Escapade à New-York

retard, je suis nulle je sais.

La coupe traverse l'air, atterrit à ses lèvres anti-sourires. Pourtant celles-ci se relèvent, adroites, alors qu'une gorgée glisse le long du palais.
Délicieux.
Le suis-je parfois au moins ?

Elle l'observe et voudrait savoir.
Pourquoi ? Juste à toi : pourquoi ?
Et puis elle se rappelle finalement que l'absence de règles,
cette règle déjà pré-établie
cet accord tacite de ne rien obliger
permet aussi l'absence d'interrogations.

Elle écrase la cigarette dans une coupelle laissée là sur la table.
Puisque ce soir, tout sera loin, loin de l'embarras. Loin du le faut-il ; faut-il pas.
Cette horreur de tous les voir, en travers de son monde.

Elle ne savait pas en revenant d’Écosse, qu'elle se retrouverait face à tout ça. Ces autres dans sa vie qui entrent et l'écorchent vive. Vont-ils un jour sans aller sans plus la regarder ?

Carcasse et écorce. L'abdomen qui riposte, à vos coups de canifs.
En plein dans l'éponge qui aspire tout.
Boîte de Pandore sempiternelle.

Sélène. Allons pour ça.
Elle le dit jamais mais c'est son deuxième prénom. Mais qui peut y croire, qui veut savoir. On l'a toujours appelée au plus court ; Aya.
Et qu'est-ce que tu fais dans la vie, Eli ? Tu sais déjà pour moi, je ne peux pas mentir.
Impressionne-moi. Et peut-être que là.
Elle rigole bizarrement, encore, ça étire le coin des lèvres
pulpes délicates.
Je te laisserai me faire danser.

Never. J't'aime.

Y a la cigarette qui libère une odeur terrible. Il aime pas ça. Mais il dit rien, parce que les lèvres qui la tire sont bien trop belles. Deux doigts délicats viennent l'enterrer sur le fond d'un cendrier. Le dernier nuage de fumée se dissipe. « Sélène. Allons pour ça. » Sélène. Lunaire. Astrale. Le nom lui collait à la peau. Elle était si mystérieuse. Il la dévore du regard, se laisse aller, imagine sa déesse dénudée. Avec elle pour sûr qu'il perdrait sa gravité. « Et qu'est-ce que tu fais dans la vie, Eli ? Tu sais déjà pour moi, je ne peux pas mentir. Impressionne-moi. Et peut-être que là. »

C'est pas vrai, il savait pas. Elle était volubile, volatile, volage et infantile. Serveuse à l'Occamy de jour, mais alors de nuit ? Lui-même jonglait entre diverses activités, il pouvait très bien en être de même pour elle. Sans doute même qu'elle gardait bien des secrets. Elle semblait fourmiller de secrets. Elias croisa les doigts contre la table et garda un visage détendu. Au possible. Elle rit. Il sourit. « Je te laisserai me faire danser. » Promesse jetée entre deux notes bleues qui font rêver.

« Je suis un potionniste. Les cocktails, c'est ça mon truc. » Il leva son verre à hauteur de regard et l'agita en clignant de l'oeil. « Entre autre chose évidemment. Je m'intéresse à beaucoup de chose. La musique, évidememnt, en fait partie. Tu aimes le jazz j'espère ? » Il s'abreuva d'une gorgée et déposa sa coupe sur la table avant de se tourner vers l'orchestre. « Le jazz c'est comme la vie, ça s'improvise au fur et à mesure. » Il étira sa main pour la présenter à la belle tout en se levant. « Improvises avec moi. »

Une douceur équivoque. Il fallait à chaque fois chasser le naturel pour qu'il revienne - et non au galop comme l'adage qui demeure, mais en un battement de cils. L'Eli avait la délicatesse des gentlemen d'un autre temps. Elle le voyait loin du beau-parleur séducteur, plutôt comme le charmant zèbre au naturel séduisant.

Aya ne savait mettre de mots sur l'attirance ou le sentimental, mais le personnage lui plaisait dans le comportement généralisé. Il n'avait pas le mimétisme des gens perdus, se perdait encore moins dans un nietzschéisme suranné. Il n'exaspérait guère d'oppression dans son air fantasque. Il demeurait quelqu'un de peu évident à comprendre parce qu'il ne demandait pas à être compris.

Baisse de concentration. Fusait en syllabes ce à quoi il occupait sa vie. Potionniste et déjà s'évadait-elle. Non pas de quoi l'imaginer affairé à concocter des philtres et faire sa tambouille. Mais le monde des breuvages charmants et des poisons sirupeux la fascinait particulièrement.

