Et encore une insulte, ça y est. Tu roules des yeux, elle a pas bientôt fini de se plaindre ? Après tout, c'est elle qui a commencé cette guerre ouverte, ça n'était que justice qu'elle tombe à son tour dans l'eau, même si ce n'est pas toi qui a volontairement provoqué ça. Enfin elle n'a pas vraiment répondu à sa question. Parce que pour toi, non, ça n'est pas évident que dans une école en plein milieu de la Grande-Bretagne, tu trouves quelqu'un qui parle Russe. Tu sais bien qu'il y a beaucoup de gens ici, mais quand même, tu es assez surprise.

Mais elle ne semble absolument pas relever ça et regarde à la place son poignet où se trouve un espèce de bracelet, une sorte de montre mais avec un écran on dirait. Elle jure encore, si bien que tu te fais la réflexion que si elle continue, elle risque de se transformer en chartier, mais pour une fois, tu préfères garder la langue dans ta poche pour ne pas risquer de ne jamais avoir de réponse à ta question.

Après avoir tapoté sur son bracelet quelques instants, elle te dit que tu lui devras une montre, qui d'ailleurs n'était pas donnée. Tu hausses les épaules en guise de réponse et roule des yeux. L'argent, tu t'en fous. Tu en as plein et peu importe ce qu'elle te demande, si elle tient vraiment à sa montre, tu lui en rachèteras une. Tes parents ne t'ont pas beaucoup donné d'amour - ils étaient trop occupés à te dire quoi faire et ton père a te répéter qu'il aurait préféré avoir un fils - mais tu n'as jamais eu besoin d'argent : c'est un fait.

- Je te repayerais ce que tu veux.

Tu balayes l'air de ta main, comme pour dire que le sujet ne mérite plus qu'on y accorde la moindre attention. Tu n'en as rien à faire du prix, ni de ce qu'elle veut acheter. Toi, tu veux juste savoir une chose :

- Mais avant, dis moi où tu as appris à parler Russe. Tu ne viens pas de là-bas, si ?

La Poufsouffle sort de l'eau comme toi quelques minutes auparavant, mais au lieu d'essayer de retirer toute l'eau de ses vêtements ou de sa tenue, elle te contourne avec méfiance, baguette toujours en main. Tu ranges la tienne, comme pour montrer que tu ne feras rien de plus, et la regarde attentivement.

Tu veux cette réponse.

Son arme rangée, la trêve était donc déclarée. Toujours un peu méfiante, Castielle consenti à baisser un chouïa sa garde. Quand l'adversaire faisait un geste, il ne fallait plus lui cracher dans la main. D'expérience elle savait qu'alors se déclenchait une guerre cent fois plus virulente que la précédente. En combat, contrairement à ce qu'on peut penser, on apprend à savoir reconnaître le moment où s'arrêter. Sage est celui qui sait quand se battre et quand s'abstenir. L'enseignante en tactique qu'elle avait eu pendant deux ans au camp militaire avait cet adage accroché sur le mur de son bureau. Plus jeune, Castielle ne l'entendait pas de cette oreille. Encore aujourd'hui d'ailleurs elle avait du mal à se contenir ! Mais pour l'instant, elle se préoccupait plus de sa montre que du reste. Ce petit accessoire avait beau ne pas fonctionner à l'école à cause des ondes magiques perturbatrice, elle ne se sentait pas le coeur de l'abandonner au fond de sa malle pendant un an. Son smartphone y dormait déjà, ainsi que quelques jeux moldus, et c'était déjà bien assez de parts d'elle-même mises au placard à cause des bizarreries sorcières. Cette montre c'était un signe ostentatoire de ce qu'elle était et elle voulait le garder, point barre.

