La grande boit de l’eau, le liquide qui nous maintient tous en vie, ce liquide qui, dans une grande étendue, et bien beau à dessiner, lac ou mer, pluie qui tombe ou flocons de neige, c’est beau à voir et à dessiner, bien qu’un peu compliqué selon les couleurs et lumières. Puis elle regarde mon carnet que j’ai approché d’elle pour qu’elle puisse regarder, ça ne m’a jamais dérangé que quelqu’un regarde mes dessins, au contraire puisque c’est avec eux que je communique. Elle l’ouvre, et lentement les pages tournent, je vois ses yeux regarder les traits déposés çà et là sur les pages pour former ce que je vois. Animaux et plantes, élèves et écoles, tout se suit, c’est comme un schéma de ma vie depuis mon entrée à Poudlard. Rien n’est daté, mais je sais où je suis allée, où j’ai marché, ce que j’ai vu. Je me demande si ça lui plaît, tous ces dessins. Les scènes et les formes représentées doivent lui être familières, il n’y a rien d’absolument original. Ça dépend des scènes en fait, certains animaux peuvent êtres assez rares si on n’est pas beaucoup dehors. Et puis, chaque moment est différent au final, et si un jour tel arbre était ainsi, le lendemain il peut lui manquer une branche ou des feuilles, et au contraire il peut avoir en plus un nid d’oiseau dans les hautes branches. Je souris pour moi-même tandis que mon regard lui aussi parcourt les dessins fait, depuis le début de l’année il y en a pas mal.

Elhëna semble aimer ce qu’elle voit, elle trouve ça joli, elle le dit. Sincérité ou mensonge ? L’Humain est le meilleur dans les mensonges, parfois il est bien fort pour cacher ses fausses vérités, si fort que je crois que c’est la vérité. C’est vrai, ça peut être une généralité, tous les élèves ne sont pas ainsi. Car l’élève à ma table ne semble pas mentir. Et si une partie de moi me force à rester méfiante et à attendre la suite pour éviter de me retrouver face à un mensonge bien caché, l’autre partie veut la croire. Oui, j’ai envie de croire que c’est vraiment joli, alors je souris légèrement, gardant le silence, à l’écoute d’autres mots. D’abord c’est le silence, le silence dans la voix. Ce n’est peut-être pas le silence dans sa tête, certainement est-elle en train de réfléchir. À quoi ? C’est de la curiosité de se demander ça, Lylianna n’aimerait pas. Sauf que je ne dis rien, je me contente d’attendre. Et elle, elle boit, l’eau ne semble pas vouloir passer correctement. Liquide beau mais parfois dangereux, désagréable. Vilain joueur sans pensées. Finalement, elle s’excuse, bien que ça ne soit pas vraiment utile : ce n’est pas sa faute. Et elle pose une drôle de question, une question compliquée. Mes dessins montrés à tous dans une galerie ? Le plus simple serait de dire "je sais pas" pour réfléchir ensuite, et ne pas laisser la grande dans le silence. Mais ce n’est pas dans mes habitudes, moi je réfléchis d’abord et je parle ensuite, si c’est utile. Alors je réfléchis. Mes dessins, dans une galerie, à la vue de tout le monde ? Les pensées des autres, ça m’est un peu égal. Même si, il faut bien le dire, j’aime quand les autres trouvent que c’est beau, je m’en fiche un peu quand c’est l’inverse. Chacun a sa vision du monde, chacun a sa représentation. Que ça leur plaise ou non, ce sont mes dessins, ce sont mes goûts.

Alors qu’on voit mes dessins ou non, ça m’est un peu égal. Le moment où il faut qu’on les regarde absolument, c’est quand je veux communiquer sans parler. Sinon, je dessine pour mon plaisir, pour représenter le monde tel que je le vois. Alors la vraie question serait : est-ce que les autres aimeraient voir mes dessins ? Dans mon carnet, ils sont difficilement accessibles, j’en ai bien conscience, mais c’est le moyen le plus facile de dessiner où je veux et quand je veux. Même les dessins les plus simples que je fais peuvent dévoiler une vision du monde. L’artiste a souvent pour but de montrer ses œuvres, non ? Justement pour montrer leur vision du monde. Car les personnes qui ne sont pas artistes ne voient pas toujours tout, ils ne font pas attention aux lumières ni aux formes. Ils ne voient pas ce rayon qui rend l’eau dorée, ils ne voient pas cette drôle de feuille en forme de tête de loup. Dessiner et montrer le dessin le leur dévoile, sinon ils resteraient dans le noir à tout jamais. «Leur montrer ce qu’ils ne voient pas…» Je ne sais pas, j’hésite. Comment faire si mes dessins sont dans ce carnet si petit ? «Ça peut être intéressant. Les élèves qui ne dessinent pas voient tellement peu de choses ! C’est dommage, parce qu’ils ratent le plus beau.» Je souris, pour finalement conclure en montrant mon carnet «Mais je dessine beaucoup là-dedans… Ce n’est pas très pratique.» Sérieuse, pensive, je réfléchis à une manière de faire pour que les personnes non artistes puissent voir correctement. «Je peux dessiner aussi ailleurs.» Il suffit que je réclame à mon grand frère des feuilles non attachées ! Ou des feuilles attachées qui se détachent facilement ? Ça doit exister…

