Luna remercia Spencer d’un regard et s’engouffra dans la volière pour choisir un hibou. Sa lettre envoyée, elle resta un instant planté devant la fenêtre à le regarder s’éloigner, et Spencer se demanda si elle allait finalement lui répondre. Ses doigts martelaient la rambarde avec nervosité ; devait-il attendre qu’elle se souvienne de sa présence, ou partir sans demander son reste ?

« Je suis née en Égypte en fait », finit-elle par déclarer. « Et je suis arrivée en France il y a sept ans. Je suis une sang-mêlée. J'ai passé mes sept premières années dans l'ignorance de mes pouvoirs : je vivais avec mon père, il est moldu. Ce n'est qu'à mon déménagement que j'ai rencontré ma mère. Elle m'a tout expliqué sur le monde magique. J'étais si contente ! »

Bien plus d’informations que Spencer s’attendait à obtenir de la jeune fille. Des origines égyptiennes ? Voilà qui n’était pas commun. Une foule de questions se pressa dans l’esprit du garçon. Comment était la vie là-bas ? Y avait-il des sorciers ? Un ministère égyptien ? D’étranges créatures qui n’existaient pas en Europe ? Luna ne pourrait sans doute pas le savoir, si elle avait vécu dans l’ignorance de sa magie sept ans durant. Le mystère resterait entier. Il était aussi intrigué par l’histoire de la Serdaigle. Comment se faisait-il qu’elle ne connaissait pas du tout sa mère avant d’arriver en Angleterre ? Il était rare que l’on dissimule à son enfant l’existence d’un parent, surtout s’il s’agissait de quelqu’un de très proche. Le père de Luna devait avoir ses raisons, sans doute. Mais alors pourquoi avait-elle finalement déménagé et rencontré sa mère ? Il n’eut pas l’occasion de poser ses questions, car la jeune fille recommença à parler.

« Et toi ? D'où viens-tu ? C'est vraiment une super école Poudlard tu ne trouves pas ? Et puis je suis tellement contente d'être à Serdaigle ! C'est vraiment une belle maison ! J'ai acheté ma baguette il y a peu, bois de noyer, patte de lapin géant, 35.7 cm ! C'est super ! Et toi, elle est comment ta baguette ? »

Le flot de paroles qui sortait de cette fille était impressionnant. Elle était fébrile, apparemment peu habituée à dialoguer avec qui que ce soit. Elle semblait de plus surprise elle-même par ce qui sortait de sa bouche, comme si elle n’avait aucun contrôle sur ce qu’elle disait ou non. Spencer haussa un sourcil amusé.

« Eh bien… Je viens d’Angleterre, tout bêtement. De Amesbury plus exactement. Quant à Poudlard, disons que six ans d’études font passer l’exaltation de la première fois qu’on y met les pieds. »

Il s’assied sur la rambarde dans un équilibre précaire, n’aimant pas faire la conversation debout.

« Serdaigle est une excellente maison, mais ses membres manquent parfois d’audace. On passe notre temps dans les livres, parce qu’on nous a collé l’étiquette de gens faits uniquement pour le travail. Je me dis parfois que ce système de maisons n’est pas exactement ce que les fondateurs ont fait de mieux. »

Spencer passa un bras lasse sur sa nuque et se souvint des dernières paroles de Luna. L’enthousiasme dont elle faisait preuve concernant l’école, ou sa baguette magique, était amusant.

« Et ma baguette… », fit-il en sortant l’objet de la poche arrière de son uniforme, « est en noyer me semble t-il. Bave de sombral, environ de dix-neuf centimètres. »

Il grimaça en nommant le coeur de sa baguette. Sans doute que la moue dépitée qu’il avait tiré au comptoir d’Ollivanders avait inspiré la vendeuse. Au moins fonctionnait-elle bien. Il la remis dans sa poche et porta un regard curieux sur Luna.

