grands mages noirs. Aucun adolescent n’a conscience de la peine, des douleurs, de la souffrance qu’engendre le port du Masque, la Cause. Des sacrifices qui sont faits au nom de cette dernière. « Il y a là du vrai, mais il y a surtout au fond de votre discours un gout de déjà-vu nauséabond ». Le dosage des mots est important. « Vous ne faites que me servir ce qu’on vous a dit et redit un certain nombre de fois. Je dois avouer que je suis profondément déçu. Je m’attendais à beaucoup mieux de votre part ». Le regard glisse sur Bennet à nouveau, difficile de savoir à qui tu t’adresses. Si c’est au gamin qui n’est qu’un caillou dans la chaussure, ou si c’est à Bennet qui elle n’a rien d’un caillou.

Une pause alors que tes prunelles alternent. Du gamin à l’élite. Soupire qui s’extirpe alors que tu lui laisses une ultime chance de se défendre. « Il n’y a pas de remplaçant au sein de la Cause. Tous ceux qui font le choix de nous rejoindre, qu’ils portent ou non le masque, ont leur utilité. Voyez ça comme une grande partie d’échec. Chaque pièce à son importance, de la plus petite à la plus grande ». Du vulgaire pion au plus grand des rois, toutes et tous vous œuvriez dans le même but, dans un sens commun.

Il me coupe, indiquant préférer répondre ce qu’il avait dit à l’époque. Cela risque de bloquer s’il s’y prend ainsi ; ses mots étaient alors trop ronds. C’était pas dramatique hein, juste prévisible. Je sais pas, je crois qu’à mes yeux il aurait fallu insister sur sa progression depuis, ses talents moins communs... Je hoche la tête, pourtant ; il a raison, c’est à lui de le convaincre. Je ne sers que d’intermédiaire, quoique du fond du coeur j’espère qu’il parvienne à séduire l’esprit du Mangemort.

Je sens rapidement qu’il n’en sera rien. Son regard, ses doigts, tout est sans appel. On ne passe pas par la case « je retiens mon jugement », on ne touche pas 200 gallions, non on va directement à « ma sentence est sans appel » Si on continue dans cette direction, le petit est cuit. Etait-il trop tôt pour le présenter à l’Ordre ? Aurait-il fallu passer plus de temps à le préparer ? Ou a-t-il, justement, déjà passé trop de temps avec d’autres, de sorte qu’il s’est collé leurs mots sur la bouche et ne sait plus parler avec ses termes à lui ?

Le verdict tombe, et ne semble pas très favorable au jeune homme. Ni à ma face, d’ailleurs, et l’envie de me ratatiner les épaules est très présente. Je ne m’y soumets point, cependant ; je veux être solide et défendre mon point de vue. Ma confiance en Jace. Je ne crois pas m’être trompée de poulain, non... Et s’il me coûte d’entendre une voix suintant la déception, voire le mépris, je ne compte pas m’arrêter là.

— Aux échecs, si c’est vers cette image que nous nous tournons, chaque pièce a aussi sa spécialité. Toutes n’ont pas la possibilité d’aller dans les mêmes directions ; une même langue, parlée dans des contrées éloignées, peut parfois sonner comme une erreur de traduction. Sa façon de présenter la chose ne vous touche pas, vous semble trop commune, soit.
Les différences artistiques, c'est plus fréquent et fatal qu'on veut bien le croire. Mon oeil valide se vrille dans le trou noir du masque, cherchant le regard que le jeu d’ombre dissimule.

— Mais s’il vous plait, ne le jugez pas trop hâtivement... La première fois que lui et moi avons discuté du secret magique, la toute première, il avait déjà démasqué Tara. C’est rare, même chez les partisans... Il a de vraies qualités d’observation et d’intuition. Et en potions, aussi ; une suggestion de sa part m’avait permis de concrétiser la potion d’Effet Fantôme. Je suis convaincue que si vous exploriez le reste de ses capacités, vous n’en seriez pas déçu.