C'est le retour des vacances d'hiver -les élèves qui sont rentrés chez eux pour les fêtes montent à bord du Poudlard Express pour rejoindre Poudlard. C'est mon cas : de toute façon, ayant cassé ma baguette magique, je devais bien rentrer pour que maman m'accompagne à Ollivander's. A Noël, j'ai donc retrouvé sous le sapin un nouveau tire-bouchon qui porte désormais le numéro soixante-neuf, puis j'ai vaillamment supporté les embrassades et étreintes des fêtes. Je ne suis pas mécontent de retourner à Poudlard : les règles y sont un peu moins strictes que chez mes parents et même si j'aime quand ma vie suit une routine très précise, j'apprécie de pouvoir étudier l'histoire de Poudlard et aligner mes tire-bouchons selon un emploi du temps que j'ai moi-même organisé.

J'ai trouvé un compartiment totalement vide. Vide ! Vide signifie que l'espace est totalement dépourvu d'êtres vivants -hormis les petits insectes et organismes microscopiques -et peut-être des araignées ? qui sont de toute façon de bien meilleure compagnie que les humains. Je m'assois dans un coin -tout au fond, de façon à avoir une vue complète sur l’entièreté du compartiment, qui de toute façon n'est pas bien grand. Là, je suis bien. Seul. Seul.

« Seul, seul, SEUL » dis-je à voix haute, parce que c'est agréable : le mot glisse avec douceur entre mes lèvres, et je me sens comme enveloppé dans un cocon de paix. « SEUL, seul, seul » répété-je encore. Cela m'emplit de joie, si bien que l'ombre d'un sourire s'invite sur mon visage habituellement dénué de toute expression. Je me sens bien. J'étale mes affaires à côté de moi pour dissuader tout potentiel élément perturbateur. « Seul, seul, seul ! » dis-je encore. Chaque répétition me calme un petit peu plus et me détend. En plus, je suis assis comme je préfère : j'ai le dos droit, les jambes repliées contre mon torse et mes bras qui les entourent. L'appui de mes pieds sur le rebord de la banquette me permet de me balancer tout doucement au rythme de mes « Seul, SEUL, seul. » qui sonnent tous très agréablement à mes oreilles. Je me sens bien, je vais bien. Je suis content. Tout est merveilleux. Et soudain je me tais : j'aime aussi profiter du silence.

Orwell s’est enfin débarrassé de ses parents sur le quais de la gare de Londres, une excellente chose de faite. Et si son maudit frère Isaac a tenté de le suivre dans les couloirs du train, le jeune garçon s’est empressé de mettre son agilité au défi pour s’extraire de sa dernière attache familiale. Ses habits larges et la capuche de son sweat sur la tête lui permettent de se faufiler avec discrétion entre les wagons. Après avoir parcouru les allées bondées, il parvint aux cabines, des espaces clos généralement plus calmes et où son frère, maudit soit-il, ne viendrait pas lui faire une scène sur sa tenue dans le magasin de baguette magique. Il renifla et fronça les sourcils, au moins, il avait une nouvelle baguette, c’était le plus important. Et celle-ci fonctionnerait peut-être. Il avait au moins un peu hâte d’être à Poudlard pour la tester. Mais surtout hâte de retrouver le calme de la salle commune des Serpentard et de se remettre au service de personnes qu’il considérait pour, enfin, exister un peu.

Il entra avec fracas dans un wagon où seul un garçon blond se tenait recroquevillé. Il lui adressa un moue et le sentant parfaitement inoffensif, dégagea ses affaires des sièges pour y poser ses fesses. Il rangea sa propre valise sous les sièges et étendit ses jambes au milieu du compartiment tout en croisant les bras. Il soupira et jeta un regard par la fenêtre. Un temps bien morne pour reprendre les cours. Comme pour se justifier, il lança à voix haute.