« Sais-tu s’il existe d’autres genre de sorciers en Égypte ? Ou d’autres créatures que l’on n’aurait pas ici, en Angleterre ? » demanda t-il avec un intérêt sincère.

Spencer n’osa pas poser de questions sur le déménagement impromptu de Luna lorsqu’elle avait sept ans. Les affaires de famille étaient personnelles. Il avait bien retenu la leçon avec Heather l’autre jour.

La tête baissée, les joues rougies, Luna était perdu depuis quelques secondes dans la contemplation de ses chaussures. Bon, peut-être que Spencer avait mal choisit sa question finalement. Il se gratta distraitement le haut du crâne, cherchant quelque chose à dire pour sortir la Serdaigle de son mutisme. Il remarqua alors avec horreur que la jeune fille s’était mise à pleurer, et il se maudit intérieurement. Il avait un don pour mettre les gens mal à l’aise, et ce même quand il essayait d’être agréable !

« Je… je... Je ne sais pas... Je ne connaissais pas l’existence de la magie à l'époque... Je sais qu'il y a des dragons... Quand je serai grande, je veux m'occuper de ces créatures dans mon pays... Des hippogriffes aussi... Mais je ne sais pas si... S'il y a d'autres créatures ou d'autres genres de sorciers... Probablement mais... Je ne pourrais pas t'apprendre grand chose désolé... »

« Oh, c’est rien, j’ai posé cette question par pure curiosité ! Ce doit être fantastique de s’occuper de dragons… Même d’hippogriffes… Tu aimes les créatures magiques je suppose », répondit Spencer sur un ton enjoué, désireux de voir Luna se remettre d’aplomb.

La Serdaigle sécha finalement ses larmes, et Spencer vit ses poings se serrer, comme si elle menait un combat intérieur.

« Mais qu’importe ! C’est du passé ! » dit-elle en accompagnant ses paroles d’un revers de la main. « Et toi ? Quels sont tes ambitions pour l’avenir ? »

Elle avait à présent un sourire rayonnant, et Spencer resta interloqué. Cette fille était tellement étrange ! On aurait dit qu’elle se perdait elle-même dans ses émotions. Timidité, emportement enthousiaste, tristesse, joie, elle venait en moins de cinq minutes de montrer plusieurs faces d’elle-même. C’était impressionnant, étrange, et déroutant. Les gens avaient habituellement une ligne de conduite bien précise, qui permettait à Spencer de décrypter leur mode de vie, certaines parties de leur histoire. Luna avait quelque chose de volatile et de constant renouveau.

« Mes ambitions pour l’avenir ? »

Réfléchissant, il baissa la tête et tomba sur deux chaussures dépareillées. Oui, Luna était vraiment étrange. Il fit mine de rien, releva la tête et adressa à la Serdaigle un regard enthousiaste.

« Voyager… Découvrir le monde autrement qu’à travers les pages d’un livre… Je voudrais revisiter l’histoire du monde sorcier… »

Alexander, son beau-père était archéologue. Spencer avait bien souvent de longues discussions avec lui sur l’histoire et les richesses qu’elle renfermait. Il y avait toujours des choses nouvelles à découvrir, des secrets à déterrer. Spencer voulait être comme un archéologue, mais du côté sorcier. Creuser l’histoire de la magie et en découvrir de nouvelles facettes.

« L’histoire est l’une de mes matières favorites, ici, à Poudlard. Elle est en constant changement, c’est ce qui la rend si fascinante. Je ne sais pas quel travail je pourrais trouver qui me permettrait de faire ce que je veux… »

Spencer ne deviendrait en tous cas jamais professeur, c’était une certitude. Il n’aurait aucune patience avec les élèves, et se sentirait trop à l’étroit dans une salle de classe.