Dessiner dans un carnet, je le fais depuis toujours. Ou presque toujours en réalité. Il a fallu que Lylianna commence à en avoir marre de me voir chercher des feuilles quand j’étais petite et voulait dessiner ou communiquer parfois pour enfin décider de m’acheter un premier carnet. Ça n’a pas duré très longtemps ces feuilles volantes, car c’est bien plus pratique cet objet qui réunit pleins de feuilles au même endroit, en plus ça permet un support solide qui m’aide à dessiner partout dès que j’en ai envie ou besoin. Car quand il n’y avait plus de feuilles à la maison, j’étais bien embêtée. D’ailleurs je m’étais fait grondée une fois où l’envie de dessiner était forte mais le support absent, une partie de mur de ma chambre avait dû être repeint à la suite de cette envie, ce qui était bien triste d’effacer ainsi une œuvre, dessiner sur une surface verticale n’étant pas facile vous pouvez me croire. Alors le carnet est vite arrivé dans ma vie, et depuis je n’abandonne plus cet objet bien pratique. Pratique pour moi, mais pas pour montrer aux autres. Pas s’il y a des gens qui veulent voir les dessins posés sur les pages, même si une question vient se poser : qui voudrait voir les dessins ? Pourquoi ? Car au final, ils ne savent pas vraiment ce qu’ils ratent en oubliant, ou en refusant peut-être, de prendre le temps de regarder dehors, d’observer et de rêver. Ça peut être idiot de vouloir leur montrer, car ils n’en n’ont peut-être rien à faire. Mais comme ils ne savent pas, je ne peux pas savoir d’avance. Alors je dis oui.

La grande n’a pas l’air de trouver que mon carnet est embêtant, peu pratique pour ce qu’elle appelle une exposition. Elle parle de gens, de plusieurs personnes apparemment, qui sauront se débrouiller avec mon carnet grâce à leurs idées sans cesse présentes. Une imagination débordante ? C’est beau. Peut-être parle-t-elle de son frère, dont elle a déjà parlé plus tôt. Musique et peinture. Avec les gens de cette association. Ont-ils donc toujours pleins d’idées ? Elhëna aussi semble en avoir quelques unes. Un carnet qui reste carnet et que les gens, curieux, ouvriraient. C’est une bonne idée. Ouvrir une page au hasard, découvrir ce qui y est posé, s’y intéresser ou au contraire aller chercher un autre page. Comme un jeu, un jeu de hasard, un jeu de découverte comme il se fait chez les moldus pour que les petits apprennent en s’amusant. Je souris, l’idée est jolie. Très jolie. Mais je ne comprends pas trop la suite, des mots compliqués forment la phrase. Mots peu connus, peu utilisés à la maison lorsqu’on m’a appris l’anglais. Sauf que si je décortique un peu, elle voudrait dire… Dessiner devant des gens ? Qui regarderait quelqu’un dessiner ? Bon d’accord, il m’arrive de regarder les gens occupés, parfois pour dessiner, parfois parce que je ne sais pas quoi faire à cause de la fatigue. Pourquoi pas. S’asseoir dans une salle, s’asseoir dehors, c’est ce que je fais tous les jours. Dessiner aussi, c’est facile, j’aime bien. Et puis les gens, je ne les vois plus une fois que je dessine, sauf s’ils se mettent devant mon modèle à dessin. Ce qui me sert d’inspiration.