« _ Tu prenais trop de place, gars. Qu’est-ce tu crois, on va pas t’laisser peinard six places tranquille. T’as cru quoi ? Et il lâcha un rire, toujours caché derrière sa capuche. »

Non, Silas Roxburgh ne ressentit aucun pincement au coeur, aucune sensation de solitude qui noue le ventre alors qu'il attendait que les portes du Poudlard Express s'ouvrent sur le fameux quai 9¾. Il n'avait besoin d'aucun parent pour l'accompagner jusqu'à la voie et lui dire au revoir, de passer un bon trimestre à Poudlard. Et il ne ressentit aucune envie en voyant les familles s'enlacer tandis qu'il attendait seul, ses affaires à ses pieds comme seule compagnie. Avoir une famille saine, bien constituée et affective était quelque chose qu'on ne voyait que dans les films, et les embrassades autour de lui n'étaient que des illusions que les familles créaient afin de donner l'impression d'être idéales. La famille n'est qu'un concept illusoire pour encourager les personnes à se ranger gentiment et à suivre le chemin qu'on attend d'eux, Silas décida en fermant les yeux, soulagé en entendant les portes s'ouvrir. C'était enfin le moment. Son dos quitta le mur de la voie, où il s'était adossé. Il accorda un dernier regard à son entourage : il faisait gris, et comme une petite minorité, Silas appréciait le temps hivernal. Il avait donc de quoi être de bonne humeur. Autour de lui, les gens étaient saucissonnés dans des coats longs, étranglés par des écharpes qui cachaient la moitié de leur visage, les cheveux disparaissant sous un bonnet ou un chapeau. Derrière, la bête mécanique ronflait, promettant aux êtres fourmillant autour d'elle un trajet dans la chaleur réconfortante de ses entrailles.

Il fallut un moment de patience à Silas, à marcher à tâtons derrière la file d'élèves qui disparaissaient dans le train, réapparaissant parfois quelques dizaines de secondes plus tard à une fenêtre pour faire des signes à leur famille. Voilà un acte que Silas n'aurait pas à s'embêter à faire : il prévoyait de s'enfoncer dans le siège d'un compartiment, attraper un livre peut-être et profiter de la chaleur du Poudlard Express. Il avait même gardé quelques pièces pour s'acheter un ou deux en-cas.
Mais comme souvent dans le Poudlard Express, il n'était pas si facile de trouver un compartiment vide. À chaque fois que le brun passait la tête par la porte d'un compartiment, il s'apercevait que quelque chose le gênerait horriblement : certains parlaient trop forts, d'autres s'étaient lancés dans l'imitation d'animaux moldus, il y eut aussi ce compartiment où deux petits, probablement des première année, pleuraient dans les bras l'un de l'autre. Silas ne souhaita absolument aucune explication et continua son chemin. Les garçons derrière lui n'étaient pas non plus des plus discrets et il se faisait bousculer quand il n'avançait pas. Agacé, il finit par entrer dans le premier compartiment dont les occupants lui semblèrent acceptables. Au même moment, il entendit la voix de l'un d'eux s'élever. Le garçon avait l'air d'une brute. Au vu de ses longues jambes, il semblait être plus grand que Silas, mais le côté protecteur du petit Roxburgh sembla le pousser dans le dos et avant même de s'en apercevoir, il se retrouva assis en face du blondinet, comme pour garder un oeil sur les agissements de la brute. Il se releva ensuite, il venait de se souvenir qu'il avait aussi une valise à ranger, et la souleva pour la poser dans le porte-bagages avant de se rassoir. Voilà une chose qu'il n'avait pas prévu : le comportement n'était pas vide, et dans son malaise, il en avait oublié de sortir un livre de sa valise. Il n'osait plus se lever pour aller le chercher. Tendu, les coudes collés au corps et les mains posées à plat sur ses cuisses, il se rappela soudainement des règles de politesse :
— Bonjour. Pas un mot de plus. Il ne savait de toute façon pas quoi leur dire, il lui semblait avoir déjà croisé le brun, peut-être un Serpentard, et il avait un vague souvenir de la tignasse blonde de l'autre garçon, mais c'était à peu près tout ce dont il se souvenait. Et il n'était pas doué pour faire la conversation avec n'importe qui. Il sortit sa baguette de la poche de son manteau ; il l'avait beaucoup observé depuis son achat et il n'y avait sans doute plus aucun détail pour capturer son attention, mais il pouvait au moins faire semblant d'être occupé à quelque chose. De plus, sa baguette permettrait peut-être de dissuader le brun d'être trop embêtant.