« Et toi alors, tu dis que tu veux t’occuper de créatures magiques, de dragons, d’hippogriffes ? Tu n’as pas vraiment la carrure d’une dresseuse de dragon, sans vouloir te vexer ! »

La remarque était dite avec le sourire ; Spencer se demandait sérieusement s’y prendrait Luna avec quelque créature dangereuse que ce soit. Imaginer la fluette jeune fille aux prises avec un Magyar à Pointes semblait absurde. Sans doute Luna était-elle plus à l’aise avec les animaux qu’avec les humains…

En réponse à Spencer, Luna éclata de rire.

« Oui, en effet ! Je n'ai pas vraiment l'air de pouvoir m'occuper de dragons... Non, rectification, je n'ai pas du tout l'air de pouvoir m'occuper de dragons ! »

Le Serdaigle la suivit dans son hilarité, soulagé qu’elle n’ait pas mal prit sa question. Elle redevint soudainement sérieuse.

« Mais... N'existe-t-il pas un dicton qui dit de ne pas se fier aux apparences ? Et puis... C'est la détermination qui compte, non ? J'ai toujours voulu faire ça, et je m'entraîne dur si tu veux savoir... »

Spencer sourit spontanément.

« Je te crois, et je suis certain que ce dicton est on ne peut plus fondé. Si on veut quelque chose, on se donne les moyens de le faire, et alors on y arrive. »

« Enfin. Tu dis que tu veux voyager. Ou précisément ? Partout j'imagine ! »

Elle ponctua sa phrase d’un nouvel éclat de rire. Elle avait complètement raison. Spencer voulait aller partout où il était possible d’aller.

« Partout, c’est exactement ça », répondit-il en écartant les bras pour désigner le monde entier.

« Non, sérieusement, moi aussi j'aimerai bien voyager... Mais je crois qu'une toute autre destinée m’attend... »

Son regard se perdit dans le vague, et Spencer pencha la tête, intrigué.

« Quelle genre de destinée ? » demanda t-il avec curiosité. « Si tu as envie de voyager, tu le feras, destinée ou non, tu ne crois pas ? »

« Et au fait, il faudrait songer à rentrer ! J'ai deux-trois trucs à finir au niveau de mes devoirs... »

Ils avaient quasiment parlé en même temps. Pris au dépourvu, Spencer releva brusquement la tête.

« Oh ! Bien sûr, aucun problème ! J’ai un truc à faire aussi de toute façon. Tu n’auras qu’à me répondre sur le chemin de la Salle Commune, après je te laisserais aller travailler », finit-il en descendant de la rambarde.

Il s’engagea dans l’escalier, attendant que Luna développe son histoire de destinée.

La question de Spencer avait plongé Luna dans une réflexion intensive, et elle ne répondit qu’au bout de plusieurs secondes.

« Non, fais comme si je n’avais rien dit. C’est… compliqué. » demanda t-il avec curiosité. « En fait... J’ai une sorte de… de… don… et… non. Laisses tomber. On va juste dire que je préfère m’occuper des créatures magiques. »

Le garçon haussa un sourcil, intrigué. Mais avant qu’il ne cherche à creuser la question, la jeune sorcière embraya sur un autre sujet.

« Tu aimes bien le Quidditch ? C'est un sport fascinant, je trouve ! Bien mieux que le football des moldus. Oh, mais tu ne dois pas savoir ce que c’est, excuses-moi… J’aimerais bien jouer un jour dans l’équipe de Serdaigle… Mais je ne suis pas sûre que j’oserai me présenter… »

Ils arrivaient bientôt au bout du couloir, et Spencer se doutait que la jeune sorcière le quitterait dès qu’ils seraient à la Salle Commune. S’il voulait en savoir plus sur Luna, il fallait qu’il la questionne dès maintenant.

« Je connais le football en fait. Ma mère est une moldu, alors… Mais je n’aime pas vraiment. Le Quidditch a quelque chose de spectaculaire par contre, mais je ne me verrais pas dans l’équipe. Je ne suis pas un grand sportif. Mais toi, si tu t’en sens l’envie, tu devrais te présenter ! A moins que ton histoire de don t’en empêche aussi… »

La curiosité du bleu et bronze s’était réveillée, et il voulait absolument savoir de quoi il en retournait à présent.

