Cliodhna venait de terminer sa brève revue de la signification de leurs patronus respectifs et le professeur Wolf ne tarda pas à reprendre les choses en main pour que le cours avance. Malgré que son initiative avait constitué une petite digression, la jeune femme se fit la réflexion que cela leur avait à tous permis de se ressourcer un peu avant ce qui les attendait.

Mais avant que les choses ne se poursuivent, Alicia, la jeune élève de Poufsouffle, posa une question assez pertinente. La gryffondor y avait d'ailleurs songé un peu plus tôt dans la soirée, mais elle avait jugé qu'elle pouvait tout aussi bien s'informer elle-même à ce sujet. Cela concernait l'influence du souvenir choisi sur la forme prise par le patronus. La réponse de leur prof de DCFM était des plus éclairantes et, en effet, tout ce qu'elle dit paraissait logique.

Une fois qu'elle eut terminé ses explications, l'enseignante sortit sa baguette et déplaça l'une des quatre malles. Cela ne manqua pas d'agiter la créature qu'elle contenait. Cliodhna se dit que les choses ne tarderaient pas à se corser. Ils furent ensuite invités à se placer à l'intérieur du cercle que leur prof était occupée à tracer lors de leur arrivée. La gryffondor s'exécuta aussitôt, animée par une certaine curiosité vis-à-vis de la suite des événements malgré une certaine appréhension. Le professeur Wolf poursuivit:

"Bien. Alors, comme vous pouvez le voir, il y a ici quatre coffres. Chacun contient un Epouvantard, qui a subi un sortilège puissant qui le force à prendre la forme et à adopter le comportement du Détraqueur, le danger mortel en moins. Vous vous doutez bien que je n'aurais pas fait venir une de ces abominations dans les murs de l'école, aussi pédagogique que cela puisse vous sembler... Bref, vous devrez naturellement le repousser et le forcer à rentrer dans sa malle, c'est aussi simple que ça. En théorie. Vous verrez que créer un Patronus avec les sensations terribles que provoquent ces créatures est une autre paire de manche qu'en invoquer un lorsque vous êtes au calme avec vous-même. Pour le moment, un seul d'entre vous va affronter l'Epouvantard que contient cette malle-ci, en vous mettant devant elle, à l'extérieur du cercle. Les autres resteront dans le cercle tracé au sol, qui représente un périmètre de sécurité que mon propre Patronus va garder. J'ai besoin d'un volontaire, à vous de décider qui se lance en premier"

Certes, le contenu des malles n'était pas une très grande surprise, mais la jeune femme ne put s'empêcher de grimacer à l'idée d'être confrontée à un détraqueur. Et ce même s'il n'était pas réel. Elle avait la chance de n'avoir jamais été approchée par ce genre de créatures et elle espérait vivement que l'occasion ne se présente pas de sitôt!

Il fallait donc un volontaire. Cliodhna jeta un bref coup d'œil aux quatre autres et elle jugea qu'ils ne semblaient pas très enclins à se dévouer. Pour sa part, elle n'était toujours pas pleinement remise du fait qu'elle avait été la dernière à réussir à produire un patronus corporel et elle pensa c'était plutôt une bonne occasion de faire ses preuves. En se proposant, elle pourrait leur montrer qu'elle n'avait pas froid aux yeux et elle pourrait peut-être même gagner leur estime en parvenant à atteindre l'objectif souhaité: forcer la créature à retourner dans sa malle. Elle se dit qu'ils ne devaient pas avoir autant envie d'y aller qu'elle et, après une courte hésitation, elle sortit du cercle de protection et déclara:

"Je vais le faire! Enfin, si personne ne tient à commencer...". Elle avait l'air déterminée, mais on pouvait aisément sentir à sa voix qu'elle n'était pas tout à fait sûre d'elle et qu'elle angoissait un peu. Elle attendit l'approbation des autres et surtout l'acquiescement de mademoiselle Wolf puis elle s'avança vers la malle. Elle se mit en position et pointa sa baguette vers le coffre. Elle paniquait un peu. Son cœur battait à tout rompre et elle sentait ses genoux trembler légèrement. Ce mouvement était accentué par ses petits escarpins et elle se dit que, tout compte fait, elle aurait peut-être vraiment mieux fait d'éviter. Elle tourna la tête vers sa professeure pour lui donner son feu vert, puis elle ramena toute son attention sur la malle.