Cashel observa en plissant les yeux la marrée d'étudiants embarquant dans le train en se pressant dans tous les sens. Aucune chance qu'il n'y aille maintenant, il n'avait pas du tout envie de se faire toucher de partout et encore moins envie de se retrouver dans la vague de sorciers qui, à vue de nez, étaient tous plus grands que lui et Angus. Surtout Angus, parce qu'il était plus petit que lui alors il aurait très certainement pu se faire embarquer par la foule et il l'aurait perdu de vue. Il n'en avait pas vraiment envie. Même si les deux se tenaient côte à côte sans échanger de mots, la présence du Serdaigle de troisième année était une bonne chose pour Cashel. Il plia et déplia ses orteils qu'il avait, en testant la température, emmitouflé dans de larges chaussettes oranges. Le froid passait tout de même à travers le tissu coloré. Il se demanda s'il n'aurait pas dû mettre des chaussettes d'une autre couleur, parce que même si le orange signifiait l'excitation, celle de retourner à Poudlard commençait légèrement à faner en voyant la troupe d'élèves devant lui. Il prit avec douceur la main d'Angus dans la sienne en enroulant ses doigts aux ongles manucurés autour de ceux du plus petit avant de commencer à marcher vers le train quand il fut certain de ne pas perdre son ami dans la mer d'étudiants pressés. Il tirait sa valise derrière lui et les breloques accrochées dessus sonnaient comme des petits carillons alors que les bracelets qu'il avait aux poignets et aux chevilles en faisaient autant. A chaque pas qu'il faisait, tout sonnait sur lui comme s'il était une cloche en haut d'une église.

Marcher dans le train n'était pas comme marcher dehors, premièrement parce que le sol était largement moins froid mais aussi parce que l'endroit était beaucoup plus étroit. Il passa son regard dans les compartiments, en cherchant un où il aurait pu s'asseoir avec Angus, c'est à dire où deux places se collaient. Dès qu'il en vit un, il lâcha la main de son ami et y entra doucement avant de froncer des sourcils en entendant un des élèves jouer à la brute. Il renifla avant de poser son regard par terre tandis qu'il rangeait sa valise et celle d'Angus avant de s'asseoir sur une banquette sans regarder personne. Les trois autres n'étaient pas en première année, et il était certain d'en avoir croisé au moins deux, mais il ne se souvenait pas de leur nom. Ce n'était pas très important de toute façon, et s'il avait envie de le savoir, il pourrait toujours demander à Angus. Il était certain que son ami dirait bonjour, donc c'était aussi inutile de prendre la parole simplement pour ça. Angus disait souvent assez de fois bonjour pour deux, de toute façon.

Dans le hall de la gare King's Cross, une grande dame emmitouflée dans sa capeline évoluait lentement, piétinant le sol pour pousser un chariot devant elle. « - Tu exagères vraiment Joe, tu n'as plus onze ans. » Sans réaction, le jeune sorcier resta stoïque, se laissant tranquillement poussé par sa mère comme un bébé. Cette journée marquait son retour au château de Poudlard après une pause hivernale bien méritée. Mais cela impliquait de retrouver un rythme normal qui ne lui convenait pas du tout, si bien qu'il avait décidé de récupérer sa précieuse heure de sommeil sacrifiée durant le trajet en bus qui les avait arrêté à la gare de Londres, puis dans ce charriot, allongé sur sa valise comme un vieux chiffon.

« Bon, son altesse est arrivée. » Joe l'avait bien compris, il s'était cramponné à sa valise quand ils avaient traversé la barrière qui menait à la voie 9¾, parce que sa mère ne s'était pas faite prier pour foncer d'un seul coup comme une furie, espérant probablement que cela réveillerait un peu son fils. Un peu étourdi, Joe se redressa sur ses deux jambes et poussa sa valise du pied pour qu'elle tombe au sol. « - Ne me dis pas que tu comptes la pousser avec le pied, jusqu'au train. » s'horrifia Mrs Widdecombe, à chaque fois plus impressionnée par la dernière idée de son fils pour en faire le moins possible. « D'accord, d'accord, je vais la porter. » Joe avait heureusement eut l'idée de laisser la plupart de ses affaires dans la malle de son dortoir, à l'école, pour l'alléger au maximum. Il s'approcha de sa mère pour l'enlacer brièvement, puis se détourna pour rentrer dans le premier wagon qu'il rencontra sur la voie. Après avoir erré un peu dans les couloirs à la recherche de ses camarades de promotion, il trouva enfin les têtes qu'il connaissait. Comme à ses habitudes, il alla pour se coincer dans un porte-bagages comme si c'était un wagonnet-couchette, c'était psychologique. Il s'épongea le front en constatant l'entrave qui se plaçait devant ses nobles desseins. « Les gars vous abusez avec vos valises là, j'ai besoin d'espace. »

Ce besoin d'espace, il ne pensa pas du tout que ses camarades étaient capables de l'éprouver aussi et, ni une ni deux, Joe attrapa la valise de Silas Roxburgh et s'en servit de tremplin pour s'insérer comme un serpent dans l'espace libre entre le plafond du train et le porte-bagages. Ce dernier bringuebala dangereusement sous son poids puis se stabilisa. Ceux qui connaissaient un peu Widdecombe savaient qu'il avait le sommeil extrêmement lourd et qu'il était presque impossible de le réveiller une fois qu'il était parti, alors il ne fallait pas s'attendre à le voir émerger avant une bonne heure - la durée équivalente de la perte de sommeil qu'il avait subie le matin-même.

