Ce rôle de professeur m’allait à ravir. Après Megan, Ellana était ma nouvelle élève du soir. La différence fut notable, la seconde ne pêchait pas par ses aptitudes aléatoires mais par un simple oubli. Raviver sa mémoire était ma mission et en plus, l’activité collait parfaitement avec mon loisir préféré. Joindre l’utile à l’agréable, que demander de plus ? A mon arrivée dans la Grande Salle, la verte m’attendait revêtue d’un manteau et d’une écharpe aux couleurs de sa maison. Grand sourire aux lèvres et emmitouflée à l’identique à l’exception près que j’avais un bonnet à pompons bonus et que ma tenue reflétait la sagesse des Aigles, nous nous évadions hors de notre prison.

En tête, je guidais la serpy et nous nous dirigeâmes vers la porte de la liberté. Une fois franchie, nous nous retrouvâmes dehors. L’accueil ne fut pas des plus chaleureux, le vent fouettait nos visages et nous sommait de rentrer. La météo ne gagnerait pas cette bataille, nous devions lutter et ne pas abandonner. Je levai les yeux au ciel et la vue des étoiles me suffit à me motiver. J’étais là pour elle, le Petit Ange qui s’était oubliée. Je savais exactement où l’emmenait, là où tout avait commencé, là où j’avais rencontré mon étoile du rêve. Là où la vie régnait dans les ténèbres, bercée d’une douce mélodie.

La brise redoubla d’effort pour nous arrêter puis finit par abdiquer devant notre détermination. J’avais entrainé Ellana en la tenant par la main pour ne pas qu’elle s’envole ni ne recule face à cet obstacle. Nous rejoignîmes aux pieds de la fontaine dont l'eau ruisselait encore. Bientôt l’hiver viendrait stopper l’écoulement dans un gel éphémère. Je lâchai ma camarade et me laissai tomber sur la pelouse, les émeraudes dans les points brillants par milliers et mes ouïes dans le ruissellement. Rien ne pouvait être plus beau si ce n’est que de partager ce moment d’extase. J’observai mon acolyte pour voir sa réaction face au spectacle.

« Rebienvenue chez toi Ellana. Profite bien de tes retrouvailles. »

Parfois les mots ne veulent rien dire. Tellement rien qu’il est préférable de se taire et de ne parler qu’avec son cœur. Alors oui je fus un instant déçue du silence que m’offrait Ellana en guise de remerciement mais pouvais-je lui en vouloir ? Que se passait-il dans sa tête en ce moment-là ? A quoi pensait-elle ? Ne me donnait-elle pas mieux que des verbes en me prenant mes mains et en plongeant ses yeux dans mes émeraudes ? Pouvais-je espérer mieux que de voir des étoiles dans ses mirettes ? L’être perdu rencontré à la bibliothèque était en train de renaître en une personne heureuse. Que ta métamorphose continue Petit Ange, que repoussent tes ailes et envole-toi.

L’aigle que j’étais ne savait pas quoi rétorquer au serpent en mue. Un sourire amical classique néanmoins sincère ferait l’affaire. Ses paluches étaient chaudes malgré la saison. La chaleur de son geste envahit mon corps tout entier. Le bonheur était contagieux et je fus atteinte d’un violent virus. La fièvre gagna mon enveloppe à une vitesse folle. La blonde venait de me contaminer, elle-même venait d’attraper une maladie incurable je pense : l’amour du ciel étoilé. En fait j’étais déjà atteinte depuis un moment par ça, la présence de ma consœur nocturne amplifia seulement mes symptômes. Une chose était certaine je désirais ne jamais en guérir, ça serait pire que mourir.

A genoux comme pour prier, je me demandais ce qu’elle attendait. Une vision ? Possible. Je pouvais la combler une nouvelle fois. Au pire, on aurait de quoi discuter autour de nos brillantes amies en commun. Je me libérai de l’emprise de la verte et argent pour sortir ma baguette. Un #Interstellas plus tard, des liens se formèrent et lièrent nos copines. Place au langage du ciel, ce bougre parlait en latin néanmoins je le comprenais. Du moins assez pour identifier les douze constellations du zodiaque. Lire ce bouquin sur l’astronomie m’avait bien aidé je l’avoue.

« Aries, bélier. » lui lançais-je en pointant du doigt le nom visible. « C’est ma constellation Ellana. Tu connais la tienne ? T'es de quel signe ? C’est en latin mais je peux te traduire les noms et te la trouver. »

Ellana était comme un enfant ouvrant ses cadeaux de Noël, des étoiles plein les yeux. Le ciel savait donner et ses bras chaleureux accueillirent volontiers deux partisanes rafraichies par l’hiver. La blessée était verseau, porteur d’eau, plutôt porteur d’un fardeau dans son cas. Je n’avais pas oublié la terrible lame présente dans sa main à la bibliothèque. Je pris un instant afin de lui montrer Aquarus volant chez notre ami commun. Sa constellation était si différente de la mienne, la sienne était formée d’une multitude de points lumineux. Évident qu’elle avait besoin d’un bain de lumière, la blonde était restée trop longtemps enfermée dans ses propres ténèbres.