« Qu’est-ce que c’est Luna, ce don que tu viens d’évoquer ? Quel rapport avec les créatures magiques ? »

Il arrêta de marcher car ils venaient d’arriver devant la tour. L’Aigle allait bientôt poser son énigme, et Luna partir travailler. Le garçon espéra qu’elle prendrait le temps de lui répondre avant de s’en aller.

A la grande satisfaction de Spencer, Luna n’esquissa pas un mouvement vers la Salle Commune. Elle ne semblait toutefois pas à son aise, et il lui adressa un sourire amical pour l’encourager à parler.

« Bon, je pense que tu as bien droit à quelques explications… Je m’en suis aperçu, euh… Je ne sais plus trop quand en fait… Mais… Je crois que ma mère avait le même don que moi, mais elle ne me l’a jamais dit… Et moi non plus en fait… »

Spencer était suspendu aux lèvres de la Serdaigle à présent. Elle semblait peiner à s’expliquer, mais le garçon s’en fichait pas mal. S’il la bousculait, elle cesserait sans doute de parler, et il n’aurait jamais le fin mot de l’histoire.

« Je ne sais pas comment ça s’appelle vu que je n’en ai jamais parlé à personne, mais je peux voir disons… différents chemins de ma vie. C'est comme si j'avais accès à mon futur. Et crois-moi, c'est complexe ! »

Maintenant qu’elle avait dit le principal, Luna semblait avoir plus de faciliter à s’exprimer. Spencer hochait la tête de temps à autres, mille questions se bousculant dans son esprit. Il attendit toutefois patiemment qu’elle termine.

« Je peux voir toutes sortes de routes qui mène à… à différentes… choses… Mais en tout cas tu dois savoir que je ne vois pas vraiment l’avenir, c’est un peu sous forme de flash… Le rapport avec les créatures magiques c'est que j'ai vu que je me plairais beaucoup mieux avec les dragons et tout ça qu'en voyageant. Que ça me correspondait mieux. Mais, après tout, rien ne m’empêche de voyager quand même ! »

Tandis que Luna repartait sur le Quidditch, Spencer se gratta l’arrière du crâne. Il était, pour sûr, très étonné de la révélation de Luna. Des flashs ? Le garçon aimait les histoires de voyages dans le temps, s’en passionnait. Il aimait moins la divination, qu’il trouvait trop abstraites, trop mystique. Mais le don de Luna était un étrange mélange des deux. Était-ce comme si elle voyageait par intermittence dans son futur, sans s’en rendre compte ? Était-ce lié à un style bien particulier de magie ? Cette fille avait quelque chose de spécial, il en était sûr quelques minutes plus tôt, et il venait d’en avoir la certitude. Tout le monde n’avait pas cette capacité à voir des flashs de son avenir, si courts soient-ils.

« C’est un don… spécial. Comme toi. Tu es une fille spéciale avec un don spécial. Comment ça se passe, tu as ces flashs quand tu dors ? Ou en pleine journée ? »

Si Luna voyait des bribes de sa vie alors qu’elle était éveillée et bien consciente, ça expliquait qu’elle porte deux chaussures dépareillées, son tee-shirt à l’envers, ou son comportement lointain.

« Je suis étonné que tu n’en ai parlé à personne mais que tu me le dises. Je trouve que c’est un don fabuleux ! Et je suis certain qu’il va grandir, qu’il te sera très utile plus tard. Si ça se trouve, il l’est déjà… ? D’ailleurs, tu dis que tu tiens ça de ta mère. T’as t-elle expliqué d’où ça venait ? Et à quoi ça peut lui servir à elle ? »

Sa curiosité était parfois mal placée, et il ne voulait pas noyer Luna sous un flot de questions, aussi Spencer se tut. Il ne voyait pas vraiment le rapport avec les dragons, ni ce que ce don pouvait prédestiner la Serdaigle. Peut-être qu’elle-même ne le savait pas. Ce devait être étrange d’être la seule personne de l’école à avoir une telle capacité. Y en avait-il d’autres, qui comme Luna ne voulait en parler à personne ? Spencer s’appuya contre le mur, attendant des réponses.

Luna avait l’air d’aller mieux depuis que Spencer avait commencé à poser ses questions. Soulagée. Ce n’était pas étonnant, si elle n’avait véritablement jamais parlé à quiconque de sa capacité exceptionnelle.

« Mes flashs arrivent notamment le jour. La nuit, c'est encore plus compliqué. Je fais des sortes de rêves prémonitoires… Sauf que je ne remarque pas que ce sont des rêves prémonitoires car ils sont présentés sous forme de rêves normaux… C'est uniquement lorsque mes rêves se réalisent que je comprends. Mais comment distinguer ces deux formes de rêves s'ils sont identiques ? »

Effectivement, ça posait problème. Spencer se gratta distraitement le front. Peut-être qu’il y avait un moyen après tout ? Les rêves avaient généralement leur part d’étrangeté, et on pouvait, si on se concentrait véritablement, déceler des anomalies dans leur structure, leur déroulement. Des anomalies qui nous permettaient de savoir que l’on rêvait. Pour une prémonition, les faits devaient être réel, et il ne devait pas y avoir d’anomalie ! Pas de monceau d’inconscient de Luna ! Si la Serdaigle apprenait à chercher ces anomalies, elle saurait à coup sûr si elle avait une prémonition, ou si elle était en train de rêver…

«  … Je n’en ai jamais parlé à ma mère. Je sais que je le tiens d’elle car… je le sais. Je le sais comme je sais certaines choses sur mes futurs possibles. Impossible d'expliquer comment je le sais mais je le sais. C'est compliqué, hein ? Connais-tu d'autres personnes qui auraient un don semblable ? »

Spencer secoua la tête à la négative. Luna semblait pleine d’espoir, et il était désolé de ne pas pouvoir lui dire que oui, il connaissait des gens comme elle avec lesquels elle aurait pu discuter. Il vit la jeune fille baisser les yeux et éclater d’un rire léger. Suivant son regard, il tomba sur deux chaussettes dépareillées. Il sourit, amusé. Au moins elle était toujours de bonne humeur.

« Puisque tu sais que tu tiens ça de ta mère, pourquoi n’essayes-tu pas de lui en parler ? Elle devrait comprendre, et elle t’aiderait sans doute, non ? Enfin, je ne vais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Pour ce qui est de tes flashs de nuit, j’aurais peut-être une solution. Enfin, un début de solution. Un moyen de faire la part entre le rêve et la prémonition. Mais ça peu prendre du temps, et je ne sais pas si ça marcherait… »

Le flot de questions et d’informations sembla bousculer Luna, et Spencer la vit se fermer légèrement.

« Écoutes… Je sais que tu tiens à en savoir plus mais je commence à me sentir un peu mal… Et si on entrait ? » Demanda-t-elle en désignant l’Aigle. « Tu as raison toutefois, je devrais en parler à ma mère... Je vais lui envoyer une lettre lorsqu'elle m'aura répondu. Elle pourra peut-être m'aider ! Si tu le souhaites, je pourrais te renseigner sur l’avancement de mes recherches ! »

Spencer hocha vivement la tête. Il esquissa un pas vers l’Aigle quand soudain la Serdaigle sembla finalement se souvenir de la proposition du garçon et ils s’arrêtèrent net.

