Un passant la coudoya, qui ne se retourna même pas pour s’excuser. Elle reconnut un chargé d’affaires faisant sa petite promenade de santé, elle le regarda entrer chez un fleuriste, d’où ce Crésus rapportait parfois une orchidée rare de Floride à ces petites filles ou à la vile créature qui habitait un hôtel particulier à Mayfair. Et ce coup de coude, à cette minute, dans la fièvre dont l’accès montait en elle, depuis qu’elle tournait ainsi dans l’Allée des Embrumes, fut comme le cinglement, la poussée dernière qui la décida. Elle donna l’assaut.

Rosalynn Peltz frappa trois coups sur la porte noire. Son parapluie au sol bavait sur le parquet vétuste de l’immeuble d’où s’émanait une odeur prenante de pin des Andes. « Bureau des Aurors, entonna-t-elle. Nous recherchons Mr. Finrod Elensar pour perquisitionner son domicile ! » Elle lança un regard entendu à Spero ; glissant la lumière du phare sur son visage pâle et terne similaire à ceux de la progéniture des aristocraties provinciales d’où gémissaient faiblement les souffrances d’un cadre dogmatique étouffées par les jouissances pécuniaires.

L’ongle de la Peltz essuya une goutte de pluie parvenue à s’échouer sur son torse recouvert de serge noir, celui de son uniforme qui étendait son emprise du cou, comme empoigné, aux chevilles qui trahissaient une faiblesse de complexion. Seule son étoile resplendissait sobrement sur son sein gauche. Une fois le geste accompli, la main redescendit devant le bassin rejoindre sa semblable, tenant lestement un parchemin – était-elle écrite en langue russe ? Qu’importe, il ne s’agissait que de quelques lignes !

DEPARTEMENT DE LA JUSTICE MAGIQUE
BUREAU DES AURORS

Nom de l’émetteur : Druella Chatterton
Objet : Mandat de perquisition  

Cher Mister Finrod Elensar,

Suite à une enquête menée par le Bureau des Aurors prouvant que vous êtes en possession d'un objet interdit et dangereux, je leur accorde le droit de pénétrer, de fouiller et de perquisitionner votre ou vos domiciles par la présente

Veuillez agréer, très cher, à l'expression de nos sentiments les plus distingués.

Cordialement,

Druella Chatterton Directrice du département de la Justice Magique

© Luke Belt

Dans le living-room où le propriétaire la laissa, en disant que Monsieur s’interrogeait sur son possible tort, Rosalynn marcha à petits pas, regardant les murs. Mais une voix d’homme superbe, une basse d’une puissance mélancolique et profonde, s’étant élevée il y a quelques secondes, résonnait encore dans sa chair, chatouillait ses tripes. Elle s’approcha d’Elensar, pensa qu’il était fort, ah !, qu’il était un terrible monsieur !

« Nous avons des raisons de croire que vous avez acheté une main de singe maudite, reprit-elle. Avons-nous des raisons de croire ceci ? Avez-vous bien acheté une main de singe maudite chez Barjow & Beurk ? L’avez-vous utilisée récemment ? »

Sa voix altérée de crainte et de désir s’éteignit, exhalant une plainte de tendresse, éperdue, d’une ampleur tragique. Elle tira sa montre et lâcha un court soupir en se représentant le temps qu’elle avait devant elle ; tandis que Spero semblait s’affairer. Rosalynn se rapprocha des fenêtres et ouvrit les lourds rideaux verts. Son regard passa à travers les carreaux, s’éprenait à croire qu’elle eût face à elle une chênaie immense de Castille, oblitérant la vue. Elle eut alors un bon sourire : « N’est-il pas étrange que le propriétaire de la Boutique d’Animaux Magiques, dont la profitabilité époustouflante parvient à arriver aux oreilles des bureaucrates que nous sommes, puisse vivre dans ce quartier si mal famé alors qu’il pourrait posséder les hôtels privés du meilleur goût ? Oh ! éclairez-moi ! De quoi s’agit-il ? Une réminiscence d’un passé plus démuni ? une modestie de vie et de goûts ? ou alors la proximité des trafics les plus louches que notre royaume recèle ?.. »

Encore bercée par la sonorité sèche de ses propres paroles, elle s’avança vers une armoire et se livra à un examen des intérêts littéraires de l’hôte ; procédant à une inquisition, approuvant ou réprouvant les décisions que l’homme avait fait au cours de son existence, s’appuyant sur son armature solide de connaissances de classe, l’œil avide de signes sociaux, d’étiquettes. Bien que son étude sémiologique semblât concentrer toute son attention, elle parvint à glisser ces mots : « Comment connaissez-vous Ashton Parker ? Elizabeth Bennet, ce nom vous dit quelque chose ? Allez-vous souvent chez Barjow & Beurk ? »

Très pâle, Rosalynn écoutait, regardait. C’était, au milieu d’un saisissement inexprimable, tous les axiomes et la rhétorique de sa réflexion qui tremblaient, une sensation d’écroulement, une masse énorme et confuse qui retombait sur elle. Elensar l’avait toujours inquiétée et elle le retrouvait avec son aplomb et sa carrure qu’elle lui enviait.

Spero rompit son silence, accentuant la scène de sa petite voix.  Distraite, Rosalynn se tourna vers elle, l’ayant oubliée, grattant le parquet comme un rongeur affamé. Ainsi, elle s’abandonna à de la tendresse à son égard qu’elle n’essaya pas de s’expliquer, de s’excuser d’avantage – envahie d’un sentiment, d’une lassitude de tout, elle si placide.

Rosalynn, blême, saisie enfin qu’elle ne saurât pas l’histoire, demeurait muette. C’était bien l’écriture d’Elensar, et maintenant elle n’avait plus rien à cacher, puisque l’entièreté de son savoir avait été balayé par une évidence – aussi fragile soit-elle. Cependant, elle hésitait toujours, confuse pour cet homme interrogé si à l’aise.

« Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps, dit-elle faiblement. Si jamais quelque chose vous revient en mémoire, n’hésitez pas à nous contacter. »

Ses joues s’embrasèrent et elle se précipita vers la sortie, accablée par cette humiliation. Les yeux hurlaient d’une lente agonie tandis qu’ils lâchaient enfin leur emprise sur la silhouette de Finrod. Rosalynn fut suivie par Spero, comme attachée à son sillon. Bien que la femme peinait à cacher son mécontentement, elle eut la présence d’esprit de récupérer son parapluie qui avait laissé une encombrante flaque devant la porte.