Silence pour écouter la berceuse chantée par la fontaine et le vent, brisé par un mot, un nom, Olumire. Je regardais ma camarade songeuse tant je ne comprenais pas son message. La plus brillante des étoiles s’appelait Mary pour moi, en référence à ma préfète sauveuse. Une histoire la liait à cet astre pour sûr et en bonne Serdaigle curieuse que j’étais je voulais en savoir plus. Je désirais avant tout la guérir de ses maux. Cette sortie ne représentait qu’un pansement mais moi je souhaitais soigner ses blessures pour de bon à coup de fils et agrafes. Sans anesthésie préalable, ça risquait de piquer un peu. Désolée Ellana, c’était pour ton bien.

« A partir de quand une fille de la nuit comme toi s’est retrouvée prisonnière de sa propre obscurité ? Jamais une si jolie fille ne devrait possédait un couteau si effrayant. Je vais m’en servir pour couper les liens qui te bloquent tes ailes. »

Et nous nous envolerons toutes les deux. Mais avant explique-moi comment tu as pu devenir si triste. A deux nous déferrons ces chaînes, seule tu devais faire le pas de la confidence, à trois nous décollerons, à jamais nous reviendrons, pour toujours nous planerons. Enfin jusqu’à la rupture et l’arrivée de l’aube.

Pourquoi avais-je posé cette question ? Pourquoi fallait-il toujours que je creuse pour essayer de comprendre les gens ? J’aurai pu profiter de la vue et de l’environnement apaisant mais non, je m’étais sentie obligé de jouer la réparatrice de cœur avec Ellana. Sauf que je n’avais pas anticipé que sa réponse me renverrait dans mes retranchements, dans mon propre passé où papa était certes vivant mais absent. Etre ignorée de son paternel c’était pire que de la savoir mort de mon point de vue.

Les parents, ces êtres chers et premiers guides de la vie d’un.e enfant. Maman et papa, seulement maman dans mon cas, papa préférant son boulot et son argent aux deux femmes de sa vie. Papa qui aimait tellement ses billets qu’il en voulait toujours plus au point d’aller s’occuper de celui de malfrats trahissant la confiance de sa conjointe. Papa qui avait brisé maman et avait entrainé sa dépression. Papa qui pourrissait en prison pour tout ça. Papa qui avait fait de moi une misandre. Papa que je détestais pour le mal fait à maman. Et papa qui me manquait malgré tout…

En l’espace de quelques secondes, l’aigle venait de perdre ses ailes et entamait sa chute libre. Les larmes roulèrent sur mes joues, pas uniquement à cause de la tristesse de la nouvelle énoncée par la verte, aussi à cause du réveil de mon histoire. Je me rendis compte que la vie était courte, qu’un rien pouvait tout faire basculer. Ma camarade avait perdu ses géniteurs, moi j’avais encore la chance de les avoir. J’avais de quoi me réjouir cependant j’avais peur, peur de perdre papa sans l’avoir réellement connu.

Et m*rde ! Je craquais littéralement dans les bras de la blonde. Je l’avais prise à partie et l’avais enlacé sans lui demander son avis. Tant pis si elle me repoussait, j’étais la plus folle des deux, j’avais besoin de réconfort. Le reptile au sang froid avait un corps si chaud que je sentis la chaleur se diffuser en moi. Je ne voulais pas la lâcher, peur de l’abandon aussi. Peur qu’elle s’enfuit au château en me laissant seule dans les ténèbres de mon esprit. Pourtant je ne pouvais lui imposer cette étreinte. Prendre le risque de la relâcher et attendre. Maintenant que je t’ai réappris à voler, me laisse pas m’écraser s’il te plait.

Mes émeraudes humides plongées dans ses prunelles l’appelaient à l’aide. Comprendrait-elle seulement ce que je désirais alors qu’aucun mot n’était sorti de ma bouche ? Je ne savais même pas moi-même ce que je voulais. Si, oublier, ce qui était impossible.

Comme un effet vases communicants, Ellana allait mieux et moi je souffrais. Je n’avais rien vu venir, elle non plus à mon avis. Son sauvetage tournait en mon naufrage. Par chance, ses bras se transformèrent en radeau. J’étais en plein milieu de mon océan de larmes mais je m’accrochais à la vie. Plus précisément c’est elle qui m’agrippait et me maintenait la tête hors de l’eau. Munie de la bouée, je me laissais bercer par les vagues. Douce mélodie apaisant ma peine. Délicate attention d’une mère envers sa fille.