Du matériel, me dit aussi Elhëna. D’autres carnets, pour quand les autres seront complets ? Mark serait content, papa et maman aussi, s’ils n’avaient pas à m’en acheter d’autres. Un plus un plus un, ça commence à faire beaucoup. Comme pour les crayons. J’aime les couleurs, j’ai des dégradés de chaque couleur d’ailleurs. Trouver le bon bleu, le bon rouge, le bon vert. Des heures peuvent passer pendant lesquelles je réfléchis au ton qui offrirait la plus belle représentation, la plus belle réalité. La grande parle à nouveau de son frère, des contacts de celui-ci. Son frère doit être plus grand qu’elle, pour tenir une aussi jolie association. Association sur l’Art, c’est beau. Mark sera content, oui oui, si je dis oui. Parce que c’est intéressant, important à ses yeux. Promis, je lui en parlerais dans une lettre prochaine. Même s’il y a quelques secondes d’hésitation. Parler ? Être avec des gens. Pense au grand-frère. Je souris, à nouveau. Moi je dessine, les autres peuvent voir s’ils veulent essayer, la famille est contente. «Il serait content ton frère si je viens dessiner avec eux ?» La réponse me semble pourtant évidente, sinon elle ne m’aurait pas proposé cette belle idée. Belle mais effrayante. La peur de l’inconnu, des inconnus. La peur que mon silence parfois trop présent les repousse et que finalement je ne puisse pas dessiner avec eux. Pour les autres. C’est que ce cas est bien trop fréquent, habituel, de ma faute bien évidemment. Mais je ne sais pas faire autrement… Il faut savoir aller au-delà de la peur dirait Mark s’il lisait en ce moment dans mes pensées. Un sourire, un petit et pensif, vient à cette pensée. Le grand frère est toujours là même en étant absent ! Il faut prendre sur soi, car la beauté de l’idée est tout aussi forte. «Pourquoi pas. Tu crois que j’ai le droit de regarder au début avant de décider tout à fait ?» Pour vérifier qu’il n’y ait rien de dangereux, même si j’ai envie de faire confiance à la grande si gentille. «En vrai, ça a l’air bien tu sais. C’est juste que… J’ai pas l’habitude de ce genre de choses.» Parler à des gens, aller avec eux. Il faut bien que je me justifie un peu, non ? Je n’ai pas envie qu’Elhëna pense que l’idée ne me plaît pas.

Oui, la réponse est évidente. Il sera content que je vienne dessiner avec lui et les autres dans leur association, Elhëna semble persuadée de cette idée. Alors le léger doute qui était là s’éloigne, s’envole dans l’air, et presque je pourrais l’imaginer se glisser par la fenêtre pour rejoindre le ciel, les oiseaux et les nuages pour s’y évaporer sans plus laisser de trace, comme éteint. Rassurée déjà sur ce point, je finis par accepter, sans vraiment accepter réellement. Un "pourquoi pas" suivit d’une question, est-ce que j’aurais le droit de "visiter" avant d’y aller totalement ? La plus grande ne semble pas savoir, pourtant elle dit que oui, ça devrait être possible. Et je suis contente, très contente ! Observer avant de faire quelque chose, c’est très important je trouve. Observer rapidement la salle de classe avant d’y entrer, pour se préparer au monde et à l’organisation des places, observer les jeux et mouvements des élèves dans chaque endroit où je vais avant de me mettre à me déplacer pour éviter autant que possible de se faire bousculer… Observer est important, peut-être même crucial, mais c’est sûrement un peu exagéré. Quoi qu’il en soit, j’aime cette réponse qui m’autorise à regarder les Artistes avant d’intégrer l’association.

Elhëna continue de parler, elle me propose d’envoyer un message à son frère pour expliquer que je dessine. Un message c’est une bonne idée, pas besoin de parler, juste écrire. Et écrire, je sais le faire ! Ce n’est rien de bien compliqué, il faut juste trouver des mots jolis pour faire des phrases jolies, et aussi s’appliquer à ne pas faire de fautes, sinon il aurait une mauvaise impression ! La jeune fille ajoute qu’elle lui aura déjà parlé, alors il saura déjà qui je suis, mais il est important que je me présente moi-même également. Elle parle aussi d’un hôtel, ce drôle de nom plutôt joli, et de l’ouverture de celui-ci. Faire des dessins pour un hôtel au nom amusant, quelque idée étrange ! Mais écrire un message, j’aime bien, ça va être chouette à faire. Il faudra s’appliquer, faire des belles lettres, penser à être polie. De toute façon par écrit, tout est plus facile.