Elle eut à peine le temps de souffler que, d'un coup sec, le couvercle se souleva et que le détraqueur apparut. Les yeux de Cliodhna s'écarquillèrent. C'était pire que tout ce qu'elle avait pu imaginer. La masse noire s'avançait doucement vers elle. Et sa tête, bien que partiellement dissimulée par un chaperon noir, était des plus répugnantes. C'était tout bonnement ignoble. Le visage de la chose ressemblait à celui de la mort en personne et la jeune femme fut particulièrement choquée par l'absence d'orifices oculaires. Le plus terrible résidait cependant ailleurs, c'était les mains: grisâtres, squelettiques, poisseuses et couvertes de croutes. Elles étaient tendues vers Cliodhna et s'approchaient dangereusement.

Il y avait également cette aura sombre et glaciale qui émanait de la chose. La gryffondor sentit son corps se frigorifier et son cœur se crisper. Peu à peu, elle se sentit gagnée par des émotions très sombres. Toutes les choses heureuses qu'elle s'était remémorée auparavant, tant qu'à elles, étaient comme aspirées par la créature qui sembla gagner en puissance. Pleins de souvenirs plus terribles les autres que les autres se bousculèrent dans la tête de la jeune femme. Des disputes, des batailles, des moments de doute, cette sensation de vide qui la gagnait si souvent, des pleurs, ce doute qui planait sur l'avenir, sa phobie de l'échec, le décès de sa grand-mère, la haine qui était enfuie en elle, la jalousie malsaine qu'elle avait développé vis-à-vis de certaines personnes, la solitude, sa peur de l'abandon, un affreux sentiment d'infériorité, ...

Tout cela et beaucoup d'autres choses encore lui montèrent à l'esprit et, au moment où elle voulut lancer le sortilège du patronus, il était déjà trop tard. Cliodhna ne parvint pas à se focaliser sur le souvenir heureux qui, seulement quelques instants plus tôt, lui avait permis de faire se matérialiser son premier patronus corporel. Elle fit tout de même une tentative, mais la faible brume argentée qui en résulta ne fut pas de taille face au détraqueur qui continuait à gagner du terrain. Elle se sentit peu à peu chavirer et elle finit par perdre l'équilibre, ses talons n'aidant pas. Elle s'écrasa brusquement sur le plancher de bois, mais cela lui permit de retrouver un peu ses esprits et de reprendre le contrôle. Elle fit un nouvel essai de patronus, à peine plus concluant que le précédant et, alors qu'elle se sentit à nouveau gagnée par les idées sombres et que toute trace de pensée positive disparaissait à nouveau de son esprit, elle entreprit de se trainer jusqu'au cercle délimité par la craie afin de bénéficier de la protection du patronus du professeur Wolf.

Cliodhna se démenait donc pour rejoindre le cercle protecteur. Toujours au sol, elle essayait tant bien que mal de trouver la force pour résister à la créature qui ne lui laissait aucun répit. A peine avait-elle franchi la ligne de craie que le loup argenté du professeur s’occupa de l’épouvantard qui fut forcé de retourner dans sa malle. Cet effort l’avait épuisé et la jeune femme s’affala à même le sol, le temps de se remettre de ses émotions. Elle ferma les yeux. L’effet que pouvait avoir un détraqueur sur son esprit était pire que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Ce fut un soulagement pour elle que la créature se retrouve hors d’état de nuire et elle sentit que les idées noires qu’il avait ravivées en elle s’estompaient peu à peu.

C’est alors qu’elle sentit sa professeure s’approcher d’elle. Elle rouvrit les yeux et se releva avec l’aide de cette dernière. Encore un peu abasourdie, elle n’entendit qu’à moitié ce que venait de dire Wolf.

"C'est fini, Miss Quinn. Je ne m'attendais pas à ce que vous parveniez du premier coup à repousser cette créature, ni vous ni personne, d'ailleurs. Mais ce n'était malgré tout pas si mal que ça, vous avez au moins réussi à invoquer une vague forme de Patronus. Insuffisant, mais c'est un début, cela viendra avec de l'entraînement. C'était courageux de votre part de vous porter volontaire. Tenez, mangez ça, cela vous fera du bien"

Elle saisit le morceau de chocolat et, sans réfléchir, croqua dedans. En temps normal, il était certain que la gryffondor aurait réfléchi à deux fois, accordant une attention certaine à sa ligne, mais ce n’était pas le moment pour ça. Pour tout remerciement, elle sourit vaguement au professeur Wolf, n’ayant pas encore les idées tout à fait en place. C’était étonnant d’ailleurs l’effet que pouvait avoir ce simple bout de chocolat à la menthe. De paire avec l’effet chaleureux que pouvait lui procurer le patronus en forme de loup venu la soutenir, il lui procura une vague impression de plaisir qui eut vite fait de chasser la tristesse et le désespoir causés par le détraqueur. Une fois qu’elle estima qu’elle avait eu assez de chocolat, elle lança le plus discrètement possible (elle ne voulait pas offenser son professeur) un petit Evanesco dessus pour faire disparaître ce qu’il en restait. Un peu c’était bien, mais il ne fallait pas abuser des bonnes choses.