Tous les jeunes sorciers ne rentrent pas chez eux pour les vacances de noël. Cela m'est par ailleurs arrivé une année. En toute logique, puisque tout le monde ne rentre pas, il y a alors moins de monde dans le Poudlard Express -et si ce dernier est moins peuplé, il en résulte que les probabilités d'avoir un compartiment complet et composé de personnes qui ne se connaissent pas ou peu sont extrêmement faibles. A partir de ces affirmations, j'aimerais beaucoup que l'on m'explique pourquoi un garçon impoli est venu s'asseoir beaucoup trop près de moi -surtout que selon ma théorie de la dispersion, il aurait été plus logique que ce dernier se mette sur la banquette d'en face. Ensuite, pourquoi un autre gars -certes un tantinet plus agréable et poli, est venu se rajouter au lot.

Et pourquoi cet affreux personnage qui ressemble à un carillon ambulant s'est invité sans même un bonjour -heureusement, il était suivi de mon cousin, bien plus poli et agréable, cela m'a mis du baume au cœur. J'aime mon cousin. Et pourquoi, POURQUOI, un autre est venu se glisser dans le porte-bagage ? Je le reconnais celui-là, il ressemble toujours à ces objets moldus qui n'ont presque plus de piles ou de batterie : ça ne fonctionne pas très bien et c'est lent, et il est préférable de ne rien en attendre.

Pourquoi, pourquoi, POURQUOI ? La respiration... ma respiration... J'inspire lentement puis j'expire. Je frappe nerveusement mon poing sur mon bras -assez rapidement, un peu au rythme des battements de mon cœur. Je me sens oppressé, et le mélange des odeurs de chacun me donne le tournis. Et personne n'a demandé ma permission pour venir dans mon compartiment. S'ils avaient demandé ; peut-être Angus aurait obtenu un accord. Les autres, définitivement : non.

« Charlie, il faut sourire et dire bonjour. » fait la petite voix de mes parents dans ma tête. Je l'ai entendu toute ma vie. Sourire, c'est lever les commissures de ses lèvres vers le haut. J'essaie de le faire, parce que c'est la règle quand on rencontre de nouvelles personnes et que le respect des règles est primordial. Selon la situation, on peut dévoiler ou non ses dents en écartant ses lèvres. Je ne le fais pas, c'est trop d'effort et c'est incompatible avec mon balancement régulier et mon poing qui frappe nerveusement mon bras. *Charlie, il faut sourire et dire bonjour* répète la voix. *Charlie, il faut sourire et dire bonjour, Charlie, il faut sourire et dire bonjour. * Je ne l'arrête plus : ça tourne et ça tourne encore.

« Naaaa...ze. » est le seul mot qui franchit mes lèvres -peut-être parce que cette situation très improbable est, à mes yeux, parfaitement naze. J'ignore pourquoi j'ai choisi ce mot en particulier. Je m'en veux soudainement : d'autres sont beaucoup plus soutenus et appropriés à la situation si je veux manifester mon désarroi.
L'intonation de ma voix est plate, si l'on omet le léger tremblement qui est inévitable avec la détresse qui a pris possession de chaque petite partie de mon corps. L'ébauche de sourire meurt rapidement et pour noyer mon angoisse, je tente de me focaliser sur les paysages qui défilent par la fenêtre.

En réponse à son incrustation forcée, Orwell n’obtint aucune réponse de la part du blondinet. Celui-ci pensait-il vraiment qu’il aurait une cabine entière pour lui tout seul ?! Il coula un regard dans sa direction. C’était pas impossible, il semblait vraiment planer. Sa tête n’était d’ailleurs pas inconnue au Serpentard mais, il avait beau chercher, aucun nom ne lui venait en tête. Peut-être l’une de ses victimes au détour d’un couloir ? C’était l’hypothèse la plus plausible. Son attention se dirigea vers l’entrée du wagon quand un autre garçon fit son apparition. Orwell ne parvint pas à masquer, ni son étonnement et encore moins son rire moqueur.