Les prunelles closes, je replongeais dix ans en arrière. J’étais sortie de l’école effondrée, un camarade m’avait traité de sorcière à cause de ma rousseur. Cet acte de méchanceté gratuite m’avait blessé, enfant je ne possédais pas de carapace pour encaisser. Seule un câlin d’Anna avait réussi à me réconforter. Incapable de lui explique la raison de mon chagrin, elle n’avait eu que mon silence. Une fois que je me sentis en sécurité, je pus lui expliquer le pourquoi de mes larmes. Dire les choses était nécessaires pour retrouver la paix.

Elle n’était pas maman. Pourtant, à la réouverture de mes émeraudes, ses mains tinrent les miennes comme Anna l’aurait fait. Elle n’avait pas fui comme Anna. Elle m’avait redonné un peu de sérénité comme Anna. Un sourire arborait mon visage. Il voulait dire merci. Un simple mot résumé dans un facies, tout simplement car je n’étais pas apte à le formuler autrement. Bien sûr, ce n’était pas fini entre nous. Rétablie ne signifiait pas guérie. Elle souhaitait m’entendre pour comprendre comme Anna. Je ne pourrai vous expliquer pourquoi, je me suis livrée à elle, comme une enfant.

« Mon père… Mon père est en prison moldue. Je ne l’ai quasi jamais vu même lorsqu’il était libre… Boulot, boulot, il n’avait que ça en tête. Il a beau m’avoir fait du mal, il me manque… », voix chevrotante et tête baissée, peu était au courant de la vérité.

J’avais puisé dans mes réserves d’énergies pour déballer mon histoire. Épuisée, je la lâchai et m’allongeai sur la pelouse. Le magnifique ciel étoilé n’avait pas bronché, serait-il sans cœur ? Si c’était le cas je l’enviais tant les sentiments étaient incontrôlables et parfois destructeurs. Était-ce trop demandé que d’être heureuse ? Je ne demandais pas la lune, juste être tranquille. Pas besoin de gallions, d’une immense maison, de bijoux ou de de tout autre attribut, j’avais tout mon nécessaire hormis la présence paternelle. Tout n’était pas perdu, papa était en vie, il était encore temps d’apprendre à le connaître.

Je me redressai et fixai la préfète. Plus de pleurs, plus de douleur, uniquement une détermination sans faille à transmettre à mon acolyte. Je repris ses mains, compatriote de tristesse, tu rayonneras de bonheur !

« La vie semble nous avoir blessées Ellana. Malgré tout, nous sommes debout. Et si on promettait d’être heureuses là maintenant ? J’laisserai pas les difficultés gagnées. Je désire encore voler pendant des années. Veux-tu être du voyage ? »

J'ignorais presque tout d'elle. J'étais prête à l'emmener sur mes frêles ailes, le bonheur c'était contagieux. Je te contaminerai cheveux d'ange, peu importe le nombre d'expositions requises. Abandon ne faisait pas partie de mon vocabulaire.

L’Ellana silencieuse était plus réconfortante que la parlante. Se taire c’était prendre aucun risque de froisser l’autre avec une parole malencontreuse. Pourtant elle avait essayé de me donner plus qu’une simple berceuse, maladroite mais l’intention y était. Je pouvais pas lui en vouloir. Je devais la remercier, sa présence avait évité ma noyade dans mon océan de larmes.

« C’est vrai mais il reste mon père quoi qu’il arrive. J’espère pouvoir discuter avec lui un jour, j’ai besoin de comprendre pourquoi… »

Il sortira de prison, je le retrouverai. Peut-être aller le voir dès à présent ? L’appréhension me gagnait, je n’étais pas prête à cela. Patience, prendre sur moi, me calmer aussi, les battements de mon cœur poignardaient ma poitrine. Dans un élan de protection, la blonde repris mes mains. Apaisement soudain, cadeau du ciel si précieux, à peine arrivée dans ma vie et déjà indispensable. Large sourire aux lèvres, je me rallongeai une énième fois dans l’herbe. Heureuse ? La vie était belle, encore plus en bonne compagnie.

« Volons alors. Destination la lune Ellana, première étape de notre tour des étoiles. Abandonne-toi à la nuit et bon voyage. »

Mes émeraudes fixèrent la lune, ronde et lumineuse, elle m’appelait. Je fermai mes paupières et pris la route. Ma main n’attendait que les doigts de ma camarade, à elle de décider, je ne la brusquerai pas. A deux c’était mieux si elle le désirait, sinon je l’attendrai une fois sur place. J’avais attaché une corde invisible à sa taille, prête à la tracter s’il le fallait. Elle ne resterait pas ici seule, plus jamais seule.