Je hoche la tête avec un sourire content lorsqu’elle me demande si ça me va, car évidemment ça me va. «Oui oui, c’est parfait ! Je vais lui envoyer un message, je n’oublierais pas, je le ferais aujourd’hui ! C’est une très bonne idée.» Je suis finalement pas mal enthousiaste à l’idée de découvrir cette association hors du commun. L’art, c’est un beau sujet très vaste qui comporte pleins de trucs ! Ce qui est dommage, c’est qu’on n’en parle pas tant que ça. En tout cas à la maison, personne que moi ne dessine. C’est déjà bien une personne en même temps, non ? En voyant son regard aller vers l’horloge de la bibliothèque, je me dis qu’elle a peut-être autre chose à faire, un rendez-vous ou d’autres devoirs. La discussion prend certainement fin, et moi je n’ai pas fait mon dessin. Une simple silhouette est dessiné, le temps que j’ai entre le début et sa première question. Et je souris à la grande, avec un «Merci», merci pour la conversation, merci pour la découverte, merci pour la silhouette. Je ferais les autres traits de mémoire, après tout rien n’indiquera que je voulais la faire elle si jamais l’image n’est pas parfaite…

Elhëna sourit, un grand et beau sourire qui veut dire qu’elle est contente. Il y a plusieurs choses dont elle pourrait être contente, mais je ne vais pas les énumérer car d’après moi il y en a pas mal. Avoir discuté avec moi, m’avoir parlé de l’association, l’avoir présenté… Bref, beaucoup de choses. Et je suis très contente d’avoir parlé avec cette grande, en plus elle est gentille je trouve. Elle se lève, ses affaires retournant dans son sac, et un instant je me sens coupable, coupable d’être venue et d’avoir commencé à la dessiner alors qu’elle devait travailler. Pourtant ça ne dure pas longtemps, vraiment pas longtemps, car la phrase de la fille fait partir rapidement ce sentiment coupable. Car elle est contente de m’avoir rencontré, alors ça veut dire qu’elle a bien aimé notre conversation, que ça ne l’a pas embêté d’ainsi discuter. Sa phrase n’est pas un mensonge, non c’est une vérité, je le sens. Elle est contente. D’avoir discuté avec moi. C’est si rare que l’on me dise ça… Je suis un peu surprise, il faut bien le dire, mais je crois qu’en plus c’est réciproque, moi aussi je suis contente de l’avoir rencontré aujourd’hui. J’ai appris beaucoup de choses intéressantes en une jolie discussion ! Et si je l’ai déjà remercié, je hoche tout de même la tête en lui disant «Je suis également très contente de t’avoir rencontré !» Est-ce qu’elle serait contente si je lui disais que j’avais beaucoup appris ? Je ne sais pas. Alors je me tais.

Je ne sais pas si Elhëna a des difficultés en cours ou si elle veut devenir très forte dans un domaine au point de s’avancer, mais elle m’explique qu’elle a un un cours particulier, c’est pour ça qu’elle va y aller. J’ai envie de lui dire que de toute façon elle s’en va quand elle veut, mais c’est poli, et gentil, à elle d’expliquer. Elle a l’air… Gênée ? Hésitante ? En parlant de ça. Peut-être que ça veut dire qu’elle a des difficultés en cours. Ou juste qu’elle n’a pas pour habitude de dire qu’elle a des cours particuliers. Moi je trouve que, quelque soit la raison, c’est toujours une bonne idée, au moins elle peut poser toutes ses questions et participer sans être embêtée par les autres ! C’est ainsi que je vois la chose. Les adultes sont le meilleurs moyens de s’améliorer, bien que je préfère les livres. Parfois, les explications à l’oral sont mieux que celles écrites, ça dépend des gens. En tout cas, je serais incapable de l’aider, enfin je ne crois, après tout elle est grande et moi petite, j’ai eu moins de cours qu’elle. Alors je suis lui souris gentiment, comme pour l’encourager. Peut-être qu’elle en a besoin ?

J’aime bien ce qu’elle me dit, à la prochaine, c’est beau, ça annonce un futur proche où l’on se reverra, où l’on pourra à nouveau discuter. Et où peut-être que je pourrais finir mon dessin, c’est elle qui le dit ! Finalement, elle doit bien aimer l’idée. Dans ce cas, je n’y toucherais pas, j’attendrais une nouvelle rencontre ! Et je lui dis, sans oublier la politesse, «Oh oui, ce serait super chouette ! À bientôt, passe une bonne journée.» puis je repars dans mon carnet, changeant la page, la tête rêveuse, repensant à notre discussion. La Mandragore était jolie… Je crois qu’Elhëna devrait plus dessiner !