Remise de ses émotions, elle réalisa peu à peu la piètre prestation qu’elle venait de faire. Cela fit naître un profond sentiment d’insatisfaction. En gros, il serait arrivé à peu de choses près la même chose si elle ne s’était pas entrainée à produire un patronus corporel juste avant… Vraiment, c’était très mauvais et elle jugea que ce n’était pas digne d’elle. Malgré le fait qu’elle était un peu épuisée, c’était limite si elle n’avait pas envie de retenter le coup tout de suite pour se prouver qu’elle en était capable. Elle fut bien vite sortie de ses pensées par la prof:

"Je suis sûre que cela sera très instructif pour vos camarades si vous leur décriviez un peu ce que vous avez ressenti, Miss Quinn, si vous le voulez bien. Par ailleurs, j'aimerais qu'un de vous trois, qui avez jusque là observez, prenne la place de notre volontaire, afin de voir comment vous vous en sortez. Ce n'est pas simple, mais c'est avec la pratique que l'on parvient aux meilleurs résultats", avait-elle suggéré.

"Oh oui, bien sûr", répondit Cliodhna, l’air pensive. "Enfin, avant tout, excusez-moi d’avoir été aussi lamentable. C’est que je ne m’entendais pas… Je veux dire que de la théorie à la pratique, il y a une marge". Elle baissa les yeux, visiblement pas ravie de reconnaître sa médiocrité. Ça la mettait très mal à l’aise de ne pas se sentir à la hauteur de ce qu’on aurait pu attendre d’elle et l'échec était sans doute une des choses qu'elle redoutait le plus. "Ce qu’on ressent, c’est pas facile à expliquer. C’est un peu comme si le détraqueur nous gelait de l’intérieur. Peu à peu, toute notre force disparait et laisse place à des choses horribles. On a l’impression qu’il aspire tout ce qu’il y a de positif en nous pour ne laisser que la tristesse et les idées sombres. Je ne sais pas si je suis très claire…", tenta-t-elle pour décrire l’effet que cela faisait. Ce n’était vraiment pas facile de mettre des mots sur tout ça. "En tout cas, il faut vraiment réagir tout de suite, je crois. Moi je me suis laissée impressionnée et il a commencé à avoir de plus en plus d’emprise sur moi. En final, je ne suis même plus parvenue à penser à un souvenir heureux. Si j’avais réagi plus vite, j’y serais sans doute arrivée", crut-elle bon d’ajouter, en guise de conseil pour le prochain.

Lorsqu’elle eut terminé, elle prit place sur la chaise qui venait d’apparaître. Cela lui ferait de bien de se reposer un peu, surtout si elle voulait faire une seconde tentative un peu plus tard dans la soirée. Une chose était sûre, c’était qu’elle ne voulait pour rien au monde rester sur un tel échec. Elle sentait qu’elle pouvait y arriver. La surprise de la première fois dépassée, il n’y avait aucune raison qu’elle ne parvienne pas à battre ce fichu épouvantard. En attendant, c’était aux trois autres de faire leurs preuves et elle avait hâte de voir comment ils se débrouilleraient. En particulier Elwaen avait qui elle sentait naître une certaine complicité.

Remise peu à peu de ses émotions, Cliodhna avait suivi la tentative d’Elwaen avec beaucoup d’attention. L’air pas vraiment rassuré qu’il avait eu en s’avançant vers la malle qui renfermait le Détraqueur. La façon qu’il avait eu, tout comme elle, de reculer lorsque la créature apparut plutôt que de l’affronter directement, avant qu’il ne l’affecte. Et ce n’était pas faute de l’avoir prévenu pourtant… Il avait semblé à la jeune femme que le Serpentard avait eu du mal à ne pas vaciller. Plutôt que de faire ce qu’il avait à faire, c’est-à-dire lancer le sortilège du Patronus, il s’était mis à hurler à la chose de la fermer. Pourtant, elle était bel et bien silencieuse. Cela avait mis la Gryffondor encore plus mal à l’aise que de par la seule présence du Détraqueur. Les paroles d’Elwaen résonnaient dans la pièce où il n’y avait pas le moindre bruit. Un silence glacial dans lequel les avait plongé l’Epouvantard.