« _ Eh ! Mais c’est toi qu’a cramé ta baguette en potion la dernière fois ! Trop naze ! Dans son entrain il donna même un coup de coude à Charlie pour l’entraîner dans son rire mesquin. »

Cela n’empêcha pas le brun d’observer une nouvelle arrivée, celle d’un grand roux. Dans son année à Poudlard, ils devaient tous deux être parmi les plus grands, mais alors qu’Orwell entretenait son corps et faisait tout pour paraître musculeux, avec plus ou moins de réussite, l’autre grand dadet était simplement… une brindille affalée. Orwell ne fut donc pas si surpris que cela lorsqu’il le vit grimper dans le porte-bagage. Il fronça tout de même les sourcils, mais aucune phrase méchante ne sortit d’entre ses lèvres. C’est alors qu’il se souvint que ces deux-là faisaient la paire, notamment en potion. Un nouveau rictus tordit ses lèvres, aussi nul l’un que l’autre dans cette matière. Après tout, c’était lui le maître des potions. Il sourit pour lui-même, satisfait. Il n’avait pas vraiment besoin d’affirmer une quelconque supériorité au milieu d’idiots pareils. Évidemment que tout le monde ici se rendait compte de qui était le meilleur, ainsi que le plus fort et peut-être même le plus beau.

Un nouveau duo entra dans le compartiment. Si Orwell devait classer par ordre d’improbabilité les personnes ici présentes, cette paire-là prendrait la première place, même face aux deux autres potionnistes minables et l’autre gamin en sueur. Le Serpentard fronça de nouveaux les sourcils, celle aux cheveux longs, là, elle n’était pas au courant qu’elle devait porter des chaussures ? Et l’autre victime qui les présenta, il ne savait rien faire d’autre que prendre une voix de robot ? Définitivement, heureusement qu’ils n’étaient pas chez Serpentard.

« _ Ben alors ma p’tite, on a perdu ses souliers ? Orwell parla presque au même moment que Charlie, si bien que seuls les plus attentifs auraient pu saisir les deux interventions. Pi toi, t’as été lobotomisé par tes parents pendant les vacances ? Tu fais pitier ! Les doux mots vomissaient à travers les lèvres d’Orwell qui, toujours dans la provocation, n’attendait qu’une chose : que quelqu’un s’énerve pour enfin sortir ses poings. »

Encore une chose que Silas n’avait pas prévu dans sa quête de justice et de protection chevaleresque ; l’arrivée d’autres énergumènes. Il avait gardé un œil discret sur le blond et le brun devant lui, se préparant à un petit trajet dévoué à la protection du plus faible contre un brigand à la langue bien pendue — il ne s’était, d’ailleurs, pas gardé de faire une réflexion sur l’incident causé par un abruti, que Silas ignora royalement. Puis, première interférence dans ses pensées, Murphy et Phinney entrèrent dans le compartiment, collés l’un à l’autre comme des frères siamois. Les deux garçons faisaient parti de Serdaigle aussi, ainsi ils s’étaient souvent croisés et le petit Roxburgh avait fait l’effort de retenir leurs noms de famille. Il avait aussi noté qu’ils étaient toujours ensemble et que Phinney semblait être le porte-parole des deux, Murphy toujours flanqué à ses côtés comme un myope ne peut vivre sans ses lunettes. L’avantage, aux yeux du Serdaigle, c’était que même avec ces deux personnes, le flot de paroles de ses interlocuteurs ne dépassait pas le flot habituel d’une seule personne. Silas s’était un peu détendu ; s’il ne pouvait pas les considérait comme des amis, il savait qu’ils étaient assez agréables pour ne pas rendre son trajet interminable. Il n’était pas certain qu’ils aient assez de courage pour l’aider à tenir tête à la brute, après tout, aucun d’entre eux n’avait été réparti à Gryffondor.
À peine eurent-ils pris place à côté de Silas, que ce dernier se raidit comme s’il venait d’être victime d’un sortilège du saucisson. Son regard venait de se poser sur Joe Widdicombe, une grande asperge rousse dont le cerveau ne semblait pas correctement irrigué — sûrement un problème dû à sa taille, l’hypothèse se vérifiait puisque la brute paraissait elle aussi être une asperge. La présence du Poufsouffle évoquait, pour Silas, quelques sentiments positifs qui découlait de leur relation particulière, mais il était avant tout fâché contre lui. Il serra sa baguette dans sa main si fort qu’il eut peur de la briser, et la rangea dans sa manche sans un mot. Pendant qu’il s’affairait, Joe venait de parler et la voix du garçon sonna en Silas comme une alarme. Joe était synonyme de désastre, le Serdaigle releva la tête en catastrophe. Ses traits se métamorphosèrent, comme s’ils fondaient sous le poids de la réalisation : le roux venait de toucher à sa valise, sans lui demander son autorisation, pour la déplacer et la poser à terre. Et pour couronner le tout, le Poufsouffle venait de s’installer dans le porte-bagage comme si c’était tout naturel. Sa bouche s’était ouverte sous le coup de la stupéfaction et il la ferma en le réalisant. Il s’apprêtait à dire quelque chose lorsque les deux premiers arrivants parlèrent, l’un pour traîner un mot comme un zombie le ferait, l’autre pour remarquer l’absence de chaussures au pied de Murphy — ce qui était horrifiant, mais on s’y habituait finalement assez vite : du point de vue d’un né-moldu, ce n’était pas la seule bizarrerie qu’on découvrait en intégrant Poudlard. La bataille faisait rage dans le cerveau de Roxburgh, les mains jointes et les doigts entrelacés comme pour se soutenir lui-même dans sa volonté de protéger quelqu’un. Il avait pris une bonne résolution cette année : arrêter d’être lâche. Il se souvint de cette fois où il avait remarqué une bande de Serpentard se moquer d’un garçon bien plus petit. Il n’eut pas le courage de les arrêter et avait du attendre qu’ils partent pour rejoindre le garçon et le réconforter. Ce n’était pas digne d’un chevalier. Il prit une grande inspiration avant de lâcher ce qu’il espérait être un coup fatal dans un seul souffle, trébuchant sur quelques mots au passage :
— Et toi, le jus de pamplemousse qui fait floc floc dans ton cerveau, c’est de naissance ?
Il regretta instantanément, tourna le regard vers la fenêtre pour oublier qu'il venait, peut-être, d'attirer l'attention sur lui.

Il leva le coin de ses lèvres dans une tentative de sourire quand Angus les présenta et se rassit à côté de lui avant de venir presque se coller au troisième année pour ne pas avoir à toucher l'autre personne sur la banquette. Il ne s'attendait pas à ce que le plus grand se mette à parler mais fut contraint de voir que si la taille était un atout pour différents sports, ce n'était pas elle qui définissait l'intelligence des gens. Peut-être que ses pieds étaient plus irrigués que son cerveau ? Cela expliquerait pourquoi l'autre arrivant s'était coincé dans le porte bagages : allongé, tout son corps recevrait la même dose de sang partout. En conclusion, le plus idiot n'était pas le roux, mais plutôt le brun qui n'avait, comme tous les autres, pas prit la peine de se présenter mais qui se permettait d'agresser tout le monde comme s'il valait mieux. Il renifla quand il commença à parler mais fronça les sourcils alors qu'il commençait à parler d'Angus. La remarque de l'autre Serdaigle le désarma totalement. Ce n'était scientifiquement pas possible d'avoir du jus de pamplemousse dans la tête, ça ne permettait pas la survie de l'espèce. A moins que des études aient été menées et que la brute de bas étages soit en fait un espèce de cobaye ? Cela expliquerait beaucoup de choses.

Il se leva, faisant claquer ses bijoux, avant de tirer sa valise de sous les sièges et de l'ouvrir en vitesse. Il était en colère, hors de question donc de garder des sous-vêtements oranges. Pour le caleçon, il devrait sûrement faire avec mais pour les chaussettes il pouvait toujours faire autrement. Il grimaça en remarquant que, de toutes les couleurs, seul le rouge manquait dans son spectre de chaussettes. Ce fut sûrement la seule chose qui l’horrifia plus que les insultes balancées à Angus. Il se tourna d'ailleurs vers son ami en se mordant la lèvre alors qu'il rangeait précipitamment sa valise.

-Je n'ai pas de chaussettes rouges. Chuchota-t-il presque avant de continuer toujours sur ce ton : Je suis sûr que c'est de ta faute, dit-il en regardant celui qu'il pensait être à Serpentard. Tu apportes des mauvaises ondes ici avec ta stupidité.  

Il n'était pas tellement sûr que quelqu'un l'aurait entendu avec le vacarme qui régnait dans le compartiments mais il ne fit pas l'effort de se déranger à parler plus fort C'était stupide de répondre à quelqu'un d'idiot, il n'était même pas sûr de s'être fait comprendre, mais il partait du principe que si quelqu'un avait quoi que ce soit à reprocher à son ami, c'était qu'il n'était pas mieux.

La couchette improvisée de Joe n'était pas la plus confortable et l'obligeait à rester parfaitement immobile car elle n'était pas conçue pour y accueillir un être-vivant de sa taille. Mais le plus difficile était de s'endormir en présence d'individus qui faisaient autre chose que lui. Depuis plusieurs minutes, il essayait d'éloigner mentalement les voix de ses camarades, essayant de se bercer à travers elles mais, à part quelques papillonnements de paupières, le sommeil ne venait pas. Il écouta alors un peu mieux la discussion en cours dans la cabine tout en sachant que c'était une question de temps avant qu'il ne s'en désintéresse complètement. Visiblement, les garçons avaient trouvé intéressant comme passe-temps de s'envoyer des sortes d'insultes et Joe décida d'ouvrir un œil pour essayer de jauger si les choses pouvaient prendre un autre tournant ou bien s'il pouvait réellement s'endormir sur ses deux oreilles sans que des sorts ricochent partout dans la cabine. C'est ce moment-là que choisit le train pour démarrer dans un nuage de fumée épaisse.

Après un balayage rapide de la cabine, il constata que c'était seulement l'effet Kartheagle qui venait d'avoir lieu. Joe avait appris durant ses premières années à ne pas trop faire attention aux remarques que l'étudiant de Serpentard faisait sur tout le monde. Il suffisait que quelqu'un prenne mal quelque chose de sa part pour qu'on en arrive rapidement aux extrêmes. En plus, c'était assez drôle de le voir se faire incendier parce qu'à son expression du visage on pouvait voir que Kartheagle ne comprenait même pas comment il avait fait pour déclencher son effet. Il arborait sa "terrible face", comme Joe aimait bien l'appeler, qui le décrédibilisait complètement à ses yeux - parce que c'était pour lui la tête qu'on faisait quand on avait raté l'heure du goûter. Il émergea un peu en se tournant complètement dans son porte-bagages grinçant, pour mieux suivre la scène. « - Mais qu'est-ce que t'as bien pu dire encore pour énerver tout le monde comme ça ? » lança Joe en regardant le Serpentard avec une envie irrépressible d'en remettre une couche pour lui faire payer la noise de sa mornille.

Il n'oubliait pas à quel point Orwell s'était moqué de lui avant la pause de Noël, en réaction à la mauvaise idée de Joe de touiller une potion expérimentale avec une baguette magique. Ce dernier avait été extrêmement blessé dans son ego, et en même temps il y avait eu de quoi se moquer parce qu'il lui semblait qu'Orwell ne faisait jamais ce genre d'erreurs en cours de Potions. Il décida de laisser les Serdaigle se débrouiller, Silas devait forcément savoir ce qu'il faisait et, même s'il ne connaissait pas bien Angus et Cashel, Joe savait qu'ils n'étaient pas bagarreurs. Son regard se posa sur Charlie Primrose qui fixait le paysage dessiné à travers la vitre, avec l'air de quelqu'un qui se trouvait au bord de la crise. Charlie et lui partageaient un dortoir dans la maison de Poufsouffle et Joe apprenait un peu à s'adapter au garçon qui était, même si tout aussi complexe, bien le contraire d'un Kartheagle ou quelque autre élèves faisant partie des bandes organisées de Poudlard. Il trouva l'occasion parfaite de calmer un peu les tensions, pour pouvoir dormir sans craintes. « Eh les boulets, y a Charlie qu'est tout tremblant à cause de vous là, faites gaffe un peu ! »

Du bruit, du bruit, du bruit : partout, du bruit. On me bouscule, c'est désagréable. Je pose ma main par réflexe là où l'on m'a touché, comme si cela pouvait effacer ce contact indésiré. La personne à ma droite me dégoûte profondément. Il est trop tactile, trop bruyant, trop impoli et trop de beaucoup trop de choses : et moi, chaque nouvelle perturbation draine un petit peu plus mon énergie, me laissant toujours plus fatigué et encore plus sensible. Voilà que l'autre d'en face, que je pensais plus intelligent, rétorque de manière tout aussi idiote. Du jus de pamplemousse dans le cerveau, ça n'existe pas. Non, ça n'existe pas. *ça n'existe pas, ça n'existe pas, ça n'existe pas*. Je me concentre sur les paysages qui défilent, il y a des arbres, du ciel, des nuages, des maisons. J'aime les maisons, car on y trouve des cuisines, et dans les cuisines, il y a souvent des tire-bouchons. *ça n'existe pas, ça n'existe pas, ça n'existe pas* Je me bouche les oreilles, car le jus de pamplemousse ne veut pas sortir de ma tête : ça tourne en boucle. J'ai du jus de fruit dans le cerveau.

