Mais qu'est-ce qui se passe ici ? Bonne question. Sous ses yeux mi-clos, Sue distingue le théâtre d'une farce gigantesque. Nombreux sont les comédiens à avoir été conviés. Elle distingue toutes les maisons, des visages familiers et étrangers. Certains élèves semblent tout à fait désorientés - elle est dans le même cas. D'autres profitent de la situation pour se mettre au devant de la scène. Réaction incompréhensible. Pour sa part, étant démunie sans sa baguette et ses vêtements, le programme de sa journée lui échappant complètement, elle n'a même plus envie de faire la maligne. C'est dire son état de confusion. Lïnwe lui assure que tout ce petit monde est dans le même bateau qu'elle. Qu'elle trouvera peut-être ses affaires sur l'une des grandes tables. Lueur d'espoir. L'Aiglonne prévoit de s'y rendre immédiatement - elle a trop attendu. Mais il enchaîne en suggérant à l'assemblée de se disperser pour fouiller le château. Voilà une bonne idée. Dégagez le passage, faites-moi de l'air. Que je puisse accéder à la fameuse table. Celle sur laquelle je retrouverai mes précieux biens.

La pièce se vide comme une baignoire dont on ouvre la bonde. On part à la recherche d'indices : ratisser les couloirs, fouiller l'infirmerie et la cuisine, sonder les cachots - que ce soit en groupe ou en solo. Sue se recule dans un coin de la salle et suit des yeux le départ des uns et des autres. Elle hausse un sourcil quand elle aperçoit une autre fille se mettre à l'écart pour se changer. Elle n'est sans doute pas la première et, vu la tournure des événements, il n'est pas de bon ton de faire des remarques. Alors elle garde le silence. Son regard se déporte sur un nouvel arrivé à la table des professeurs. De toute évidence, il est membre du personnel de l'école - pourtant, elle ne l'a jamais vu. Pourquoi est-il seul ? c'est une autre bonne question. Il n'a pas l'air de comprendre ce qui se passe, lui non plus. Un élève l'aborde ; ils commencent à discuter. Le calme est plus ou moins revenu. Il est l'heure, pour Sue, de vérifier si ses affaires sont sur la table dont on lui a parlé plus tôt.

Alors qu'elle se dirige vers sa cible, ses yeux gris tombent sur une larve enroulée dans une couette (Aliocha). Les pyjamas et les échanges de vêtements, elle peut comprendre à la limite ; mais là, le garçon se permet une petite sieste alors que tous les autres tentent de se rendre utiles. Oh, Sue n'a pas non plus l'intention de quitter la salle ; d'autres font les recherches pour elle et il est bon de se délester du sale boulot ; de plus, elle veut être sur place et non à l'autre bout du château lorsque les plus efficaces reviendront avec des informations. Mais ce comportement fainéant a le don de l'exaspérer. La frustration s'est accumulée et elle vient de trouver où la déverser.

- Hé-oh, la Grande Salle n'est pas une chambre à coucher, peste-t-elle. Si tu veux finir ta nuit, tu retournes dans ton dortoir. Là, tu es au milieu du passage. Tu pourrais te faire piétiner ou faire trébucher quelqu'un.

Aaah, ça va mieux. Sue toise le petit asticot une dernière fois avant de surmonter ses pieds et de passer son chemin. Elle arrive au niveau de la fameuse table - son cœur s'accélère. Malheureusement, elle constate bien vite que rien ici ne lui appartient. Que des affaires bas de gamme. Ni ses jolies robes en mousseline, ni son klaxon dont elle se serait bien servie pour réveiller quelqu'un. Ni même sa Tiana délicatement ouvragée... Submergée de déception, elle s'assied sur le banc. On lui a dit de déposer ses propres trouvailles, mais elle ne le fera pas tant qu'elle n'aura rien récupéré. Mieux vaut une baguette cassée que pas de baguette du tout. Quoique...