Keats, jeune homme de vingt-six ans, de taille haute et de figure agréable, paraissait en réalité beaucoup plus âgé. Il était svelte et on le devinait d’une grande force physique, mais il y avait néanmoins quelque chose de maladif dans ses traits. Le visage était maigre, les joues affaissées, avec un teint présentant des reflets jaunâtres malsains. Les yeux clairs, assez grands et saillants, avaient une expression vague, bien que sa façon de regarder fût en apparence ferme et assurée. Même lorsqu’il gardait son calme et parlait avec des tremolos, son regard semblait ne pas obéir à son état d’âme et traduisait fréquemment des sentiments différents, en désaccord avec les circonstances. « Il est difficile de savoir ce qu’il pense », observaient ses interlocutrices.

« Je crains, Mr. Keats, que vous n’en dîtes pas assez », dit la Peltz qui posa ses coudes sur la table et approcha, avec une lenteur déconcertante, son visage de celui de Keats.

Il était visible qu’elle avait préparé cette réplique d’avance et qu’elle l’avait fait avec sincérité, estimant de son devoir de témoigner, par ce geste, son incrédulité et son langage propre. Ses doigts jouaient innocemment avec la missive reçue il y a peu. Son visage avait pris soudain une expression grave et compassée, ce qui lui donnait toutefois l’air méchante. Portant son buste en avant, elle s’apprêta à suivre la discussion interrompue. Le discours de Keats n’avait guère pris plus de deux minutes, et le débat devait forcément rebondir tout de suite après.

« Voyez-vous, nous désirons ardemment savoir qui vous a sorti du sortilège et vous a expliqué l’attaque, mais aussi pourquoi vous étiez dans la volière, pour quoi faire ? J’ai pourtant cru avoir été claire en vous demandant de livrer votre témoignage avec la plus grande honnêteté. Ces trois silhouettes, qui étaient-elles ? Des Mangemorts ? Des élèves ? Le gardien de Poudlard a été mis hors-jeu par des élèves ? Vous étiez à l’extérieur, n’avez-vous rien vu d’autre ? »

Rosalynn fronça les sourcils, l’air très sombre, et fixa sur le gardien un regard d’inexprimable mépris.

« Le château était truffé de pièges qui ralentirent toutes les actions possibles. Vous n’aviez rien vu les jours précédents l’attaque qui aurait pu alerter en tant que gardien ? Bordel, vous faîtes quoi de vos journées ?! »

« Le diable seul sait s’il dit la vérité ! » songeait la Peltz tandis qu’elle fixait, d’un regard étonné et perplexe, Keats.

Rosie avait posé des questions à Leo sur sa vie et ce qu'il avait fait avant l'attaque de Poudlard. Luia avait écouté le tout puis elle écouta avec attention la réponse de ce jeune homme qu'elle connaissait un peu. Il commença par dire:

C'est flou, je suis tombé·e, j'ai eu du mal à me souvenir après.

Bien sûr, c'était assez logique. Voyons ce qu'il allait dire ensuite. Il continua ainsi:

J'étais à la volière pour envoyer un courrier à ma sœur, Kathleen Gold, il m'arrive parfois de prendre un peu de temps pour moi sur mes horaires de travail, comme tout le monde je suppose.

Evidemment que oui, tout le monde prenait du temps sur ses heures de travail, sauf les Aurors, bien évidemment. Mais ce n'était pas ce qui nous préoccupait ce jour-là. Luia reporta son attention sur Leo. Il regarda les deux Aurors avec un air interrogatif puis Leo ajouta:

Je vous l'ai dit, j'ai entendu du bruit, alors je suis sorti·e, j'avais peur de me faire surprendre surtout.
Y avait trois formes qui courraient vers moi, sur le coup j'ai cru que c'était tout bêtement trois élèves grimés en bandits qui voulaient tout simplement faire une mauvaise blague. Mais quand ils se sont rapprochés, j'ai vu que ce n'était pas le cas.

Il fronça les sourcils puis il ajouta:

Il y en avait un très grand, avec un masque un peu rouge je crois. Et un deuxième avec un très long nez. Un peu comme ce pantin dans le conte là, vous voyez ?Et le troisième je sais plus. Enfin bref, il m'a pas fallu longtemps pour comprendre que c'était pas des élèves. J'ai même pas eu le temps de sortir ma baguette que je me suis retrouvé·e assommé·e. J'ai été réveillé·e par le concierge, Hugh Dey, qui était un peu sonné lui aussi. .