- Effectivement. Il lui fallut reprendre toute sa contenance pour répondre, mais même le palais asséché, elle s'était toujours trouvée prolixe. Le langage était un pouvoir bien trop charmant pour être sous-estimé. Mes balades dans le Londres moldu s'achèvent souvent dans les piano-bars. Je ne sais pourquoi je souhaite parfois tant éviter de remettre les pieds dans ce qui fait mon monde. Je ne souffre pourtant pas d'en faire partie, au contraire.

Elle se tût, garda pour elle ses réflexions. Est-on parfois attiré par ce qui nous repousse ?
Pour seule réponse, les mots de l'homme vinrent se confronter à ses considérations. On trouvait toujours écho dans ce qui naissait aux alentours. Ici, la liberté de faire.

D'improviser.

Elle suivit la cadence et se retrouva tout naturellement dans le corps à corps à la chorégraphie simplifiée qu'il proposait. Il fallait tenir sa main dans la sienne et suivre le rythme. Se laisser porter.
- Plutôt poison ou philtres enchanteurs ?
Il fallait l'interroger, dévisager de grands yeux noirs.

Sélène a le regard lourd d'une vibrance sourde. Deux perles noirs qui le fixent et le transpercent avec malice. Il l'imagine errant, le pas nonchalant, la cigarette à la bouche et l'oeil obstinément perché sur l'horizon. Déambulant entre les gens, sans jamais s'accrocher ni à l'un ni à l'autre, comme une ombre illusoire, accoudée à un piano bar entre deux cocktails, un soir.

Il la voit qui paresse, imperturbable sur son séant. Comme si la vie là tout autour n'était qu'un écran de fumée qu'on pouvait placarder dans le fond d'un cendrier. Ses lèvres pleines tantôt moqueuses, rarement rieuses, occupées la plupart du temps à dénigrer les gros balourds, les vieux manants en manque d'amour. Mais ce soir, oh oui ce soir, elle était rien que pour lui. Ses doigts courbés entre les siens, sa hanche fermement saisie, Elias avait le coeur en berne, démunit, affaiblit. Plutôt poison ou philtres enchanteurs ?

Un fin sourire vint s'étirer sur le visage du sorcier qui la fit tournoyer lentement à la mesure des instruments. Les deux ma chère, les deux. Et parfois même en même temps ! Tout dépend de la personne et du moment. Puis cueillant son regard de ténèbres, il perdit contenance et sentit ses deux joues s'embraser. Les philtres enchanteurs restent mes préférés. Provoquer la liesse d'une foule, ou l'embrouille d'une andouille, ça me botte bien. Le poison c'est plus... définitif. Il serra la main sur la hanche gracieuse. Presque ennuyeux tu trouves pas ? Quand quelqu'un meurt y a un silence, ça pèse.

Les mains harmonieuses se serraient autour des hanches fines et elle l'écoutait parler, un peu comme s'il n'y avait plus rien autour, rien autour que le bruit des chaises qui crissent sous les corps qui s'élancent.
. S'agissait-il de faire semblant, ou trouvait-elle ses contours intéressants ?

Un instant, elle fut tentée d'inverser les rôles et de se laisser pleinement séduire. Mais jouer la gourde ne l'enchantait pas vraiment. C'était son rôle, de manier les corps du bout de ses ambulatoires. C'était son rôle, de jouer de ses crocs et de ses fils de soie. Eli, tant qu'il restait pantomime d'homme, demeurait homme simplement. Rien de plus à ses yeux.
Peut-être était-elle reine du mauvais présage finalement. Elle avait du mal à se sortir de cette vision d'elle-même, encore moins face à quelqu'un qui la regardait avec des yeux nouveaux.
De quelle manière pourrais-je encore décevoir ?

- Tout dépend de la manière dont le poison s'insinue et joue son rôle. Elle rigola un instant, plus pour elle-même que pour partager de bonnes mémoires.
Pourtant, ses yeux se perdirent dans ses propres visions d'enfance. Peut-être était-ce pour cette obscure raison que ce domaine l'intriguait. Peut-être était-ce parce qu'elle avait déjà vu un mal ronger et la vie s'éloigner lentement.
- Et les silences parfois révèlent plus que ce qu'on ose dire.

Le sujet se transforma en silence éphémère à mesure que les musiques changeaient, que le fond de scène devenait tantôt fumée d'ecchymose ou lumière des néons. Ce monde existait-il vraiment ?

Dis, tu savais que je n'avais plus pensé à Mysie depuis longtemps ?
Mais maintenant qu'on effleure ce sujet dis-moi, dis-moi peut-être ce que c'était. Ce que j'aurais pu faire.
Si je n'ai plus qu'à laisser tomber.

- Eli,
Elle s'arrêta, coupa court à l'interrogation alors que sa main remonta le long de son épaule. Front pâle rencontrant le souffle de l'homme.
- J'aurais peut-être une idée pour vous et moi.

Le sourire ravageur se transforma en moue d'aparté, et elle indiqua leur refuge précédent d'un regard vers l'horizon de tables. Va falloir discuter.