Mon retard n'est qu'une illusion
Leo va bien chercher le gros bonhomme rouge. Mais pas pour qu'il raconte une histoire. Uniquement pour qu'il s'occupe de la cuisson de la viande. Après tout, c'est au moins ça de pris, mais il a intérêt à faire ça bien, sinon, tu lui déglingueras la tête si fort que plus personne ne se souviendra qu'il a un jour existé. Mais vu que Leo l'a probablement collé sous Imperium pour qu'il s'occupe de cette tâche, nul doute qu'il saura s'en acquitter correctement. Malheureusement pour tes pulsions sadiques du moment. T'as l'impression que c'est pas assez. Que vous avez été trop sympa, que la punition n'est pas assez élevée pour tous ses méfaits. Pourtant, tu ne dis rien. Tu restes assis dans la neige tandis que Leo commence à raconter une histoire.
Tu écoutes attentivement. Déjà parce que c'est sans doute la première fois qu'on te raconte une histoire depuis la mot de ta mère, alors ça fait un peu bizarre. Et l'histoire, elle l'est aussi, bizarre. Mais elle semble lui tenir à coeur, alors tu ne dis rien. Tu te contentes d'écouter, élève appliqué. Il parle d'un type qui s'appelle Oedipe, qui s'est tapé sa mère. Déjà, c'est pas fifou comme début d'histoire. Mais après, ça s'arrange un peu, parce qu'il a aussi tué son père. Il en a de la chance. Toi, t'aimerais bien, tu sais juste pas où il est, ça bloque pas mal pour avancer. Mais un jour tu te vengeras de lui, comme tu t'es vengé du Père Noël. Mais la suite de l'histoire ne te plaît pas.
Ou plutôt, la façon de réagir de Leo. Toi, tu comprends pourquoi il s'est crevé les yeux l'autre. C'est vrai que c'est plus facile de ne pas voir ce qu'on a fait, de se punir soi-même en se disant qu'on l'a bien mérité, mais que du coup on peut tout recommencer. Parce qu'il a fait ça pour alléger sa culpabilité. Mais tu sais ce que c'est, de vivre avec des remords. Trop de remords et de regrets. A un moment donné, faut réussir à s'en débarrasser. Même si c'est lâche. Même si c'est un peu comme de la fuite. Après tout, le monde est égoïste, autant l'être avec lui. T'es comme ça, tu ne luttes plus vraiment, tu préfères attendre bien sagement et tout ressort quand ça doit ressortir. Comme ce soir.
Leo s'est levé pour aller faire sa fête au père Noël. Il le frappe encore et encore. Il colore à nouveau le tableau vierge de la neige d'un rouge éclatant. Il y a quelques minutes, tu serais allé l'aider. Tu te serais acharné aussi, t'aurais frappé jusqu'à t'en faire mal aux poings et au crâne. Mais l'histoire t'a un peu refroidi. Tu ne sais plus trop où tu en es.
- Arrête-toi, la viande va cramer s'il s'en occupe pas, et j'ai la dalle moi.
T'as pas le courage de lui dire ce que tu penses de son histoire. Si ça se trouve, il voudrait te frapper toi aussi. Et t'as pas franchement envie. T'as l'impression d'avoir fait ce pour quoi tu étais venu. T'as juste envie de bouffer Rudolphe et de te casser de ce pays gelé.