Je parle de mieux en mieux le renard. Ou il décrypte le langage l’humain. En tous cas, une complicité naît. Entre nous. J’ai vu un oui dans sa gestuelle. Volontaire. J’en suis certaine. Je m’accroupis vers lui. Mes yeux interrogent les siens. « Tu me comprends… ? » Au contraire des adultes. Ça m’étonnerait à peine. La nature a l’esprit ouvert. Contrairement à eux. Et le rouquin me ressemble. On est tous les deux similaires. Des amoureux de Mère Nature. J’attends pas de réponse orale de sa part. A la rigueur un glapissement approbateur. Je me relève. Je jette un coup d’œil à ma montre. J’ai beau perdre la notion du temps dans cet environnement, il défile quand même.

Nos œuvres filent dans mon sac. Je range mes affaires. Toutes traces de mon passage. L'endroit est redevenu sauvage. Je lui soupire un « Je vais devoir te laisser… » Je suis déçue. Ma tête se baisse. Je l’observe. Son emprise est tenace. Mes pieds nus refusent de bouger. J’ai pas envie de le quitter. D’arrêter ce rêve. Je crois que lui non plus. Pourtant il le faut. Pour elle. « J’aimerai rester… Mais j’ai cours d’enchantements… Et j’veux pas fâcher Miss Wildsmith… C’est la seule adulte qui croit en moi dans ce château… » Aveu sincère de ma personne. Une envie de me confier un coup. Rendu facile avec cette boule de poils rousse. Puis ça soulage mon esprit. Trop rempli.

Pour une autre matière, je serai restée avec l’animal. Quitte à ne rien faire. Juste se lancer des regards. Profiter du moment. Trouver un jeu. Jouer. Continuer à rêver. Faire la sieste. Bref vivre. Sécher un nouveau cours pour cela. Gagner une énième retenue. Ma routine en somme. L’être roux en vaut le coup. Sans doute pas autant que cette brune. Qui commence à se forger une place. Proche de mon cœur.

Je suis sur le départ. Je me hisse sur mes jambes. Une lanière rejoint mon épaule. J’offre un  signe de main à mon ami de la forêt. Aucunement un adieu. Au pire un au revoir. Au mieux un « A bientôt » espéré. Un dernier sourire. Et je m’apprête à faire demi-tour. L’avance est pas au rendez-vous. Je crains même le retard. Je vais devoir accélérer. Si je veux arriver à l’heure. Mon corps se détourne de l’animal. Ma tête résiste le plus longtemps possible. Un dernier quart. C’est tout ce qu’il m’a manqué. Pour ne rien voir. Mais j’ai vu. Et j’ai voulu observer. Jusqu’au bout. La transformation humaine. D’un animagus. Grande première.

Mon squelette revient lui faire face. Mes noisettes s’écarquillent. Ratant rien du spectacle. La créature disparaît. La réalité chasse le rêve. Violemment. Le pot aux roses est dévoilé. J’étais pas prête. Mes lèvres se refermèrent. Ma bonne humeur enterrée. L’être poilu est mort. Ressuscité en une adulte. Son doux pelage roux s’est volatilisé. Au profit de cheveux bruns. Accompagnés d’un jean et débardeur noir. La silhouette m’est connue. « J’vous préfère en renard Miss Wildsmith… » Aveu sincère. Au moins autant que le précédent. Moi je masque pas les choses. Au contraire de cette femme. Qui vient de se jouer de moi. Je fais un pas vers elle. Mon regard se pose dans le sien.

Déçue. Je me sens trahie. Point d’animosité dans sa proposition. On se rend au même endroit. Mais j’peux pas m’empêcher d’être désagréable. J’ai été trompée. Par celle qui représentait l’espoir. « Aller où ? Dans votre bureau ? J’ai gagné une nouvelle retenue ? » L’insolente refait surface. L’Artiste est parti se caché. Il veut pas se faire blesser. Par la bête sauvage. « Espionner les élèves en douce est votre passe-temps ? » Je soupire un grand coup. Je repose mon sac. Mes fesses caressent la souche.  Je fouille l’intérieur. J’en extrais le tableau banc à la tâche rouge. « J’crois que c’est à vous… » Je lui tends son œuvre. Plutôt celle de son rêveur intérieur.

LA de Elly accordé

L’adulte se rebiffe. Me rappelant qu’elle est humaine. Avant d’être un renard. Avec ses envies d’ailleurs. De possible liberté. Peut-être qu’on se ressemble. Plus qu’on se l’admet. A travers ce besoin d’évasion. Chacune sa manière d’essayer de se libérer. L’Animagie pour elle. L’Artiste en ce qui me concerne. « Pour une professeure ordinaire… » Ma tête se baisse. Je crains avoir fait une erreur. Cette brune est pas comme les autres. Elle est mieux. Extraordinaire. Preuve en est de son comportement. Nullement répressif. Plutôt complice. Et de mon aveu. Donné précédemment.

La leçon tombe malgré tout. L’insolente reste silencieuse. Pour une fois. Reconnaissant ses torts. Encaissants les reproches. Voulant pas envenimer la situation. Perdre son espoir. Espoir qui s’éloigne. Que je fixe un instant. Dans les yeux. J’y vois le renard. L’être roux. Celui que j’ai considéré comme mon ami. Si elle est lui, lui est elle. Logique élémentaire. Alors cette Miss aussi est mon amie. Une chose précieuse. Autant que rare. Qui s’apprête à partir. Sans moi. J’peux pas la laisser s’enfuir. « Attendez ! » Mes pieds nus s’activent et me font courir. Je rejoins la hauteur de l’enseignante.

Mes noisettes s’attardent sur la toile. Je lui souris. « Vous aussi avez un certain talent… » Une capacité à rêver. A développer. Peut-être en ma compagnie. J’ouvre mon sac. « Elle va vous embêtez en cours. Je vous la rendrai ce soir… Et on pourrait la poursuivre… » Paroles hésitantes. Invitation indirecte à la revoir. Dans un contexte plus favorable. Loin de ce rapport hiérarchique. Juste entre rêveuses. Miss Wildsmith se décide à me confier notre œuvre. Nous partons ensemble. Côte à côte. Dans la même foulée. En symbiose. Presque unies. Par un lien invisible. Fragile et puissant. Un début d’amitié.