« Y a intérêt ! Du coup tu me dois 20 Gallions, p'tite sirène. » Le surnom était de la pure provoc'. Une manœuvre assez culottée quand on sait qu'elle-même était encore trempée. Elle avait des gouttes qui faisaient la course sur ses verres de lunettes. La préfète ne comptait pas s'essorer à la force de ses bras, elle n'en avait pas la patience. Un #Consectetuer Dryer sera beaucoup plus efficace pour se sécher et se réchauffer. Tout en s'appliquant sur chaque bout de tissu qui valait la peine d'être ensorcelé, Castielle réalisa enfin le petit tour que lui avait précédemment joué son cerveau. Attendez, elle est russe l'autre patate là ? Un sourcil levé sous la surprise, la jaune répondit :
« Mon papa est russe. C'est quasiment ma deuxième langue maternelle. Mais je ne suis allée là-bas que quelques fois, pour des voyages. »

Son avocat de paternel avait un rapport très spécial à sa patrie. D'un côté il avait insisté pour apprendre à sa fille tout ce qu'elle devait savoir pour passer pour une parfaite immigrée russe. D'un autre il avait toujours été hésitant à retourner au pays plus longtemps que quelques semaines, maximum deux mois de vacances. Petite, Castielle ne comprenait pas pourquoi. Saint-Petersbourg étant la ville la plus magnifique qu'elle ait jamais vu et si on lui avait demandé son avis elle aurait crié de joie à l'idée d'y rester ! Mais en grandissant elle comprit que c'était plutôt la famille de son père qui le mettait si mal à l'aise et le poussait à repartir au plus vite. De sales histoires de familles qu'elle ne découvrait qu'au compte-gouttes, quand l'un de ses deux parents consentaient à lui en parler maintenant qu'elle était plus grande.
« T'as pas l'accent de Vladivostok... t'es de quel coin toi ? »
A l'extrême pointe est du pays, tout proche de la mer du Japon et à la frontière de la Corée, les gens étaient absolument adorables. Ils avaient la voix posée et juraient si rarement que Castielle en ressentait encore l'impression d'avoir été sur une autre planète. Ça devait être la proximité avec la glace du pôle et les baleines qui rendaient les gens de là-bas si humbles.

Elle baisse sa baguette et tu te dis qu'enfin, vous allez peut être pouvoir avancer sur la question qui t'intéresse. Tu es peut être insistante, mais entendre la langue avec laquelle tu as vécu tous les jours pendant de longues années, ça t'a un peu chamboulée, même si tu ne l'avouerais pour rien au monde. Parce que même si ici, il y a clairement des gens intéressants, ce n'est pas toujours facile de dire au revoir à un lieu qui t'a vu grandir.

Quand elle te dit que tu lui devras 20 Gallions, tu hoches la tête d'un air lassé et lui indique qu'elle n'aura qu'à te suivre après tout ça pour que tu les lui files. As-tu conscience que c'est pas du tout à toi de lui payer ça et que si elle ne voulait pas être mouillée, il ne fallait pas te chercher ? Certainement. As-tu envie de débattre avec elle sur cette petite somme d'argent plutôt que de parler de ses compétences linguistiques en Russe ? Certainement pas.

Et enfin, enfiiiiin, elle comprend de quoi tu parles et que tu parles toi aussi Russe. Eh bah, il a fallu du temps pour que ça monte au cerveau. C'est la course qui a ralenti la communication ou bien l'eau ? Tu retiens ces remarques sarcastiques et l'écoute répondre à ta question. Du coup elle a du sang Russe mais n'est pas souvent allée là-bas.

Elle cite ensuite une ville que tu crois être à l'autre bout du pays. Eh bah, si toi tu viens de loin pour aller ici, elle vient carrément de l'autre bout du monde. Toi, tu as été trainée à divers endroits à cause de ton père, mais du coup, habituée à changer de ville ou pays tous les 2 ou 3 ans, tu ne t'étais pas fais d'amis en dehors de Durmstrang. Tu pensais qu'il te laisserait finir l'école de magie avant de t'imposer un déplacement trop lointain, mais tu te trompais. Il n'en a eu rien à faire que tu perdes tous tes amis.