Il avait enfin fini par réagir rationnellement, mais il était déjà trop loin et la chose avait certainement déjà trop profané son esprit avec ses idées noires. Comment pouvait-on, plongé dans un tel état, faire appel au moindre souvenir heureux? Cliodhna l’ignorait encore, mais elle était bien décidée à rapidement percer ce mystère. En larme (enfin, c’est ce qu’elle réduit de sa voix puisqu’il lui tournait le dos), le jeune homme finit par tenter une dernière chose. Un Expulso. Ce n’était pas une mauvaise idée en soi, mais tout le monde savait que ce n’était pas le genre de sorts qui pouvaient atteindre un Détraqueur… A quoi bon apprendre à maitriser le sortilège du gardien sinon?

Elwaen finit par s’effondrer dans le cercle protecteur, au grand soulagement de tous ou en tout cas de la Gryffondor qui s’était recroquevillée sur sa chaise. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, le loup fantomatique de la prof se jeta sur la chose et la força à regagner le coffre et fut à nouveau fermé. Deux d’entre eux devaient encore passer, mais Cliodhna eut été bien aise de savoir que la malle ne serait plus rouverte avant un moment… Les lumières de la salle se rallumèrent bien à peu, leurs cœurs se réchauffèrent et tout semblait plus beau autour d’eux. Leur professeure finit apparaitre une chaise à son attention, juste à côté de celle sur laquelle elle était assise. La jeune femme observa d’un regard plein de compassion le garçon manger son morceau de chocolat à la menthe. En fin de compte, il avait tout de même tenu plus longtemps qu’elle malgré les souvenirs bien plus éprouvants qui semblaient refait surface dans son esprit.

Décidément très attentionnée, Mademoiselle Wolf fit apparaitre cinq gobelets de jus de citrouille. Cliodhna en prit volontiers, sans manquer de remercier la jeune femme, mais elle grimaça rapidement en constatant qu’il était glacé. Elle jugea qu’elle avait déjà eu assez froid pour la soirée et sortit sa baguette pour réchauffer sa boisson. Elle n’était pas certaine que c’était la meilleure idée qu’elle ait eu, mais elle avait été incapable de le boire autrement.

La prof ne perdit pas le Nord pour autant et elle s’empressa de questionner son camarade sur ce qu’il avait ressenti, sur ce qu’il avait été amené à voir, … La Gryffondor écouta sa réponse avec beaucoup d’attention.

"Mal... J'ai froid et... peur. J'ai vu des choses floues, sans grand intérêt... En fait, le pire n'était pas ce que je voyais, mais plutôt ce que j'entendais. Il y avait des voix, une voix... Venue tout droit de mon passé. Je pensais l'avoir oublié, être immunisé contre ce qu'elle pouvait dire mais...", avait-il expliqué. Cliodhna grimaça, ça ne lui disait rien qu’il n’aille. Elle ne le connaissait pas plus que ça, mais elle déduit qu’il avait dû avoir une enfance des plus difficiles pour évoquer de tels souvenirs. Tout le contraire d’elle qui, l’état de sa mère mis à part, avait toujours été plutôt épargnée.

Il conclut en précisant sèchement que la vraie nature des souvenirs dans lesquels il avait été replongé ne les regardait pas et la Gryffondor ne put qu’approuver, malgré qu’en bonne commère elle n’aurait pas été contre d’en savoir un peu plus. Il se leva ensuite et se mit à provoquer les deux petites Poufsouffles, ce qui irrita quelque peu la jeune femme. Peut-être avait-il besoin de ça pour protéger son égo qui venait d’en prendre un coup, mais c’était vraiment déplacé. Elwaen se mit même à ricaner avant d’aller s’isoler et Cliodhna décida de l’y rejoindre, verre à la main.

Une fois à sa hauteur, elle s’appuya sur l’un des accoudoirs et commença: "Tu n’avais pas à être si dur avec elles. Je doute que beaucoup de filles de leur âge auraient été capable de parvenir aussi rapidement à produire un Patronus corporel. Elles pourraient nous surprendre face au Détraqueur…". Elle avait dit ça d’une voix détachée, dénuée de reproche car ce n’en était pas un. Ce n’était qu’une remarque. Elle posa une main sur l’épaule du jeune homme. "Allez, ça va aller!", affirma-t-elle en souriant doucement. D’un geste naturel, elle enleva ses petites chaussures à talons sans avoir à se baisser. Ils commençaient à la déranger et elle regrettait de s’être montrée aussi coquette en venant là. C’était peut-être à cause d’eux qu’elle avait perdu l’équilibre et qu’elle avait été réduite à ramper jusqu’au cercle protecteur…