Après ce monologue, Leo fit une pause afin de reprendre son souffle puis de dire:

J'ai compris de quoi il s'agissait en arrivant sur les lieux. C'était difficile de passer à côté aussi. Puis j'ai beau pas être une flèches, des capuches plus des dégats, faut pas être De Vinci pour comprendre ce que ça veut dire. Quant aux jours avant l'attaque, j'ai croisé plusieurs fois le directeur dans les couloirs. Enfin plus que d'habitude je veux dire, mais je pense pas que ça veuille dire grand chose. Il se fait peut-être chier tout seul là-haut.

Luia avait tout noté sur un parchemin, laissant Rosie écouter et noter aussi si besoin. Luia laissa le jeune propriétaire des Trois Balais se remettre avant de demander:

-Bien, vous avons tout noté. Nous avons encore quelques questions à vous poser. Donc vous avez cru que c'était des élèves déguisés au début, mais pourquoi? Il y a aussi un peu d'approximations dans vos réponses, par exemple, "avec un masque un peu rouge je crois". Vous croyez ou vous en êtes sûr? Vous avez donc vu trois personnes masquées, vous confirmez? Sinon le directeur a quitté son bureau et s'est baladé dans les couloirs. Comme vous dites, c'est normal qu'un directeur quitte son bureau pour aller dans son école. Vous n'avez cependant rien vu de suspect?

Luia le regarda, prête à noter ses réponses. Elle espérait que Rosie ne lui en veuille pas de continuer l'interrogatoire à sa place en posant quelques questions.

Elle restait sévère, dans l’ombre croissante de la pièce. Les murs blancs se couvraient d’ombres, ces cloisons immaculées qui la faisaient si souvent rêver des idées de là-bas. L’apparence encore était nue, la consistance barrait l’horizon, elle évoquait la détresse de ces vielles idées endormies sur leur solidité, et que la raison allait réveiller dans sa crasse et son ignorance. Les murs blancs ronflaient d’une modestie muette, d’un ascétisme intransigeant poussant de l’antique pensée, labouré à nouveau par le progrès.

Ses lèvres s’agitèrent en un rictus incontrôlable – tandis qu’une boucle eut l’audace de se poser sur son front strié. Son père, qui connaissait bien ses habituelles pensées, aurait suivi sur son visage cet espoir de l’avenir. Elle s’irrita de nouveau, prise d’un scrupule de délicatesse. Puis, elle osa tout de même, volontiers brutale devant les autres.

« Mr. Keats, s’était-elle décidée à dire, je vous ai demandé de me livrer votre témoignage avec la plus grande honnêteté. Je vais donc appliquer cette requête à moi-même. »

Elle attendait, et elle hésitait maintenant, balbutiait, saisie de ce sentiment d’austérité froide qu’elle sentait autour d’elle.

« Je vous crois – partiellement. J’ignore si vous l’avez remarqué mais nous vous avons demandé à plusieurs reprises de répéter votre discours. La raison était qu’un point dans ce que vous avez déclaré diffère des autres témoignages que nous avons reçus. Et pourtant, vous avez maintenu le même discours. Un maintien qui, je dois l’admettre, m’a convaincu : il ne pouvait plus s’agir d’une erreur ou d’une confusion. Ainsi, je vous crois sur ce point : il y avait trois Mangemorts à Poudlard. C’est une information particulièrement intéressante lorsque l’on dispose d’un autre témoignage affirmant que seuls deux Mangemorts sont entrés par les grilles de Poudlard. Qu’est-ce que cela signifie ? Nous savons désormais qu’un Mangemort est infiltré à Poudlard et qu’il se trouvait entre les grilles et votre emplacement lors des événements. Et ce qui me réjouit dans cette situation, c’est que l’échantillon de suspects est bien plus restreint à présent – et j’ai le regret de vous dire que vous en faites partie… »

Rosalynn, qui s’était mise à sourire, déjà séduite par l’énormité de la déduction, sans être convaincue, ne put s’empêcher reprendre : « Je crains, Mr. Keats, que cet interrogatoire ne doive s’achever à présent. J’imagine que nous allons être amenés à nous revoir, et la prochaine fois vous n’échapperez pas au véritaserum ! »