« Mais attends ! Tu dis que tu as une idée pour différencier les rêves prémonitoires et ceux qui ne le sont pas ! Même si tu n'es pas sur que ça marcherait, dis-le moi ! J'essaierai ! »

Le sorcier ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Luna le regardait étrangement. Ses yeux vitreux fixaient un point très lointain, et ses cheveux lévitaient à quelques millimètres de ses épaules.

« Luna ! »

Il la prit par les épaules, mais elle n’eut aucune réaction. L’instant d’après, elle tombait, et Spencer accompagna son mouvement pour lui éviter de se faire mal. Accroupit près de la sorcière, il la regardait avec inquiétude.

« Est-ce que ça va ? Tu viens d’avoir un flash c’est ça ? Attends, tiens… »

Il sortit de sa poche une barre de céréale qu’il avait gardé du déjeuner et la lui tendit. Peut-être avait-elle besoin de manger. Il s’obligea à éviter les questions. Luna n’était pas en état de répondre. Pourtant il voulait savoir. Qu’avait-elle vu ? Était-ce grave ? Est-ce que ça allait arriver bientôt ?

« Est-ce que tu veux rentrer dans la Salle Commune ou attendre un peu ici ? »

Spencer se demanda si ça lui arrivait souvent. Que se passerait-il si elle avait un flash en plein cours de vol ? Elle s’écraserait par terre ? C’était une capacité merveilleuse, mais apparemment dangereuse. Il se massa les tempes. Elle lui avait fait une belle frayeur.

Luna remercia Spencer d’un regard avant de s’emparer de la barre de céréale. Le garçon prit son mal en patience tandis que la jeune fille reprenait ses esprits.

« Entrons dans la Salle Commune », finit t-elle par murmurer.

Le Serdaigle aida Luna à se relever avant de se tourner vers l’Aigle.

« Un oui ou un non les séparent, qui sont-elles ? »

« Les lèvres » répondit Spencer en soupirant.

Trois fois qu’il tombait sur cette question. C’était frustrant. Il s’engouffra par l’ouverture, suivit d’une Luna quelque peu chancelante. Elle s’affala dans un fauteuil, et il l’imita rapidement, son regard ne quittant pas la jeune fille.

« C'est en partie pour ça que j'ai peur de me présenter pour le Quidditch. Tu comprends… Si je tombes en plein vol… C’est pour ça que tu as raison, qu’il faut que j’en parle absolument à ma mère… »

Spencer hocha gravement la tête. Avec un peu de chance, sa mère avait trouvé le moyen de contrôler sa capacité, à prévoir les flash et ainsi à éviter les incidents. Surtout, elle avait peut-être trouver l’utilité de ce don. La meilleure des solutions était que Luna écrive à sa mère. Et le plus rapidement possible.

« Je viens d’avoir deux flash, expliqua la Serdaigle. Dans le premier… Je pleurais sur la tombe de ma… mère. Dans le deuxième, j'étais à un dîner de famille et je parlais joyeusement avec ma mère. Je devais avoir 25 ans dans les deux. Peut-être… Je pense que… Je viens de voir deux chemins de ma vie… Je pense que cela me montrait peut-être… Ah ! Je n'arrive pas à expliquer ! Je me disais que les visions se passaient au même moment, mais que c’est en fonction d’une action que je devrais faire juste avant qui déterminera sur quelle route je m’aventurerai... En gros, soit je serai sereine à un dîner de famille, soit ma mère mourra ! »

Spencer avait les mains croisés sur ses genoux, les yeux braqués sur Luna. Le don qu’elle avait été fascinant. Sommes toutes, ce devait être horrible d’avoir ce genre de visions. Savoir ce que l’avenir nous réservait, que nous pouvions changer les choses mais sans savoir comment.

« Ah, et donc, c'était quoi ton idée pour différencier rêve prémonitoire et rêve normal ? »

Le garçon haussa un sourcil. Elle venait de comprendre qu’une décision prochaine pouvait conduire à la mort de sa mère, et voilà qu’elle revenait sur sa question avec désinvolture.

« Je ne sais pas si ça peut marcher. Dans tous les cas je pense que distinguer la rêve de la prémonition est une évolution en soit. Si tu y parviens, ça voudra dire que tu peux creuser les choses. Peut-être même trouver la clé de ces chemins, le point de rupture. Il faudrait que tu trouves ça rapidement, car si ce que tu dis est vrai, alors ta mère est en danger. Ce flash, tu l’as sans doute eut maintenant parce qu’il va très bientôt t’arriver quelque chose qui changera ton destin. Enfin, ce n’est qu’une théorie. »

Spencer parlait vite, en agitant nerveusement les mains. Il réfléchit un temps avant de se lancer dans son explication.

« Je ne sais pas si tu te souviens de tes rêves lorsque tu te réveilles. Moi c’est la cas. Chaque matin. Et je les écris dans un carnet pour ne pas les oublier. Les écrire permet de mieux s’en souvenir les fois suivantes, et de percevoir les détails qui reviennent souvent et qui font que ce n’est pas la réalité. Il y a plusieurs manières de te rendre compte que tu es dans un rêve. Soit tu découvres ces détails et tente de les rechercher autour de toi, que tu dormes ou non. Tu t’y habitues, tu les catalogues. C’est une première solution, qui te permet de réaliser ensuite si tu es dans un rêve ou non. »

Il attendit quelques secondes pour poursuivre, tachant de voir dans les yeux de son interlocutrice si elle comprenait ce qu’il racontait ou non.

« La deuxième solution est d’essayer de faire certaine chose lorsque tu doutes d’être dans un rêve ou non. Il y a des choses impossibles à faire volontairement dans un rêve ; crier, courir, ouvrir une porte, la fermer derrière soi. Si tu ne parviens pas à faire ce genre de chose, c’est que tu te trouves dans un rêve. Mais ça veut dire qu’il faut que tu essayes, consciemment, de les faire, et ce n’est pas donné à tout le monde. »

La troisième solution était encore plus difficile, car elle demandait de l’entraînement. Spencer se souvenait la plupart du temps de ses rêves, et les écrivais afin de trouver des points communs entre eux. Il avait fini par chercher un moyen de déceler le rêve de la réalité, pour pouvoir faire des rêves éveillés. On lui avait dit de choisir un objet, un point fixe qui pouvait être son repère. Un peu comme dans ce film moldu, ou un homme tournait sa toupie pour voir si elle s’arrêtait ou non. L’objet de Spencer était son Rubicube, qu’il tachait de résoudre le plus souvent possible. Dans ses rêves, il était impossible de le terminer.

« La dernière solution que je connais, c’est de te choisir un repère. Un objet, une action, une personne, n’importe quoi qui ferait partie de ta réalité. Quelque chose que tu vois chaque jour, que tu connaisses par coeur. Un truc que tu fais habituellement. Dans ton rêve, tu ne pourras plus voir faire ce truc, et tu pourras prendre conscience que tu rêve. »

Ce qu’il venait d’expliquer pouvait au moins permettre à Luna de savoir si elle se trouvait dans quelque chose de logique et concret ou non. Mais ça, c’était si la théorie de Spencer était bonne, c’est-à-dire que les flash étaient exactement comme la réalité.

« Comme je te l’ai dis, je ne sais pas si ça peut marcher. J’espère pour toi, car ça te permettrait de découvrir la logique de tout ça. Si les flashs sont des bribes de réalité dans le futur, alors ils devraient être différent des rêves. Les images sont logiques, les choses sont tangibles. Après pour ce qui est de trouver le point de rupture entre les deux réalités, je n’ai aucune idée. »

Il illustra ses propos d’un haussement d’épaule et se recula dans son fauteuil. Les flammes de la cheminée se reflétaient sur le visage des deux Serdaigles, et le garçon se perdit dans la teinte orangée quelques secondes, pensant à tout ce qui pouvait découler de l’étrange don de Luna.