Ma famille a bougé entre Moscou, Saint-Petersbourg et Londres. J'étais à Durmstrang jusqu'à cette année mais mais quand j'y étais, je retournais chez mes parents uniquement pour les vacances. Je suis née à Moscou en tout cas.

Pourquoi tu racontes tout ça Sasha ? Sans doute parce qu'elle s'est exprimée aussi et que pour une fois que tu parles Russe, tu peux bien dévoiler un peu de toi, surtout si elle l'a fait aussi. Elle ne t'est pas plus sympathique, mais inconsciemment, tu te sens sans doute un peu plus lié à elle que tu l'étais au départ.

Tu ne sais pas si c'est une bonne chose, ou pas.

Une Moscovite déracinée. Castielle écouta sagement sa compatriote égarée tout en continuant de se sécher. Elle qui s'était tant plainte de son déménagement du Connecticut à ici, elle avait une vague idée de ce que pouvait ressentir quelqu'un qui avait été bougé contre son gré plus d'une fois à travers les continents. C'était pas facile. S'habituer à l'heure, le temps, les manières, la langue, les gens. Tout recommencer depuis le début, encore une fois. Ça n'avait rien d'amusant. Pour un petit instant de répit dans leur guerre froide, Castielle éprouva un soupçon de compassion pour cette brune qui débarquait. Retirant ses lunettes de son nez le temps de les essuyer (un pur réflexe, puisque son sortilège de séchage fonctionnait aussi sur ses verres), les montures reprirent leur aspect transparent. C'était comme ça quand elles n'étaient plus en contact avec elle et ses émotions. La sorcière se demanda de quelle couleur elles seront une fois de nouveau en place. L'inconvénient de cet objet magique étant que le porteur n'en était pas le premier informé, alors que tout venait de lui à la base !

« Ah ouais t'as pas mal bougé. Moi à la base je suis Américaine mais je suis arrivée ici y a... bah deux ans. J'sais pas comment est Durmstrang mais comparé à Illvermorny Poudlard est un peu chelou. Tu sais, l'éducation douce à l'Européenne. C'était chaud au début quand je suis arrivée, l'adaptation a été rude. »
Le premier choc a été sur sa façon de parler. Elle avait un accent à couper au couteau en débarquant de l'avion et personne ne se gênait pour le lui faire remarquer. Ça lui a même valut de se faire arnaquer par des taxis qui flairaient en elle le parfait pigeon de touriste. Quand elle s'en est rendue compte, ça avait chauffé pour leur matricule ! Elle avait résisté au début et puis finalement, elle s'est lissé la voix. Comme tout le monde. Pour s'intégrer, quelle le veuille ou non.

Ses verres de nouveau en place, une couleur turquoise nostalgique prit immédiatement d'assaut les montures. On aurait dit une tache d'encre se répandant à toute vitesse dans une bulle d'eau.
« Tu sais ce qui me manque le plus de Russie ? La bouffe. Genre, des fois, je rêve de retourner à Pavlovsk pour manger des Piroshki à la fête de Maslinitsa. Ou de retourner à Petersbourg et déguster le bortsch du Botanika au bord de la Neva. Ici tout est fade, c'en est démoralisant. »

La préfète avait déjà eu cette conversation, à peu près, avec le prof de vol. C'était du temps où elle-même ne portait pas encore de badge et où la borgne s'appelait encore Bennet. L'Anglaise avait défendu les valeurs culinaires de son pays avant de concéder à l'Américaine que tous les goûts devaient être satisfaits. Elle avait même émis l'idée d'organiser une semaine de découverte culinaire où chacun pourrait faire découvrir les saveurs de chez lui. Faudrait qu'elle se repenche sur le projet maintenant qu'elle était a un poste un peu important !