Je n'entends pas, je n'entends plus. Si d'autres prennent la parole, alors j'espère qu'ils n'attendent pas une réponse de ma part, car je ne suis plus là. Papa et maman disent que c'est impoli d'ignorer les autres -même si c'est toutefois préférable aux crises. Je culpabilise, alors pour paraître moins impoli, je grimace un sourire. Sourire est un acte poli. Suffisant, je l'espère, pour que ma barre de politesse retourne dans le positif.

Mais malgré mes oreilles bouchées, j'entends encore des bribes de voix, et parfois un son similaire à une cloche. J'étais très bien, tout seul, jusqu'à leur arrivée. Maintenant, ça ne va plus. Et ça va de moins en moins bien. Je vais finir par craquer, je le sens : surtout que l'autre à côté de moi ne sent vraiment pas bon. Je veux partir, mais l'obstacle qui me barre la route est bien trop effrayant. Soudain je me redresse alors ; visage tourné vers les intrus mais regard absent, et je crie :

« ON JOUE AUX MOINES JUSQU’À L’ARRIVÉE A POUDLARD. »

Manière détournée d'imposer le silence : plusieurs fois, enfant, j'ai demandé à mon entourage de cesser leurs conversations pour que l'on puisse profiter du silence. Hélas, je n'ai toujours obtenu que des éclats de rire en réponse. Aujourd'hui, il me semble alors plus logique de proposer cela sous forme de jeu : les enfants aiment jouer, alors les chances de succès sont plus élevées en formulant ma requête de cette façon. Bien évidemment, mes camarades devineront aisément que je fais référence au vœu de silence fait par certains moines. C'est une évidence !

Du pamplemousse ?! Roxburgh sous-entendait-il vraiment qu’Orwell avait un légume à la place du cerveau ? Ou bien un fruit, peut-être ? Le Serpentard n’était plus bien sûr ni de la couleur et encore moins de la forme de cette chose. Peu importait, il n'aimait de toute façon pas ! On venait de lui faire affront ! Si c’était encore possible, il fronça d’autant plus les sourcils et se leva dans le wagon. L’autre Serdaigle l’avait bien cherché, il allait se manger son poing dans la figure, et nah !

Au moment où Orwell s’approchait de Silas, l’action impromptue d’un Cashel ouvrant sa valise l’arrêta dans son chemin. Cette fois-ci, Orwell arqua un sourcil vers le haut, quelle mouche avait donc piqué cette énergumène ? Et, en plus, elle répondit (avec une voix tout à fait rauque pour une fillette de son âge, d’ailleurs). Elle prononça le mot “stupidité” envers lui. Mauvaise idée.

Orwell changea de cap, ignorant les paroles de l’autre singe dans le porte-bagage. C’était toujours pareil, toujours de sa faute, où qu’il aille, tout le temps. Il en avait marre et comptait bien le faire savoir. Alors que le petit blondinet à côté de la fille lui chuchotait des trucs chelous, Orwell était désormais à porté du Serdaigle aux cheveux longs et à la voix rauque.

Il brandit son poing, arma son coude pour lui donner plus d’impulsion et frappa. Le poing s'envola en direction du chétif garçon-fille trop bizarre au moment où Charlie prônait le jeu des moines, une drôle d'idée en plein trajet vers Poudlard, un lieu pas forcément croyant. Mais le cerveau d'Orwell était tout dirigé vers se vengeance, moine ou pas, il s'en foutait royalement et voulait voir l'abruti souffrir sous ses yeux.

Ce fût ce moment là que choisit le train pour effectuer un freinage brusque et Orwell plongea en avant sous le choc. C'est ainsi que le fier Serpentard se retrouva les pieds embourbés dans les chaussettes de Cashel, les bras en travers d'Angus et le menton bien trop proche des cuisses de Silas.

La fierté de l'adolescent allait en être définitivement entachée.