« Tiens hé si tu veux un resto à Londres pour manger comme là-bas, faut aller au Oukrop ! J'te filerais l'adresse, c'est dans les quartiers sud-est, pas loin du coin indien. C'est comme un p'tit bout de Russie qu'on aurait implanté ici, la magie de l'immigration ! »
Ça y est ! Elle était complètement sèche. Sa montre faisait toujours la morte et toute cette conversation lui avait donné une faim de loup ! D'ailleurs son estomac ne se priva pas de la faire savoir à grand coup de gargouillis peu discrets.

Spoiler:

Elle repasse à l'anglais mais toi, tu n'en as aucune envie. Tu comprends ce qu'elle dit et elle comprendra si tu continues de parler en Russe, la langue d'une partie de ton enfance. Tu ne parles que trop rarement à ton goût cette langue qui a su se faire une place dans ton cœur au fur et à mesure des années passées là-bas. Et maintenant que tu es de retour en Angleterre, tu te sens comme privée d'une partie de toi-même, comme tu l'as ressenti quand tu as du faire le voyage inverse étant petite.

Alors trouver un bout de Russie ici, c'est assez rare, assez précieux pour que tu t'y accroches, même si ça veut dire se sociabiliser avec une personne que tu aurais probablement envoyer ch*er en temps normal. D'ailleurs, si elle savait que tu as passé de nombreuses années de ton enfance ici, peut être qu'elle serait un peu moins impressionnée. Car tu n'es pas seulement Russe, tu es aussi profondément Anglaise, car des années précieuses de l'enfance ont été passées ici. C'est d'ailleurs pour ça que tu n'as pas mis longtemps à retrouver un très bon accent plutôt que cette bouillasse anglaise parlée par certains Russe en Angleterre.

Elle est Américaine en tout cas. Quel drôle de mélange ! Mais vous vous accordez clairement sur le fait que Poudlard n'est pas très sévère. On est loin d'une éducation à la Russe, clairement. Alors tu acquiesces simplement, confirmant que pour toi aussi, Poudlard offre une éducation plus... douce que Durmstrang.

Tu aurais pu remarquer les montures de ta camarade qui changent de couleur, mais tu es trop plongée dans ton monde pour cela. Tes yeux sont tournés vers la Russie et ce qu'elle représente, mais pas vraiment sur elle. Surtout quand elle commence à parler de bouffe. Tu n'aimais pas tout ce que t'imposais ton père, mais les festins étaient clairement appréciés. Tu n'as jamais été une grosse mangeuse, mais tu sais reconnaître les bonnes choses.

- Complètement d'accord, c'est vrai que les Russe savent faire des plats qui te donnent l'eau à la bouche, pas comme la jelly par exemple. C'est quoi ce truc ? Ça n'a aucun intérêt !

Et un petit tacle au passage pour la cuisine anglaise. C'est vrai que si tu devais choisir de mixer les deux pays, ce n'est pas la bouffe anglaise que tu choisirai. Par contre, hors de question de perdre ton Elhëna retrouvée, et la température ici est quand même pas mal par rapport à la Russie.

- Je veux bien l'adresse ouai. Je connais pas encore bien Londres, mais je me démerderai.

Avec la magie, ça devrait le faire non ? Et puis au pire, un peu de marche ne te fait pas peur, et tu as toujours du temps à perdre alors si un jour tu sens que tu as envie d'aller manger un plat Russe, tu le feras sans doute. Pas besoin de prévoir ça 1000 ans à l'avance.

Cette conversation a du ouvrir l'appétit de la Jaune, parce que son ventre fait soudain un bruit qui t'arrache un rire.

- Je crois qu'il est temps d'aller manger notre petit-déjeuner, après une bonne douche pour ma part.

Tu viens de repasser à l'anglais, comme la fin d'une parenthèse qui était tout de même fort agréable. La bulle est percée et le monde anglais va reprendre ses droits dans ta vie, mais tu n'oublieras pas que tu as trouvé un bout de Russie ici.

Une information précieuse, à n'en pas douter

Spoiler: